Le Petit Poucet et les a-m-es malades de la peste

Bisounours.jpgPar Liliane Messika

Tout le monde sait que les parents du Petit Poucet ont été obligés d’aller « perdre » leurs enfants dans la forêt parce qu’ils n’avaient plus de quoi les nourrir.

Ce qu’on ignore souvent, c’est que leur dénuement avait pour cause une grande générosité et une ignorance totale des principes économiques en vigueur dans le monde extérieur à Bisounoursland où ils vivaient.

Monsieur et Madame Pouce, des parents exemplaires
En effet, Madame Pouce se consacrait à l’éducation de ses sept garçons et son époux était bûcheron. En tant qu’artisan, il gagnait un salaire modeste, mais suffisant. La famille ne partait pas en vacances, mais tout le monde mangeait à sa faim.

Les Pouce étaient de braves gens, toujours prêts à donner un coup de main aux voisins pour les semailles ou les moissons. Ils payaient scrupuleusement la taille et la gabelle (par conviction civique et non par peur du Connétable) et n’hésitaient pas plus à nourrir les pèlerins qui s’arrêtaient chez eux en prenant la route de Compostelle qu’à recueillir les orphelins et les oiseaux tombés du nid.

Des systèmes de valeurs et de leur influence sur l’appétit
Les voisins des Pouce, M. et Mme Ogre, n’avaient pas les mêmes valeurs : ils étaient convaincus que leur statut de géants légendaires faisait d’eux une élite de naissance. Considérant par ailleurs que le reste du monde leur devait réparation pour la mauvaise réputation dont ils avaient souffert dans les livres de contes pendant des siècles, ils estimaient que c’était à la société de pourvoir à leurs besoins.

C’est ainsi que les effectifs de la famille Pouce doublèrent lorsque les parents Ogre leur envoyèrent leurs sept filles à nourrir.

Charles Perrault et la vérité historique
La véritable histoire des familles Pouce et Ogre est bien éloignée de la version officielle narrée par les médias, mais ce n’est pas la première fois qu’un journaliste prénommé Charles[1] inverse les causes et les effets, les assassins et leurs victimes et, soutenu par le tribalisme de ses confrères, remplace le décompte des faits par des contes de fées.

Les déboires de M. et Mme Pouce n’en restèrent pas là. Apprenant que le gîte et le couvert étaient offerts gracieusement à tous ceux qui en faisaient la demande, les riches hobereaux alentours cessèrent de nourrir leurs serfs, leur enjoignant de passer la frontière et d’aller se faire entretenir chez les généreux voisins.

Monsieur et Madame Pouce, des citoyens admirables
La réputation des Pouce traversa les limites du bourg, puis du canton et même du pays. Les affamés de toutes origines convergeaient chez eux. Les malades et les éclopés également, qui avaient appris le talent de Mme Pouce en matière de potions et d’onguents. Des mercenaires sans scrupule convoyaient, contre espèces sonnantes et trébuchantes, les malheureux des quatre coins du royaume – et au-delà – jusqu’à la modeste chaumière des Pouce.

La sanction du principe de réalité…
Au bout de quelques décennies, le Prince de Réalité, un potentat austère qui vivait à proximité de Bisounoursland, décida d’une part, de fermer sa frontière aux migrants qui piétinaient ses cultures, et d’autre part, de ne plus prêter le moindre denier à ses prodigues voisins.

La famine sévit alors et les parents Pouce durent aller perdre dans la forêt leur propre progéniture, qu’ils étaient devenus incapables de nourrir.

On connaît l’histoire : le plus jeune de la fratrie, Petit Poucet, était également le plus intelligent.

carotte2De la malchance d’être bien né
S’il avait été immigré ou issu de la « Diversité », Petit Poucet aurait été dispensé du concours d’entrée à l’ENA, l’École Normative des Autistes, ce qui lui aurait assuré un avenir professionnel radieux et aurait fait la fierté de ses parents. Mais Bisounours de souche et, circonstance aggravante, blanc et hétérosexuel, il était cantonné dans la catégorie des riches, que les Seigneurs du lieu successifs avaient toujours mis un point d’honneur à faire fuir le pays pour laisser la place aux pauvres, autrement plus désirables.

Se cultiver est une carotte…
Petit Poucet avait piraté la boite e-mail de son père (Papa-Pouce@Assistanat.fr) et il avait donc connaissance des noirs desseins auxquels la faillite poussait celui-ci. Il retrouva le chemin de la maison grâce aux petits cailloux qu’il avait semés derrière lui pendant le voyage aller.

A son retour, la mère ne se sentit plus de joie, car on a beau refuser de toute son idéologie la préférence familiale, un enfant reste un enfant.

La vie reprit son traintrain, les malades et les éclopés continuèrent d’affluer et M. et Mme Pouce reprirent leurs activités caritatives au détriment du fruit de leurs entrailles.

… et le retour de bâton
Un beau jour, qui devait passer à la postérité comme LJOLGD’EAFDLV (le jour où la goutte d’eau avait fait déborder le vase), douze Tartares se présentèrent à la porte du logis en toussant et reniflant. Le char à banc qui les avait transportés était déjà reparti au mol galop de ses chevaux épuisés lorsque Mme Pouce ouvrit aux indigents.

bâtonIls étaient bien mal en point, ces voyageurs : maigres comme des coucous, les doigts nécrosés, la respiration sifflante. Mme Pouce s’inquiéta d’une possible contagion, mais les visiteurs avaient une bonne explication : « Nous avons été torturés », la rassurèrent-ils. Le statut de réfugié politique était l’étiquette la plus recherchée à Bisounoursland et la brave femme se rasséréna en pensant à toutes les associations qui allaient converger vers sa demeure pour partager l’euphorie de sa solidarité caritative.

Pourquoi tu tousses ?
Las ! Les malades n’avaient pas été torturés : ils avaient la peste. Ils arrivaient d’un pays où les soins étaient moins sophistiqués que chez les Pouce et où, de surcroît, chacun payait sa nourriture, ses soins et l’éducation de ses enfants au même tarif plutôt qu’en fonction d’un indice à deux cent dix-huit décimales que seuls les prêtres bisounoursiens de l’ordre de Bercy-mon-Dieu étaient capables de décrypter.

Madame Pouce, répertoriée dans le Guide du Roublard comme le plus important service de traitement des maladies infectieuses de Bisounousland, confina immédiatement ses visiteurs en chambre à pression négative pour bloquer la contamination de leur maladie, due à une bactérie Yersinia pestis particulièrement féroce, qui résistait à tous les remèdes connus.

Bisounours est la patrie des droits dans leurs bottes
Bactérie ou pas bactérie, Madame Pouce avait acquis une réputation d’Hospitalière de compétition, chez qui l’on est en droit d’exiger comme un dû d’être nourri, logé, blanchi, transporté, éduqué et distrait sans avoir à bourse délier.

Confinés ? Des étrangers nécessiteux arrivés au péril de leur vie sur des rafiots de fortune depuis leur Gégénie natale pour se faire soigner par des nantis ? Manquerait plus que ça !

Gégène et ses copains Vlad et Igor eurent tôt fait d’arpenter les chemins du village, expectorant leurs miasmes à qui mieux mieux. Leurs pathologies ne se limitant pas à la peste, ils étaient également atteints de sida, d’hépatite C et de diabète de type 1, qui rendaient les soins difficiles et coûteux, sans rien retirer à la problématique contagion.

Aime ton voisin plus que toi-même
La bienveillance légendaire de Mme Pouce vis-à-vis des malheureux à poil et à plume était mise à rude épreuve. Motivés par la publicité louangeuse faite à Bisounoursland dans les médias de leur pays, les Cosaques savaient que sur ce territoire, à l’inverse de chez eux, ils n’avaient que des droits et aucun devoir.

Le risque d’infecter les populations bisounours.e.s ne les empêchait pas de sortir fumer leur cigarette au milieu de la foule et de menacer, si on ne leur installait pas une Lucarne Magique dans leur chambre, d’aller manifester dans la diligence cantonale aux heures de pointe.

Les habitants de Bisounoursland avaient pris l’habitude de serrer leur ceinture d’un cran supplémentaire chaque année. En échange, leur pays avait la réputation d’être le plus généreux du monde et il attirait donc tous les pauvres de la planète.

Supplément d’âme indisponible
Les Bisounours considéraient le devoir d’aimer son voisin beaucoup plus que soi-même comme une preuve qu’ils avaient une âme, un mot que les voisins en question écrivaient A-M-E, comme dans « Aide-Moi Et le ciel t’aidera »[2]. Sauf que le ciel n’était pas au rendez-vous.

Leur âme leur enjoignait de soigner quiconque le demandait, quel qu’en soit le coût. Un édile ayant eu le front de vouloir priver ces étrangers nécessiteux de cures thermales, il s’était fait insulter (« extrêmedroiteux ! » en bisounoursien dans le texte) et avait été évincé de la vie politique pour discrimination à l’encontre d’un étranger, le crime le plus gravement puni par les lois du pays.

Contagieux et coûteux : la formule gagnante
A 1000 écus le lit par jour, Madame Pouce fut rapidement ruinée. Personne ne vint à son secours : elle était native de Bisounoursland, cela lui donnait le devoir de payer des impôts afin d’accueillir les étrangers en souffrance, mais aucun droit.

En dix ans, le nombre de bénéficiaires de l’A-M-E avait augmenté de 185%. Ils étaient 220000. Et cela coûtait désormais huit fois plus cher qu’au moment de la mise en place du dispositif : 600 millions d’écus par an.

Monsieur et Madame Poucet, le bûcheron et la bénévole, reprirent le chemin de la forêt avec leurs sept enfants, après avoir pris la précaution de fermer la porte à clef la veille au soir. Ainsi, Petit Poucet, le plus futé des garçons, n’eut-il pas la possibilité de sortir rassembler des petits cailloux pour baliser le chemin.

L’amoral dans cette histoire
Madame Pouce sombra dans la dépression et attrapa des hémorroïdes. Le pharmacien qui lui délivra une pommade destinée à la soulager refusa de lui faire crédit. Elle payait des impôts, elle n’était donc pas une étrangère en situation irrégulière. A ce titre, elle ne pouvait bénéficier de l’âme. Quant au système de sécurité sociale auquel son mari versait un tiers de son salaire, il ne prenait pas en charge les « médicaments de confort » dans la catégorie desquels étaient rangés les traitements anti-hémorroïdaires.

*

*         *

Assise sur sa bouée, Madame Pouce regarda distraitement passer sous ses fenêtres les villageois armés de fourches et de haches qui marchaient sur le château, puis elle reporta son attention sur la Lucarne Magique. Le Seigneur y expliquait le succès du modèle bisounoursien que le monde entier leur enviait et il assurait son bon peuple que jamais, au grand jamais, un dogme aussi performant ne subirait la moindre modification. LM♦

29 juin 2018

Logo Liliane Messika[1] Charles Enderlin, longtemps correspondant de France 2 en Israël et initiateur de l’affaire Al-Dura (NDLR)
[2] https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F3079

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