Israël : Les mensonges sur « le jour d’après »

par Akiva Bigmann 
[23 mai 2024]

Après 7 mois d’une guerre avec ses hauts et ses bas, nous sommes entrés dans la phase, où toutes sortes de « spécialistes » proposent, pour le « jour d’après », des solutions fantaisistes irréalistes, qui créent des polémiques inutiles et sapent la cohésion du peuple.

Dans cet article, je voudrais passer en revue une série de propositions pour le « jour d’après », les comparer à la réalité sur le terrain et en tirer des conclusions. Malheureusement, toutes ces discussions semblent, du moins actuellement, vaines, comme s’il n’y avait pas d’ennemis et d’intérêts opposés.

Comme si toutes les décisions dépendaient de notre volonté seule.

On peut rêver :

– demain nous entrerons dans la bande de Gaza avec des troupes de pays arabes modérés qui auront vaincu le Hamas à notre place.

– Puis nous mettrons en œuvre une Autorité palestinienne renouvelée ou toute autre autorité civile locale et l’affaire sera terminée.

Tout le monde suppose que l’élimination du Hamas est imminente, et le Premier ministre nous promet une « victoire totale », après quoi nous partagerons le butin.

La réalité est tout autre.

Pendant ce temps, nous gaspillons l’énergie de ce peuple, dans des controverses vides de sens, sur un événement hypothétique et qui, peut-être, n’arrivera jamais, tandis que nos soldats meurent dans des opérations, dont l’utilité opérationnelle est discutable.

Afin que notre analyse repose sur une base solide, nous commencerons par décrire la réalité opérationnelle sur le terrain. Et tout d’abord, les faits.

Comme vous vous en souvenez peut-être, à la fin de la phase intensive de la guerre début avril, le porte-parole de Tsahal a publié une mise à jour, quant aux objectifs atteints :

« Dans le cadre du démantèlement et de la destruction du Hamas, nos forces ont éliminé 5 commandants de brigade du Hamas, 21 commandants de bataillon et 110 commandants de compagnie de l’organisation terroriste. Jusqu’à présent, 18 bataillons du Hamas ont été vaincus et 2 autres ont été partiellement vaincus. Les quatre bataillons qui sont restés intacts sont concentrés dans la ville méridionale de Rafah ».

Puis la plupart des forces de Tsahal ont quitté la bande de Gaza

L’hypothèse erronée admise par Tsahal est que le Hamas fonctionne de la même manière qu’une armée organisée en bataillons et brigades qui opèrent selon des procédures d’une armée régulière.

Par conséquent, éliminer les commandants du niveau intermédiaire, conduit à une désorganisation et un dysfonctionnement opérationnel, tout comme la mort ou la blessure d’une partie importante de ses forces. La définition acceptée dans la doctrine de combat est que la destruction de 60 % de la force de combat signifie la destruction de l’ensemble du cadre, et c’est la logique qui a guidé Tsahal.

Les tacticiens de Tsahal ne comprennent pas la façon dont opère une organisation terroriste.

Le Hamas n’a jamais été structuré comme une armée régulière.

– Ses cadres n’ont pas de savoir-faire du combat intégrant différentes forces nécessitant des systèmes de communication et de coordination complexes.

– C’est une organisation terroriste, basée sur des agents locaux et qui opère au sein d’une population civile.

– Elle n’a pas de logistique au sens militaire classique.

– Son commandement, en principe, n’est pas centralisé.

-L’opération coordonnée des forces de Nukhba (unité d’attaque du 7 octobre 2023) était très inhabituelle. L’attaque a été menée à proximité de la frontière, par des éléments basés à Gaza, face à des agglomérations israéliennes jouxtant Gaza et non par des unités mobiles organisées, que l’on voit dans les armées régulières.

Quelle est la situation réelle sur le terrain ?

L’armée israélienne estime à 16 000 terroristes éliminés y compris environ 1100 tués dans l’attaque elle-même du 7 octobre, ainsi qu’un nombre similaire de prisonniers. Étant donné que l’estimation selon laquelle la force du Hamas au début de la guerre se situait entre 30 000 et 35 000 terroristes, une moitié de ses forces serait éliminée.

Toutefois, les chiffres de Tsahal sont inexacts, et en fait, personne ne dispose de chiffres réels.

Tsahal base ses estimations sur plusieurs sources :

– les rapports des forces sur le terrain, décompte basé sur les frappes aériennes,

– rapports des Palestiniens

– et analyse des données sur les effectifs du Hamas, saisis lors des combats, qui sont peu fiables.

Chacune de ces sources a ses limites. Par exemple, le porte-parole de Tsahal, lui-même, rapporte chaque semaine la mort de « centaines de terroristes », sans préciser de nombre exact. Les estimations des services de renseignement américains rapportent que 30 à 35 % des effectifs du Hamas ont été éliminés. Et tout cela uniquement par rapport au nombre de terroristes connus avant la guerre, sans inclure de nouvelles recrues.

En ce qui concerne les tunnels, on estime que 65 % de tunnels sont toujours opérationnels.

Il faut rajouter au nombre global de terroristes les effectifs Jihad islamique, mais leur nombre reste inconnu, sans doute quelques milliers.

La distinction entre les terroristes du Hamas et du Djihad est pratiquement impossible.

Une source familière avec les différentes données et systèmes estime qu’en fait, il n’y a pas plus de 10 000 terroristes tués depuis le début de la guerre.

Selon les propres informations de Tsahal, les forces du Hamas dans le nord de la bande de Gaza sont loin d’être dysfonctionnelles. Un document interne, que j’ai publié il y a quelques semaines décrit un retour du Hamas dans les zones d’où l’armée israélienne s’est retirée :

Le jour d’après

L’une des propositions principales propose d’amener l’Autorité palestinienne dans la bande de Gaza. Toutefois l’Autorité palestinienne devrait être remaniée.

D’autres solutions incluent des États arabes modérés, dont le rôle reste à définir. Cette solution est proposée par l’Institut d’Études de Sécurité Nationale (INSS), qui est réputé pour représenter les thèses des démocrates américains. Voici le document que INSS a publié qui décrivant leur alternative :

« Cette alternative s’inscrit dans le cadre de la normalisation entre Israël et l’Arabie saoudite, afin d’initier une nouvelle architecture régionale. Elle sera coiffée par les États-Unis, des États arabes et la communauté internationale. Cette solution permettrait, avec l’implication principale de l’Égypte et d’un coordinateur de sécurité américain, la mise en place immédiate d’une administration de maintien d’ordre public dans la bande de Gaza. Israël serait chargé de la lutte contre le terrorisme en coordination avec l’appareil sécuritaire de l’Autorité palestinienne, à l’instar de son action dans la zone A de la Cisjordanie. L’Autorité palestinienne gagnerait le soutien du public gazaoui, grâce à un vaste programme de réhabilitation et d’assistance pour les résidents ».

« Tout le monde il est beau et tout le monde il est gentil… ».

Nous serons tous en bonne santé, jeunes et riches.

Sauf que l’Autorité palestinienne renouvelée reste un rêve. Elle est faible, corrompue, irréformable et contestée par la population palestinienne. Par ailleurs, elle n’a pas la capacité d’envoyer ses forces de police hors de son territoire et d’ailleurs, aujourd’hui elle refuse de coopérer avec Tsahal en Judée-Samarie même (Cisjordanie).

Quand avez-vous vu les forces de police d’Hébron aider la police de Ramallah ? Alors, aider Gaza… 

Après la montée du Hamas, des centaines des fidèles de l’Autorité palestinienne ont été massacrés ou expulsés. Bizarrement, même les auteurs du document admettent que c’est une option irréaliste, ils écrivent ce qui suit :

« Il y a un risque que cela n’empêche pas la renaissance du Hamas ; des changements politiques importants seront également nécessaires de la part d’Israël en Cisjordanie, et il y a aussi le risque que l’Autorité palestinienne s’effondre en raison de la surcharge de tâches et des tensions récurrentes entre la Cisjordanie et la bande de Gaza »

Il est clair pour tout le monde que cela ne peut tout simplement pas fonctionner. L’Autorité palestinienne n’est pas du tout intéressée à nous aider, bien au contraire. C’est plus un ennemi potentiel qu’un partenaire.

Mais « les faut qu’on et les y’a qu’à » proposent :

« Former une administration technocratique comprenant des personnalités locales non impliquéesavecle Hamas (sic). Cette administration serait chargée desmêmes taches que la solution précédente : l’ordre public, la reconstruction, la santé, l’éducation, etc. »

Le terme « technocrates » reste très flou, mais il a le mérite d’être neutre. Malheureusement, ceux qui sont en position d’influence à Gaza sont soit les membres ou des partisans du Hamas.

Comment garantir que ces « technocrates » ne se révèlent un beau jour, des « hamasocrates terroristes » ?

Là aussi, les partisans de cette solution y voient des lacunes car, « son succès dépend beaucoup de l’implication et de la volonté de l’Égypte, » ce qui n’est pas du tout acquis.

La thèse d’une Autorité palestinienne renouvelée, n’est qu’un grand tour de passe-passe. Le territoire et la population sont contrôlés par le Hamas.

Tant que les capacités militaires et politiques du Hamas ne sont pas détruites, aucune instance extérieure à Gaza ne pourra entamer la restauration de l’enclave.

Aujourd’hui on voit mal, qui serait intéressé et capable de relever le défi de la restauration de Gaza.

Par ailleurs, Tsahal combattrait le terrorisme résiduel par des incursions ponctuelles, depuis l’extérieur de Gaza.

Mais comment cela est-il censé fonctionner et se coordonner avec le nouveau pouvoir à Gaza et quid de la légitimité internationale ?

Il est fort à parier que, par un tropisme pour la terreur, l’UNRWA et la « nouvelle » Autorité palestinienne deviendront un nouveau « Hamas », mais sous un nom différent. Cette nouvelle entité s’opposera aux actions de Tsahal et donnerait des coudées franches au Hamas pour revenir sur la scène gazaouïe.

Début janvier, l’establishment de la défense et Gallant, le ministre de la Défense ont présenté une autre option, qui consisterait à donner la responsabilité de la bande de Gaza à une coalition internationale. Dont voici les grandes lignes :

– « Premièrement, Israël sera en mesure de diriger des actions civiles. Israël sera responsable de l’inspection des marchandises et fournira des informations à toutes les autres parties concernant les fournitures.

– Deuxièmement, un groupe de travail multinational dirigé par les Américains sera créé, et cette force sera rejointe par des représentants des pays européens et des États arabes modérés, y compris les pays des accords d’Abraham et d’autres. La Force multinationale d’intervention sera chargée de la reconstruction économique et du relèvement de Gaza.

– Troisièmement, l’Égypte servira de passerelle d’entrée civile dans la bande de Gaza en pleine coopération avec Israël.

– Quatrièmement, l’appareil administratif interne de Gaza sera composé de l’appareil interne en place, à condition que les membres de cet appareil ne soient pas affiliés au Hamas.

Selon le plan, les comités d’action locaux qui s’occupent actuellement des égouts, de l’éclairage, de l’électricité, de l’eau et de la nourriture continueront à fonctionner au niveau civil local et seront en contact régulier avec la force multinationale. »

C’est une « usine à gaz », qui devrait satisfaire tout le monde, mais en fait, personne. Ce n’est ni l’Autorité palestinienne, ni le Hamas, c’est « autre chose ». Cette proposition a été publiée en janvier, alors que la phase d’intensification de la guerre était à son apogée et que l’establishment de la Défense estimait que nous étions sur le point d’éliminer enfin le Hamas. Ce n’était pas réaliste à l’époque et ce n’est certainement pas réaliste aujourd’hui.

C’était aussi irréaliste par rapport aux pays arabes, qui ont indiqué clairement, qu’ils ne participeraient à aucune solution excluant l’Autorité palestinienne.

« Une source égyptienne a déclaré au journal « Al-Arabi Al-Jadid » que les responsables des pays arabes, à qui le plan d’Israël a été présenté, ont clairement indiqué qu’il n’y aura pas de forces arabes, sauf dans le cadre de transfert de la responsabilité dans la bande de Gaza à l’Autorité palestinienne. »

« Selon la même source, l’Égypte a refusé de participer à une force multinationale opérant à l’intérieur de la bande de Gaza et refuse de permettre à tout élément non palestinien de contrôler ou d’administrer l’enclave. »

En d’autres termes, il n’y a vraiment pas d’alternative à une force multinationale d’États arabes modérés et autres, qui seraient prêts à s’occuper de la gestion de la bande de Gaza après la guerre.

Donc, en fin de compte, tout revient à deux options de base :

– un retrait israélien et le transfert de la responsabilité de la bande de Gaza à des éléments palestiniens qui, quel que soit le nom qu’on leur donne, in fine sera le Hamas ;

– ou le maintien du contrôle israélien du territoire, sous forme partielle ou totale.

Le 23 février 2024, le Premier ministre Benjamin Netanyahu a publié le Plan du « jour après » :

« – Israël maintiendra sa liberté d’action opérationnelle dans toute la bande de Gaza, afin d’empêcher la reprise du terrorisme et de contrecarrer les menaces provenant de Gaza » ;

– Une zone de sécurité sera établie dans la bande de Gaza et dans le territoire frontalier d’Israël, tant qu’il y aura un besoin de sécurité ;

– Sur la frontière égypto-gazaoui dite, « l’axe de Philadelphie », Israël maintiendra le bouclage à la frontière entre Gaza et l’Égypte, afin d’empêcher la contrebande souterraine et aérienne en provenance d’Égypte, y compris au point de passage de Rafah.

Le plan de Netanyahu prévoit également, que la gestion civile et l’ordre public s’appuieront sur des facteurs locaux, toutefois cette disposition n’est pas une condition centrale du succès du plan. Ce plan sera accompagné d’une « déradicalisation complète dans toutes les institutions religieuses, éducatives et sociales de la bande de Gaza ».

Par ailleurs, « Israël agira pour fermer l’UNRWA ». Le plan se termine par une déclaration claire, rejetant la création unilatérale d’un État palestinien.

Le plan de Netanyahu se montre réaliste quant à l’élimination complète du Hamas et du Djihad islamique. Par conséquent, il stipule que la présence permanente dans le périmètre de sécurité et sur l’axe de « Philadelphie » est une condition sine qua non.

Le plan énonce clairement :

« pour atteindre le “jour d’après” Tsahal doit poursuivre la guerre jusqu’à ce que ses objectifs soient atteints, à savoir : le retour des otages et la destruction totale des capacités militaires et politiques du Hamas et du Jihad islamique. »

Ce plan n’est pas bon, car les objectifs qu’il fixe sont irréalistes et difficiles à atteindre, et donc, voué à l’échec.

Au tout début de la guerre, j’ai écrit sur la nécessité de fixer des objectifs militaires réalistes et atteignables pour cette guerre. Détruire les capacités d’une organisation terroriste est un objectif très, difficile, voire impossible à atteindre. Malheureusement, Israël a commis l’erreur de n’avoir pas commencé la guerre par Rafakh et l’axe Philadelphie.

La seule chose réaliste dans le plan de Netanyahu est la présence militaire permanente dans la zone de sécurité et sur l’axe de Philadelphie.

Le fait que l’axe de Philadelphie soit resté presque intact jusqu’à très récemment, est l’une des raisons pour lesquelles le Hamas se rétablit et se renforce si facilement.

Netanyahu, contrairement à d’autres, ne se fait pas d’illusions sur l’opinion internationale, les États arabes et l’Autorité palestinienne, mais il se trompe sur les capacités militaires de Tsahal.

Compte tenu de l’état insuffisant de nos armements et de nos stocks de munitions, les objectifs tactiques fixés à Tsahal sont irréalistes.

Rajoutons la quasi-guerre d’usure face au Hezbollah dans le nord d’Israël, la frustration et l’incompréhension des Israéliens ne fait qu’augmenter. Actuellement, Israël est dans une impasse stratégique. Ce qui aurait pu et dû être fait au début de la guerre, n’est plus faisable, et ce que nous avons fait, n’a pas donné les résultats escomptés. Les otages ne reviendront probablement pas par une action militaire, et même un accord avec le Hamas semble lointain.

Cette situation soumet Israël à une pression internationale insupportable. Les agissements des cours de la Haye et la reconnaissance de l’État palestinien par les pays européens en sont l’expression la plus flagrante. Si cela conduit également à des élections et à un changement de gouvernement en Israël, ce sera très grave et constituera sans équivoque une victoire claire pour le Hamas, qui aura réussi dans une opération barbare, mais limitée à contraindre Israël à un changement de régime et à des bouleversements politiques régionaux.

Dans cette situation, Israël doit faire preuve d’une résilience sans faille, se concentrer à restaurer sa puissance militaire et sa dissuasion et revenir aux valeurs traditionnelles de Tsahal. AB

Akiva Bigmann, MIDA
Journaliste


Traduit et adapté pour MABATIM par Édouard Gris


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Un commentaire

  1. l egypte d Al sissi est une ennemie des freres musulmans et donc du hamas ,et pourtant , elle a clairement trahie Israel ( un pays ami?) en faisant de l axe de philadelphie et de rafah le poumon du hamas , donc en laissant affluer sur son territoire quantité d armes pour attaquer Israel.
    nos strateges israeliens qui pensent que 2+2 =4 , devraient se faire former par des orientalistes pour decouvrir ce qu ils semblent ignorer totalement : nous sommes en orient !!!!! L ennemi de mon ennemi n est pas mon ami , et un arabe preferera toujours un arable qu il hait a un juif .

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