« Diversité » : tant de connotations positives… pour un déni d’humanité
Qui, aujourd’hui, voudrait s’en prendre à la signification unanimement positive de « la diversité » se verrait automatiquement désigné comme ennemi du genre humain car apôtre des pires discriminations infligées à tout ce que recouvre « la » diversité, soit : les femmes, les lesbiennes, les gays, les transgenres, les queers, les Noirs, les Juifs, les non-Blancs, les Gros-s-es, les Musulmans et tout ce que vous pouvez mettre sous le terme de minorités visibles à l’œil nu ou pas, plus les intersections de deux ou plusieurs de ces minorités.
La notion de diversité vise à combattre ces discriminations en donnant aux minoritaires une identité non stigmatisée-non stigmatisable et ce, au nom même de leur appartenance à telle(s) ou telle(s) minorité(s) :
« En France le terme « diversité » est utilisé pour valoriser des personnes issues d’une immigration autre qu’européenne ou, plus généralement, des minorités ethniques parfois appelées « minorités visibles ». La diversité est mise en avant comme moyen de lutte contre les discriminations, notamment en termes d’emploi. Un « Commissariat à la diversité et à l’égalité des chances », service rattaché au Premier ministre, a été créé en décembre 2008. » [Le président de la République était Nicolas Sarkozy]. Article « Diversité » du site toupie.org, par Pierre Tourev.
Voilà qui a le mérite de la clarté. L’appartenance minoritaire vous classe d’emblée dans un groupe dont l’identité est au-dessus de tout soupçon. Dixit le Commissariat en question. Dès lors on se demande : et moi alors ? Suis-je un-e indécrottable majoritaire ? Comment pourrais-je me réclamer à mon tour (de taille ? Ou de quoi ?) d’une nouvelle minorité avec sa définition (ou son sigle ça fait chic !) ? Parce qu’il ne fait pas bon, par les temps qui courent, de se retrouver dans la majorité !
La définition de Tourev permet aussi d’entrevoir les dividendes électoralistes de l’idéologie diversitaire qui mange à tous les râteliers. Tout autant que la facilité avec laquelle une jeunesse judéo-chrétienne, toujours prête à tendre l’autre joue à qui la conspue, fait le succès de professeurs d’université ralliés à cette même idéologie qui – et ce n’est pas son moindre mérite – permet à des gens qui n’ont pas forcément, comme Yann Moix, la conscience tranquille, de se poser en donneurs de leçons de morale aux autres, histoire qu’on ne vienne pas les embêter avec des comptes non soldés par-ci ou par-là par eux-mêmes… précisément dans l’ordre de la morale.
Mais d’où au juste vient cette idéologie ?
Comme d’habitude des pensées à la mode sur les campus américains : la philosophie multiculturaliste de Charles Taylor, née des espoirs déçus des sixties et de la volonté de leur porter remède. Charles Taylor est un philosophe canadien né en 1931 à Montréal. En 2007 il est nommé par le gouvernement québécois coprésident de la Commission de consultation sur les pratiques d’accommodements reliées aux différences culturelles, avec le sociologue et historien Gérard Bouchard. Le politique prend acte, à cette occasion, qu’il ne saurait être juste et démocratique vis-à-vis de ses Musulmans, par exemple, à moins de bafouer la laïcité chaque fois qu’ils le demandent : mais du moment que c’est pour la bonne cause multiculturelle… Honni soit qui mal y pense ! L’identité minoritaire sanctuarisée et sacralisée dicte sa loi, priorité aux victimes obligeant.
Puis vint Judith Butler, née en 1956 à Cleveland et professeur à Berkeley depuis 1993. Son travail porte sur le genre, les queers et la théorie queer. Son ouvrage principal est : Trouble dans le genre. Le féminisme et la subversion de l’identité (1990 et 2005 pour la traduction française). Elle aussi inspire aujourd’hui les chantres de la diversité, au point de hisser celle-ci au rang d’idéologie dominante au sens de Marx, c’est-à-dire qui imprègne largement toutes les idées défendues en Sciences humaines et en Politique dans notre société, mais sans qu’on en discerne réellement la source ni les effets potentiellement dévastateurs. Et bien entendu, pas question de critiquer le multiculturalisme : on est immédiatement considéré comme pestiféré et exclu du « débat » public.
Pourtant il est loisible de pointer certains paradoxes de la bénie « diversité »
En effet on peut dire que dans une basse-cour il y a une diversité d’espèces animales : poules vaches, cochons, canards, chevaux… Cette diversité au sein du même genre – l’animalité – exclut toute solution de continuité biologique entre ces espèces : on ne peut pas croiser des canards et des chevaux comme des êtres humains d’origines et de cultures diverses peuvent procréer ensemble. Dire qu’il y a dans l’humanité une diversité d’espèces humaines serait à juste titre considéré comme du racisme, ce racisme qui a été théorisé par exemple par le comte Arthur de Gobineau, auteur de l’Essai sur l’inégalité des races humaines en 1853 et qui considère que le métissage est une source de dégénérescence de toutes les races ; Gobineau qui, rappelons-le, estimait que les Juifs étaient une race supérieure car, d’après lui, refusant le métissage : la « race » juive serait donc restée « pure » : je lui laisse l’entière responsabilité de ses élucubrations mais j’observe que les Juifs ont toujours accepté le métissage : pensons à l’épouse noire de Moïse, Tsipora ; pensons aux prosélytes de la Porte ou à l’empathie du Deutéronome pour les étrangers en référence au sentiment de reconnaissance envers les Égyptiens chez lesquels les Hébreux avaient été initialement des étrangers affamés et recueillis, ou encore à Ruth la Moabite célébrée par Victor Hugo pour avoir librement demandé sa main à Booz l’Hébreu. Quoi qu’il en soit, même pour critiquer le métissage sur des bases biologiques erronées, le concept de race, en ce qui concerne l’humanité, présuppose bien l’appartenance à un même et unique genre, ce que la notion de diversité ne précise nullement ceci est à relever ; car on parle de diverses races de chevaux, mais pas de la diversité chevaline, ce qui multiplierait à l’infini – en droit – les exceptions plus ou moins aberrantes à la règle ou à la norme définissant la chevalité du cheval pour s’exprimer à la façon d’Aristote. On sait ou on dit depuis la Bible et depuis 1789 que l’humanité ne forme qu’une seule et même grande famille ; alors pourquoi met-on tant d’ardeur à défendre la diversité ? Et pourquoi pas la pluralité humaine comme on s’y serait attendu, de la part des antiracistes que sont les chantres de la diversité ? En effet la pluralité désigne non pas des différences d’espèces mais seulement au sein d’une humanité une, « le genre humain », plusieurs possibilités de décliner la culture et les invariants anthropologiques qui en font partie : habitat, rituels funéraires, cuisine, arts, religion, sciences, médecine, politique, techniques de communication et techniques en général.
La diversité, jalon vers le transhumanisme
Cette appétence pour la diversité témoigne d’une dérive des droits de l’homme qui a porté celui-ci à se décréter, après son titre de « maître et possesseur de la nature » (on oublie que Descartes avait fait précéder l’expression d’un « comme » pour suggérer que seul Dieu était concerné par cette expression prise à la lettre) – Maître et possesseur de sa nature. Ainsi c’est lui et lui seul qui se définirait et in fine dirait à autrui quelle identité fixe ou muable il possède… à l’instant t !
Cette appropriation par chaque subjectivité de son identité toutefois, n’est pas conforme à la doctrine sartrienne de la liberté du sujet, y compris par rapport à Dieu, car Sartre avait compris que le caractère sociable de l’homme le rendait tributaire d’un pour-autrui que le pour-soi ne pourrait jamais réduire ou abolir ; d’où la fameuse formule : « l’enfer c’est les autres » dans la pièce Huis Clos ; c’est donc dans ce refus de la dialectique pour soi / pour autrui que réside le piège de la diversité qui revient à avaliser le racisme le plus viscéral au nom d’un « pour soi » érigé en absolu, et menant à cliver les individus post-modernes en espèces irrémédiablement séparées, l’espèce en l’occurrence, pouvant se limiter à un seul individu, du moment qu’il aurait le désir de se définir par une identité qui n’appartiendrait qu’à lui-même et à personne d’autre. Ce serait donc la confusion entre identité et singularité – chaque feuille d’un même arbre est différente de sa voisine comme chaque humain est différent de tous les autres, remarquait Leibniz au XVIIᵉ siècle – qui aurait porté au pinacle la notion de diversité.
Faute de vouloir l’enfer de l’emprise-déprise permanente du pour-soi / pour autrui, on arrive à la prison d’un pour-soi glacé, bunker identitaire paranoïaque qui supprime la faculté de communiquer entre « diversités » puisque pour faire partie de l’une d’entre elles je dois souscrire à une sorte de contrat implicite faisant de moi un simple clone de mes appariés de cette diversité-ci, qui ne s’intéresse qu’à elle-même et ne s’adresse aux autres que pour les dénigrer, s’en dire victime ou les dominer – en tous cas les soupçonner de vouloir attenter à son « identité ».
Ainsi l’humanité régresse-t-elle non pas même au niveau de l’animalité qui ne tue pas par idéologie ou cruauté mais pour se défendre ou se nourrir – mais au niveau d’un ensemble de zombies déferlant les uns contre les autres puisqu’ayant mis au ban leur sociabilité et l’art de la politique qui en découle selon Aristote.
Art de la politique qui précisément vise à un vivre ensemble d’êtres humains appartenant à plusieurs catégories socio-économiques, religieuses, culturelles, politiques, géographiques mais qui ne s’en estiment pas moins faire partie d’une commune humanité et qui, de ce fait, utilisent la parole et l’art de persuader pour s’entre-influencer, plutôt que la violence qui met l’autre au rang de simple objet gêneur dont il faut se débarrasser pour asseoir sa propre dictature… Au prix, bien sûr, des progrès de la Raison au décours du débat des raisons[1]
Voilà jusqu’où peut mener un dévoiement en apparence bien innocent du langage…
L’enfer, le vrai, c’est le « pour soi » dont on ne sort pas, soit le refus de la pluralité humaine.
Il se trouve que l’être humain se sert à échéances régulières de ce refus pour s’enfermer dans une forme ou l’autre de totalitarisme et que celui-ci amalgame aujourd’hui les pires obscurantistes religieux et le pseudo-progressisme anti raciste… en attendant les apprentis sorciers du transhumanisme, formé de clones robotisés pouvant enfin faire l’économie des difficultés et des impasses de la sociabilité pour se dédier aux phantasmes des Frankenstein de l’ingénierie sociale et politique.
À chacun(e) de cultiver le refus de toutes les scléroses identitaires au nom de ces facettes identitaires encore inconnues de nous-mêmes en nous qu’il n’appartient qu’aux interactions avec autrui de réveiller et de révéler… pour des découvertes belles ou non, mais en tous cas garantes de notre humanité. NL♦
Nadia Lamm, MABATIM.INFO
Philosophe
[1] Sur les impasses du multiculturalisme, lire dans le Figarovox les interviews éclairantes d’une part de l’historien des idées Mark Lilla par Alexandre Devecchio (15/11/2016), de l’autre du philosophe et épistémologue Dominique Lecourt (21/10/2016). Il s’y exprime au sujet des 217 mesures de la loi Égalité et citoyenneté adoptée par le Sénat à la même époque. « Si l’on tue encore aujourd’hui au nom de Dieu sur les pavés de nos grandes villes, dit-il, c’est en grande partie la faute du politiquement correct. ». D. Lecourt est l’auteur, notamment, de L’Égoïsme. Faut-il vraiment penser aux autres ? (Ed. Autrement, 2015).
Quant à Mark Lilla, son diagnostic n’est pas moins sévère : « Le multiculturalisme a fait le lit de la concurrence victimaire et engendre une nouvelle conscience de classe chez ceux qu’on appelle « les petits Blancs ». Comme il y a une fierté « Afro-américaine » il y a désormais une fierté de la classe populaire blanche à être plus « vraie » et vertueuse que les élites qui ne font pas un travail honnête, mentent, imposent leurs valeurs à tous et considèrent moralement méprisables ceux qui ne sont pas d’accord avec elles et n’ont pas les mêmes facilités à s’exprimer. C’est une situation malsaine qui laisse peu de place pour des débats raisonnés sur l’avenir du pays. […] Dans nos écoles, la question des identités particulières a effacé le grand récit de l’histoire américaine, commençant avec la grande audace des pères fondateurs. Le récit actuel n’est plus celui d’une nation animée par un destin commun qui exigerait des sacrifices collectifs, mais d’un agglomérat de tribus désunies. Des particules élémentaires. Le libéralisme économique et le gauchisme culturel continuent de converger dans un cocktail explosif de communautarisme politique et d’ultra-individualisme moral. »
Sur l’entrée en scène fracassante du multiculturalisme en France en 1989 (affaire des filles voilées de Creil, célébration socialiste multiculturaliste du bicentenaire de la Révolution française, complaisance de SOS racisme et du pouvoir socialiste, contexte international avec la montée de l’islam politique sunnite et chiite) lisez l’important dossier qu’y a consacré le Marianne de cette semaine sous le bandeau : « Quand la République a capitulé. » Numero 1174. Il comporte un portrait passionnant d’Ernest Cheniere, le principal courageux du collège Gabriel-Havez de Creil qui raconte comment toute sa vie a été transformée par sa volonté de résister à l’entrisme islamiste dans son collège, d’autant que sa parole a été censurée par le pouvoir en place….
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TEXTE IMPORTANT, PASSIONNANT, LUMINEUX ET SI JUSTE… AVEC DES COMMENTAIRES À L’AVENANT, QUI SOULIGNENT LA QUALITÉ DE MABATIM. MERCIIIIII !
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Bravo pour cet article.
Et voilà comment l’idéologie régressive de la « diversité » ( à chacun son Eros, et vive Thanatos) , aboutit à la libération de la « pulsion de mort » selon Freud.
« C’est la mise en oeuvre de la pulsion de mort et ainsi que les diverses voies empruntées par elle que nous tenterons d’appréhender dans la singularité de notre époque, dominée par la rapidité et la permanence de l’information sur les événements traumatiques dans un contexte général de désinvestissement des « valeurs » de la civilisation occidentale ». A l’Aise dans la Barbarie, Grasset 1994.
Marc Nacht
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Merci pour la référence de ce livre Monsieur Nacht. Nos analyses convergent largement et j’aurai plaisir à vous lire.
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Il est vrai qu’au nom d’une égalité mal appréhendée, mal élaborée, mal comprise… Multitude de clivages, divisions, scissions et schismes ont été créés ou amplifiés quand ils existaient à bas bruits.
Et c’est là que se trouvent les raisons des troubles, querelles, voire guerres, que dans un même pays l’on voit se développer entre les individus entre-eux. Sur des sujets qui auparavant n’auraient été que des opinions pour échanges d’idées entre amis, dans des conversations banales.
Aujourd’hui, ce sont des conflits sévères que cela provoquerait.
La magnifique devise de la Révolution » Liberté, égalité, fraternité », prise à la lettre, sans contextualisation, deviennent des préceptes largement laxistes et soumis à toutes les dérives. Ce que l’on a pu largement constaté…et l’on peut voir qu’elles peuvent être sans limites, ces dérives.
C’est pourquoi le langage perd de sa valeur. (Logos), désigner par une définition devient aléatoire et douteux, et c’est ainsi que l’inversion ou la torsion des valeurs dans un sens qui peut servir n’importe quelle idéologie (bonne ou mauvaise), devient possible.
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La devise républicaine assez abstraite en elle-même avait trouvé une traduction concrète avec les lois sur la laïcité (28 mars 1882 loi Ferry sur la laïcité de l’enseignement scolaire ; loi du 9 décembre 1905 sur la séparation de l’Etat et des Églises). La liberté comme liberté de conscience et de culte, l’égalité de toutes les options spirituelles et enfin la fraternité, soit la co-existence pacifique de tous à l’intérieur de ce cadre légal protecteur. La fraternité, comme justice sociale est aussi une possibilité de rendre compatibles la liberté et l’egalite qui, poussées à l’extrême, se combattraient mutuellement. Enfin, votre remarque se justifie aussi parce que la fraternité signifie que l’humanite n’est qu’une seule et même grande famille.
Or en effet, poussés par un ressentiment érigé en justice et par un désir de revanche qui ne fait que rajouter de la violence à la violence, les multiculticulturaliste ont complètement fait l’impasse sur ce que Gandhi, Martin Luther King et leurs disciples ont quant à eux parfaitement compris, tout comme les fondateurs de l’Etat moderne d’Israel : on ne gagne pas contre le racisme et ses thuriféraires en s’engageant dans une rivalité mimétique avec eux mais en leur étant supérieurs sur le plan spirituel, y compris dans l’action politique.
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L’egalite de toutes les options spirituelles devant la loi ai-je voulu dire.
A la liste des sages du combat antiraciste il faut aussi bien sûr ajouter Nelson Mandela.
Les multiculturalistes ont boycotté toute sagesse.
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Merci Nadia, de cet apport explicatif qui m’aide à faire la synthèse de ma réflexion sur le sujet.
Bonne soirée,
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Oui, c’est la pathologie du narcissisme, l’instance psychique ennemie des conflits, des limites, de la temporalité. Nous ne sommes pas sortis de l’auberge, tant ce trouble prend de l’importance — avec la complicité d’une majorité de ceux qui seraient censés faire réfléchir (enseignants, politiques, journalistes) –, aux dépens du réel, avec sa nécessaire limitation de l’omnipotence infantile.
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