Israël : Comment la direction de la sécurité est devenue une clique fermée et vaniteuse

[15 octobre 2023]

Jusqu’à la fin de la guerre, nous sommes tous mobilisés et donnons aux dirigeants notre plein appui. Il faut être clair : concernant le plus grand échec de notre histoire, les responsabilités devront être clairement établies. Cet article est critique et traite des défaillances fondamentales de la direction de la sécurité, qui ont entraîné la catastrophe du samedi 7 octobre 2023. Il est de mon devoir, d’indiquer les raisons de l’aveuglement, qui étaient connues et non traitées, et exiger la refondation urgente de services de sécurité d’Israël. Il s’agit d’un besoin national existentiel. Cette critique n’a pas pour but d’affaiblir la cohésion du pays, mais la renforcer. Les hommes et femmes d’Israël sont extraordinaires. Tous, soldats, commandants, forces de réserve, volontaires et civils, accomplissent des actes héroïques et font preuve d’un dévouement sans bornes. Le rôle de l’audit des organes de sécurité, est de s’assurer que même au sommet, le fonctionnement est professionnel et de haute qualité, afin d’éviter à l’avenir d’autres tragédies.

En 2016, les responsables de la sécurité ont décidé de construire un mur souterrain compact autour de Gaza, comprenant des matériaux élaborés, grâce à une technologie de pointe. À la même époque, j’ai accepté un poste au bureau du Premier ministre et j’ai assisté à des réunions du cabinet, où on a évoqué cette décision encore secrète. J’ai tout de suite vu, que ce mur était une coûteuse erreur. D’autres erreurs ont été commises par des experts de la sécurité et des politiques, à propos de la menace de tunnels de Gaza vers Israël. J’ai mené des entretiens avec des personnes concernées par le projet du mur. Ces conversations m’ont beaucoup appris sur les « rouages » des services de sécurité israéliens. Alors que les chefs de cabinet étaient de l’avis des experts, beaucoup de leurs collaborateurs étaient d’un avis contraire. Évidemment, pas officiellement, la plupart d’entre eux étaient d’accord avec moi pour dire qu’il s’agissait d’une erreur stratégique, tant du point de vue militaire, que du point de vue budgétaire.

Cependant, comme d’habitude en Israël, l’unanimité des décisionnaires a interdit toute contestation. En 2021, cinq ans et plusieurs milliards de shekels plus tard, le projet a été achevé. Les hauts fonctionnaires n’avaient pas de mots pour louer cet ouvrage de défense unique. Le porte-parole de Tsahal a produit une vidéo émouvante, mettant en vedette le général de brigade Eran Ofir, chef de l’administration des frontières du ministère de la Défense, qui a parlé d’un mur de défense multifonctionnel à plusieurs niveaux, interdisant toute intrusion depuis Gaza. Eran Ofir déclarait fièrement

« avec tout le béton du mur, il était possible de couvrir une route jusqu’à Athènes, et avec l’acier, il était possible de produire une structure jusqu’en Australie ».

Il a remercié chaleureusement les concepteurs du mur, concluant par le message suivant aux habitants du pourtour de Gaza :

« aujourd’hui, nous disposons d’un obstacle unique de surface et souterrain, qui interdit toute intrusion en Israël ».

Le commandement supérieur n’est plus « à la page ». Il dispose d’énormes budgets, qu’il gaspille, car il n’a pas de compétences en stratégie militaire. La réflexion du commandement supérieur est standardisée, ses scénarios prospectifs banals et ses décisions empreintes de suffisance.

De nombreux hauts fonctionnaires se sont joints aux louanges de cet ouvrage de sécurité, avec enthousiasme. Le ministre de la Défense de l’époque, Benny Gantz, a déclaré :

« Cet ouvrage, qui est un projet technologique et créatif de premier ordre, érige un mur d’acier entre le Hamas et les habitants du sud. Cet ouvrage procure un sentiment de sécurité, qui permettra à cette belle région de continuer à fleurir ».

Gantz était encore mesuré par rapport au chef d’état-major de Tsahal, Aviv Kochavi, qui a fait des déclarations étonnantes :

« Cet obstacle fait partie du mur de fer de notre concept de défense… Il représente notre volonté de sortir des sentiers battus et exprime l’originalité de la pensée dans laquelle l’armée israélienne s’est résolument engagée. Cet ouvrage change la réalité. Je tiens à remercier tous les premiers ministres, les ministres de la Défense et les commandants qui ont fait de cette vision une réalité. En premier lieu, le lieutenant-général Gadi Eisenkot, qui a mené résolument ce projet, dont nous marquons aujourd’hui l’achèvement ».

Le directeur général du ministère de la Défense, le général de division Amir Eshel, à son tour, a fait l’éloge de cette réalisation :

« cet ouvrage de sécurité, est l’un des projets d’ingénierie les plus complexes jamais construits. Il constitue la preuve qu’il n’y a pas de tâche que l’establishment de la défense ne puisse accomplir ».

Même le premier ministre Benjamin Netanyahu a tweeté :

« Jour historique. Aujourd’hui, la barrière souterraine, qui bloque les projets meurtriers du Hamas depuis les tunnels a été inaugurée… Il y a cinq ans, j’ai soumis au cabinet la décision de construire un mur souterrain autour de la bande de Gaza. Il y a eu une grande opposition à cette décision… On a insisté, on n’a pas baissé les bras… Aujourd’hui, il a été inauguré ».

Le pathos ampoulé pour couvrir d’éloges cet ouvrage qui « allait changer la réalité » sera devenu la cause de la tragédie nationale.

Culture de l’omerta et des carriéristes

Question cruciale : qu’est-ce qui sous-tend ces déclarations et ces perceptions, qui se sont avérées si erronées et dangereuses ?

Pour comprendre cela, nous devons aborder la problématique stratégique et militaire. En tant que chercheur et conférencier en stratégie militaire et en histoire de la guerre, j’ai quelques compétences pour aborder ces thématiques. À la suite du grave échec de la deuxième guerre du Liban, au cours de laquelle j’ai réalisé à quel point la stratégie militaire était méconnue dans l’establishment de la défense, j’ai commencé à enseigner l’histoire et la stratégie militaires à différents niveaux. Lorsque j’ai constaté, l’état d’esprit déplorable des responsables de la sécurité, j’ai créé un module d’enseignement dans les collèges militaires intitulé « Introduction à la guerre et à la stratégie ». La méconnaissance, dans le haut commandement, des problématiques de la stratégie est un problème profond, difficilement imaginable chez les officiers de haut rang. Il semble qu’aucun général de Tsahal ne soit capable d’enseigner l’histoire et la stratégie militaires. La voie de l’avancement de Tsahal, est basée sur l’expérience tactique (en particulier offensive), alors que ceux-là même qui sont censés penser « stratégiquement » ont les connaissances en la matière anecdotiques et accessoires.

Dans le système, la vérité n’a pas de droit de cité. Mais la vérité demeure, quand bien même elle est tue. L’avancement de carrière dans l’establishment de la défense, devrait être conditionné, à partir du grade de colonel, à la connaissance et aux compétences des problématiques stratégiques. Nos généraux s’engagent dans la stratégie militaire et la construction de la sécurité nationale avec un amateurisme scandaleux. Au début de leur parcours d’officier, ils étaient de bons commandants de terrain et d’unité, et à partir de là, ils ont progressé principalement dans la politique organisationnelle. Ils n’ont aucune formation stratégique et aucune expérience pratique de la guerre. Les conversations avec eux, d’un point de vue professionnel, sont révélatrices de leurs lacunes, et consternantes par leur arrogance. C’est incroyable, mais c’est la réalité. Le commandement supérieur est hors le jeu. Il dispose de budgets énormes, mais il lui manque les bases d’une stratégie militaire. Ces officiers ont l’esprit étroit et leurs scénarios prospectifs sont banals, les entraînements préconisés sont routiniers, leurs décisions, souvent sont incohérentes et non adaptées aux besoins réels de l’armée. Ils sont déconnectés des soldats et des réservistes Ils ont inventé un langage pseudo-militaire, qui semble très sophistiqué, mais qui est détaché de la réalité. La direction de la sécurité est devenue une clique fermée et arrogante, un « club d’entre soi », caractérisée par un manque de professionnalisme. Et moins il est professionnel, plus il se ferme et plus il est rétif à la critique et à la supervision. Et les politiciens les suivent par manque de compréhension ou par la facilité, face à « l’autorité professionnelle ».

La défense n’est pas résilience

Le terrible massacre qui a eu lieu le 7 octobre, le pire de l’histoire de l’État d’Israël, nécessite encore une enquête approfondie. Cette catastrophe comporte de nombreux aspects. Mais pour comprendre, nous devons nous concentrer sur les dimensions stratégique et militaire qui ont amené ce pogrom. Ce sont ces dimensions qui nous aideront à pointer les principaux enseignements, à partir desquels nous pourrons tirer des conclusions, qui à leur tour, nous permettront d’appliquer les solutions correctrices.

La question la plus pertinente est :

quel est le concept qui a prévalu dans le système sécuritaire et politique, qui sous-tend ce tragique échec ?

La réponse peut se résumer à deux aspects :

« l’incompréhension de la guerre asymétrique » et « la prévalence de la technologie ».

Ce sont ces deux aspects, qui ont remplacé la pensée stratégique et militaire de l’establishment sécuritaire du pays.

En vérité, le concept d’asymétrie, « nous sommes plus forts qu’eux », imprègne très largement la conscience des membres de l’appareil militaire. Ce concept est responsable de la sclérose de la pensée et de l’érosion des capacités militaires. Mais ce « nous sommes plus forts qu’eux », a été implanté aussi dans les consciences du peuple, au point que les Israéliens considèrent que la victoire est un fait acquis à chaque conflit, car il suffit juste de vouloir la victoire, pour l’obtenir. Cette pensée est une grave erreur. Pour gagner, vous avez besoin d’un leadership professionnel en matière de sécurité, qui, au fil du temps, construit une force en cohérence avec une bonne stratégie. Seule, la mise en œuvre déterminée de ces solutions, est susceptible d’apporter la victoire. Le concept d’asymétrie « nous sommes plus fort qu’eux » entraîne de la complaisance, de l’arrogance et le non professionnalisme. Il amène l’érosion des capacités militaires et des mauvais arbitrages budgétaires, entraînant des investissements de « prestige » en inadéquation avec les besoins militaires.

Qu’est-ce que le système offre comme solution aux menaces locales, que la notion d’asymétrie fait paraître comme non existentielles ?

Nous arrivons ici au deuxième concept : la défense technologique. Elle aussi constitue un mantra profondément intériorisé par les bénis-oui-oui des élites militaires et politiques. La technologie est importante, ce qui, dans une application intelligente, peut être un facteur décisif dans une guerre, mais l’histoire prouve que la confiance aveugle en son efficacité à toute épreuve, risque de se terminer tragiquement.

C’est ce qui m’a amené à la conclusion, que la barrière à la frontière avec Gaza, bourrée des systèmes électroniques super sophistiqués était une erreur.

C’est pour cela que dans mes cours sur la stratégie et la guerre, je compare la barrière de Gaza à la Grande Muraille de Chine, à la ligne Maginot et à la ligne Bar Lev. Il n’y a pas de défense infaillible et pas de technologie sûre. Toute ligne de défense est vouée à être percée et ceux des responsables israéliens qui s’y sont fiés, ont mis gravement en cause l’existence d’Israël.

Après cette guerre, la plupart des « élites » sécuritaires et politiques devront être remplacées. Sinon, la survie de l’État d’Israël deviendra problématique.

Lorsqu’on me demande quelle est ma solution ? Je réponds qu’elle est fondamentalement basée sur l’humain et non technologique. Quiconque croit que les solutions technologiques sont en train de « changer la réalité », en disant, « Aujourd’hui nous contrôlons Gaza avec quelques écrans et quelques opératrices », se trompe. Mais la technologie n’est utile que lors d’un travail routinier. D’autre part, les solutions basées sur l’humain sont coûteuses et nécessitent un travail constant et chronophage. Le problème, c’est que la guerre brise la routine, dans ce cas, il s’avère que la technologie est un miroir aux alouettes. Au fil du temps, le recours à la solution technologique joue en faveur de l’ennemi. D’un côté, l’utilisation de la technologie seule, crée une fausse routine trompeuse, tandis que l’ennemi pirate la technologie, car piratable, puis franchit la barrière, désormais inopérante, obtenant un avantage tactique considérable.

L’establishment de la défense a créé l’illusion de sécurité, qui a été vendue au public comme une réalisation phénoménale.

Mon message était clair : la situation est très mauvaise. Le problème, c’est que les responsables de la sécurité gagnent la confiance du public et investissent massivement dans la propagande et l’auto-glorification. Mais on est ramené brutalement à la réalité, devant l’incurie tragique créée par la négligence.

Le principe de responsabilité

Je fais partie d’un petit groupe de critiques sévères de l’establishment de la sécurité. Le rappel à la réalité nous a explosé à la figure, prouvant que les dirigeants de la sécurité, militaires et politiques avaient échoué professionnellement dans des domaines existentiels, à un coût national énorme. L’establishment est responsable de l’événement le plus terrible de l’histoire d’Israël et de toutes ses conséquences tragiques. Il s’agit d’un échec stratégique et historique, où aucun retour en arrière n’est possible.

Alors, que fait-on ?

Le problème principal, ce sont les concepts stratégiques et tactiques erronés, qui ont été la base de la construction des systèmes de défenses israéliens. Ils doivent être abandonnés immédiatement. C’est la leçon primordiale de ce qui nous arrive.

C’est une question existentielle : nous devons nous débarrasser rapidement de l’asymétrie (« nous sommes le plus forts ») complaisante et du règne toxique de la technologie.

Deuxièmement, l’état-major, ainsi que les Gantz, Galant, Eisenkot, Hertzi Halevi, puis les politiques Benett, Lapid et Netanyahou, dont les concepts ont échoué, doivent être éloignés de toute structure militaire, sécuritaire et politique. Israël doit reconstruire de fond en comble sa sécurité nationale, et l’état-major n’est pas apte intellectuellement à cette tache. Ses membres sont imprégnés d’idées fausses et d’un manque de professionnalisme. La nécessité historique est maintenant de changer fondamentalement de « logiciel », qui doit redéfinir le positionnement d’Israël dans la région.

Qui remplacera ces « élites » qui ont failli ? Ceux qui ont fait preuve de bon sens, d’esprit critique, et de compréhension stratégique, même s’ils sont de niveau intermédiaire, ils doivent être « poussés » vers le haut. Et c’est à l’échelon politique, issu des nouvelles élections, de procéder à cette refondation.

Nous avons suffisamment d’officiers et de commandants talentueux, dévoués et intelligents. Il faut leur dispenser immédiatement, après la guerre, une formation stratégique et militaire approfondie. Ils doivent apprendre à penser de manière réaliste à propos de la stratégie militaire, ainsi qu’au changement de la lamentable culture organisationnelle qui régnait dans l’establishment de la défense.

Quant à Netanyahu, sur la scène internationale, il a eu des succès indéniables, mais dans le domaine sécuritaire son échec est irréparable. Sous sa direction, les conceptions erronées ont gagné du terrain, et il en a l’entière responsabilité politique et morale. Netanyahu doit accepter la responsabilité du pire échec sécuritaire de l’histoire d’Israël et ouvrir la voie à la réhabilitation de l’establishment de la défense.

Une fois la guerre terminée, les responsables doivent simplement dire : notre échec a entraîné des conséquences catastrophiques, nous demandons pardon au peuple d’Israël et nous nous retirons. La démission des responsables introduira le principe de responsabilité, qui fait tant défaut aujourd’hui dans la politique et dans l’establishment de la sécurité. RB

Dr Ran Baratz, Makor Rishon


Ran Baratz est chroniqueur et conférencier. Ancien responsable des relations publiques par intérim dans le bureau du Premier ministre Benjamin Netanyahu. Fondateur du site « Mida ». Baratz soutient le sionisme, le conservatisme, la liberté humaine et le marché libre, et promeut ces valeurs par le biais de conférences et d’écrits sur le site Web de Mida et dans divers médias.

Édouard Gris : Traduction et adaptation


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Un commentaire

  1. Cher Mr Ran Baratz,
    Votre analyse clairvoyante et très pertinente est tout simplement magistrale.
    Un Sun tzu vous approuverait assurément.
    Personnellement, je serais heureux de bénéficier de vos conseils avisés.
    Et s’il advenait que nous nous rencontrions, vous pourriez m’en instruire.
    Je suis un goy français qui, tant bien que possible, crée une Armée de Justes, non-politiques.
    Nous sommes dispersés dans les nations. Tous ceux qui sont des nôtres
    sont des hommes et des femmes intègres, ce dont le parcours de vie en témoigne,
    qui inclinent vers le Bien et la Vérité, plutôt que la vanité de paraître
    ( ce qu’ils ne seront jamais ), et se battent à mes côtés, spirituellement (et plus au besoin),
    contre les forces du Mal, cachées dans la montagne du grand mensonge.
    Depuis plus de 5o ans, ma foi en Dieu et aussi d’être disciple de Jésus, le juif par excellence,
    n’ont jamais fléchie. Afin de promouvoir ce projet d’armes des Justes, je compte réaliser
    mon 5ème film long métrage intitulé:  » LES INNOCENTS DE L’APOCALYPSE ».
    Il concerne le fléau diabolique des kidnappeurs et trafiquants de millions d’enfants,
    (porteurs d’avenir) depuis plusieurs décennies, pour les exploiter comme objets
    d’abominations sexuelles, jusqu’a ce que mort s’ensuivent ( puis la vente de leurs organes ).
    Cher Mr Ran Baratz, nos combats qui préludent la 3eme, inéluctable et dévastatrice « Der des der » se
    rejoignent, d’une certaine manière car nous nous soucions des « bruits de guerres » du proche avenir.
    Que la bénédiction du Tout Puissant d’Israël soit sur vous et vos proches.
    Pasteur (souvent iconoclaste)
    François Celier
    francois@celier.eu

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