
par Harold Rhode.
[17 avril 2024]
Alors que l’Occident s’efforce de trouver des compromis et la réciprocité, l’Iran y voit une faiblesse. Il s’agit d’un malentendu fondamental. En effet, le monde musulman perçoit toute concession comme une faiblesse. Dans le monde musulman, seules les nations faibles font des concessions. Une proposition de compromis est un signe de faiblesse et n’encourage pas l’autre partie à faire des compromis, mais au contraire à accroître la pression sur l’adversaire. Alors, l’Iran durcit ses positions en vue d’un « jeu à long terme »
Les façons de penser sont aux antipodes l’une de l’autre. Pour les États-Unis, la victoire dans la guerre froide est advenue grâce à la suprématie occidentale. Après des décennies d’équilibre des forces entre l’Occident et ses alliés, d’une part, et l’URSS et ses alliés, d’autre part, la situation a basculé en faveur de l’Occident. La guerre nucléaire redoutée n’a pas eu lieu. L’URSS s’est effondrée, les pays contrôlés par l’Union soviétique se sont libérés et la Russie est devenue, pour un temps, un partenaire diplomatique et commercial.
Les États-Unis aspirent à reconduire le même mode d’action, afin atteindre un équilibre des forces vis-à-vis de l’Iran et l’amener à un dialogue régional acceptable.
À première vue, cela semble être une position raisonnable, mais elle est naïve et témoigne d’une catastrophique méconnaissance de la mentalité des peuples du Moyen-Orient.
Malheureusement, l’Occident ne comprend pas comment les gens pensent et agissent au Moyen-Orient. Et Israël non plus ne semble être intéressé à intégrer cette donnée d’ethos islamique, pourtant fondamentale. Dans ce cas, notre politique est basée sur une mauvaise compréhension et une totale incapacité à « entrer dans la tête » d’un dirigeant arabe ou iranien.
L’Iran n’est pas intéressé par une politique « équilibrée » vis-à-vis de ses voisins, ni vis-à-vis d’Israël.
Ce pays conduit des politiques de conquête et d’humiliation, face à ses voisins arabes et sunnites.
Par ses actions tournées uniquement vers ses intérêts, les États-Unis, malgré eux encouragent l’Iran à poursuivre cette politique.
Nous sommes ignorants des différences entre le chiisme et le sunnisme. Donc, nous ne comprenons pas le but prioritaire des mollahs, qui est de faire triompher le chiisme sur toute l’Oumma islamique. Ils considèrent que le chiisme est le seul vrai islam, en conséquence de quoi toutes les autres versions de l’islam doivent être déracinées. Cette guerre fratricide a débuté avec la mort de Mahomet en 632 de notre ère.
Dans la rationalité occidentale, nous nous demandons pourquoi ils ne peuvent pas simplement s’asseoir et trouver un compromis raisonnable.
La réponse est non pour les raisons suivantes :
– Le concept occidental de compromis n’existe pas au Moyen-Orient. Dans cette partie du monde, faire des concessions avant de vaincre l’adversaire, signifie que la partie qui propose le compromis s’humilie honteusement. Pour quelqu’un qui a grandi dans cette culture, l’humiliation est pire que la mort. Ce fait, ainsi que l’hostilité historique entre les Arabes et les Perses couve sous la surface et explose ouvertement lorsqu’un côté identifie une faiblesse chez l’autre. Tout cela est basé sur un lourd passif historique et de profonds ressentiments.
– La conception occidentale de l’histoire peut être résumée par : « C’est du passé. » Abraham Lincoln, dans son deuxième discours d’investiture, a essayé de mettre de côté les sentiments déchaînés par la guerre civile (Guerre de sécession), lorsqu’il a proposé de se conduire « sans hostilité envers chaque homme et œuvrer pour le bien de chaque humain ». Les Américains ont tendance à rejeter les événements passés avec l’excuse : « C’est de l’histoire ancienne ». Ce concept est étranger à la pensée moyen-orientale, où les gens ont la mémoire longue.
Prenons, par exemple, la condamnation publique de Joe Biden, avant même qu’il ne devienne président, à l’endroit du prince héritier Mohammed ben Salmane, dans laquelle il a désigné le dirigeant saoudien personnellement responsable du meurtre du journaliste Jamal Khashoggi. Deux ans plus tard, en tant que président, Biden s’est tourné vers l’Arabie saoudite et a supplié le prince d’augmenter la production de pétrole, car celui-ci était devenu trop cher. Juste avant l’arrivée de Biden à Riyad, pour rencontrer le prince héritier, celui-ci a annoncé publiquement, que son royaume n’augmenterait pas sa production de pétrole. Les Saoudiens ont humilié Biden, qui visiblement n’avait pas compris le choix du moment de sa visite, pour annoncer la décision de l’Arabie Saoudite. Les Saoudiens, comme les Iraniens, gardent rancune et attendent le bon moment pour se venger.
Depuis des décennies les États-Unis mènent une politique pro saoudienne. Ainsi, lorsque, en 1988, un patrouilleur américain a accidentellement abattu un avion de ligne iranien au-dessus du golfe Persique, tuant 274 passagers et membres d’équipage, les Iraniens étaient persuadés que cela avait été fait « délibérément », car l’Amérique méprisait le régime des ayatollahs. Les États-Unis ont fait tout leur possible pour s’excuser et même payer des réparations, mais l’Iran n’a jamais cru en leur sincérité. Des années plus tard, le président iranien de l’époque, Hashemi Rafsandjani, a déclaré dans une interview, que l’Iran savait avec certitude que la destruction de l’avion était délibérée. Certains des experts de l’Iran à la Maison-Blanche ont été choqués par ces allégations. D’autres, ne se souvenaient même pas de l’incident. Après tout, c’était que de « l’histoire ancienne ». Les Iraniens ont un sens profond de l’Histoire, qui remonte à plus de 2 600 ans et en sont particulièrement fiers. Pour nous, en Occident, cela n’a aucun sens.
En revanche, le gouvernement de Téhéran dispose de hauts fonctionnaires qui comprennent bien la culture occidentale et savent l’utiliser à leur avantage. L’ancien ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Zarif, connaissait intimement la culture américaine. Lorsqu’il a « négocié » l’accord nucléaire de 2015, avec le secrétaire d’État John Kerry et le président Barack Obama, il les a facilement manipulés et s’en est même vanté dans un livre publié en persan. Au cours des pourparlers, John Kerry s’est blessé à la jambe et a dû utiliser des béquilles. Dans la culture du Moyen-Orient, contrairement à la culture américaine, c’est un signe de faiblesse.
Les Iraniens sont très friands de caricatures politiques cyniques, et plus Kerry se plie à leurs exigences, plus les béquilles dans les caricatures iraniennes sont grandes.
Washington, évidemment, n’a jamais saisi la signification cynique de ces caricatures. Lorsque certains experts occidentaux ont tenté d’expliquer la signification des caricatures dans le cadre des négociations, ils ont essayé de ridiculiser les avertissements. Par ailleurs, plus les États-Unis capitulaient devant les exigences de Téhéran, plus la couleur de peau du président Obama, dans les caricatures répugnantes devenait foncée.
En effet, la culture iranienne considère le teint clair comme un signe de beauté et le teint foncé comme un signe d’infériorité.
Ce comportement est culturel et il est vital d’en prendre conscience et d’en comprendre les implications.
Le faussé religieux entre les Chiites et les Sunnites
La culture iranienne peut être utilisée pour semer la discorde au sommet du régime des ayatollahs, mais une telle démarche nécessite une compréhension des forces en jeu. Malheureusement, elle n’existe actuellement pas en Occident. Au lieu de cela, les États-Unis semblent englués dans leurs certitudes et restent « imperméables » au fonctionnement de l’establishment religieux chiite. Pour nous, en Occident, ces détails semblent marginaux et par conséquent, ignorés.
Les chiites iraniens attendent le retour de leur Messie (le 12ᵉ imam, le Mahdi, descendant direct du prophète Mahomet), qui selon la tradition a disparu à la fin du IXᵉ siècle. Le Mahdi est considéré comme le seul véritable leader dans le monde chiite, mais en fait, aux yeux des chiites, pour tout le monde islamique. La croyance soutient également, que les hauts dignitaires religieux ne peuvent rien faire pour hâter son retour, sauf attendre, et jusqu’à ce qu’un autre régime politique soit rétabli, ils ne peuvent pas être considérés comme légitimes. Par conséquent, les mollahs ne peuvent pas gouverner.
L’ayatollah Ali Sistani, la plus haute autorité religieuse chiite, qui vit dans la ville irakienne de Najaf, depuis le début des années 1950, considère que les religieux ne peuvent pas exercer de pouvoir politique. Selon son approche, leur tâche est de répondre aux besoins spirituels de leur peuple.
Après la révolution islamique
Durant certaines périodes d’histoire du chiisme, un courant minoritaire considérait que les religieux peuvent gouverner, jusqu’au retour de Mahdi. C’est de là, qu’après la révolution islamique, les mollahs d’aujourd’hui tirent leur légitimité. L’ayatollah Khomeini, fondateur de la République islamique d’Iran, faisait partie de cette minorité. Il croyait en la « jurisprudence de gouvernement religieux », à laquelle s’opposaient presque toutes les personnalités de l’establishment religieux de l’époque. Mais Khomeini exerçait le pouvoir militaire et politique, par conséquent les opposants à Khomeini, tirant les leçons de l’histoire tumultueuse du chiisme, craignant une confrontation avec un régime puissant, se sont soumis.
C’est alors, qu’a émergé un groupe de religieux encore plus radical. Ses membres ont fait valoir que s’ils réussissaient à mener à bien une provocation violente majeure, cela forcerait l’imam caché à revenir, afin de sauver le peuple, prouvant ainsi au reste du monde musulman de la justesse de leur voie. Khomeiny s’est opposé à ce groupe, estimant que leur idéologie conduirait à une guerre civile, ce qui obligerait les puissances mondiales à intervenir et que cette intervention risquerait d’amener la fin de l’Iran. Il a fait de son mieux pour les empêcher d’arriver au pouvoir.
Après la mort de Khomeini en 1989, ce groupe extrémiste a réussi à s’emparer du pouvoir
C’est pourquoi, le regretté orientaliste Bernard Lewis avait l’habitude de dire que
le concept de dissuasion de « destruction mutuelle assurée » de l’époque de la guerre froide ne fonctionnait tout simplement pas pour le régime iranien.
Pour ce pouvoir, « la provocation est une incitation et non un moyen de dissuasion ». Pour les occidentaux, le concept décrit par Lewis peut sembler scandaleux ou ridicule, mais c’est ainsi que fonctionnent les dirigeants actuels de l’Iran.
Pouvons-nous utiliser ce conflit religieux interne iranien à notre avantage,detemps en temps, des conflits internes au sein de l’establishment religieux iranienayantconduit à des violences importantes ?
Oui, mais nous devons d’abord comprendre comment fonctionne l’establishment religieux chiite et se familiariser avec les divisions internes, qui semblent complètement étrangères à la pensée occidentale.
Les Perses sont majoritairement chiites et la plupart d’entre eux aimeraient voir les religieux revenir à leur rôle d’origine, à savoir les besoins spirituels de leur peuple. Peut-être devrions-nous exploiter ce désir du people iranien, pour l’aider à se libérer de la tyrannie des mollahs et rejoindre la communauté internationale…
Malheureusement l’Occident ne prend pas ce désir au sérieux. HR♦

Harold Rhode, Mida
Orientaliste américain
Traduction et adaptation pour MABATIM. INFO : Édouard Gris
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3 remarques, 1/ l’islam n’a pas une « mémoire longue » car il construit le passé, il le fabrique pour satisfaire ses appétits présents, il est ontologiquement négationiste. 2/ Le chiisme des mollahs est une invention calquée sur les frères musulmans sunnites. Les années 20-30 ont été les producteurs de tous les grands fascismes, nazisme, communisme, phalangisme auxquels se rattachent l’islamonazisme sunnite d’Al Kaïda et chiite des Mollahs.3/ Les américains avaient missionné une anthropologue ( Ruth Benedict) afin de mieux comprendre l’ethos Japonais, ils semblent avoir oublié la leçon.
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dommage pour le » faussé ».
autrement rien de neuf , les americains ne comprennent rien et sont guidés par l appat du gain.
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