Israël : « Nos enfants, nos constructeurs… »

Presque entièrement détruit le 7 octobre, le kibboutz Be’eri a vu cette semaine la pose de la première pierre de sa reconstruction

Par Hannah 
[28 juin 2024]

Le 10 juin dernier, le lycée Himmelfarb de Jérusalem a fait venir un sofer stam1 pour écrire un sefer Torah (livre de Torah) à la mémoire de ses anciens élèves2 tombés au combat pendant cette guerre :

« Ce livre de la Torah sera écrit par un scribe dans l’enceinte du lycée et avec la collaboration des élèves, a déclaré l’un des professeurs du lycée, le rabbin Golan. Il est important que les élèves y participent. »

Le père d’Aner, Moshe Shapira, a expliqué aux élèves à quel point son fils désirait que le peuple soit uni, עם אחד (am e’had) mais qu’en même temps, cette unité protège la particularité de chacun :

(L’annonce de l’écriture du sefer Torah au lycée Himmelfarb à la mémoire d’Aner, d’Ariel, de Sha’har, de Dvir, de Ben et d’Oriah)

« Dans les livres de la Torah, chaque lettre doit être écrite séparément et ne doit pas être mélangée avec une autre lettre, et en même temps, chaque mot doit être clairement formé, ni trop large ni trop dense et ainsi est façonné le texte. Il en est de même ici : chacun d’entre vous est particulier, mais l’unité de tous donne un plus à chacun et c’est ainsi que doit être d’être le peuple d’Israël. »

Pourquoi écrire un sefer Thora ?

Parce que pour nous, l’écriture n’est pas seulement née très prosaïquement pour tenir des registres de comptes qu’il était impossible de conserver oralement, comme cela est généralement admis.

Je cite ici mon ami Yossi Cohen zal :

« Selon une tradition juive, l’écriture est une des dix choses tirées du néant le vendredi soir au crépuscule. Suivant cette croyance, l’écriture est une œuvre tout à fait exceptionnelle, offerte à l’homme par Dieu, au tout dernier moment de la création du mondeLes lettres hébraïques ont deux natures distinctes : L’une métaphysique, spirituelle et voilée, l’autre physique, tangible et perceptible, bornée aux limites de l’homme. Les deux sont éternelles et existeront à jamais.

C’est ce qu’affirme aussi le Baal Chem Tov, fondateur du Hassidisme, dans son ouvrage fondamental le Tanya, en commentant ce verset : À tout jamais, Seigneur, Ta parole existera (Psaume 119,89).

Il est dit que les lettres par lesquelles le Créateur fit le ciel et la terre doivent demeurer à tout jamais pour permettre la continuation de l’existence céleste et terrestre.

Si ces lettres venaient à disparaître et remontaient à leur source, toute la création disparaîtrait définitivement. »

Le sofer a demandé à chacun des parents endeuillés de venir l’assister dans la rédaction de la lettre à la mémoire de leur fils, le père devant toucher le bras qui écrivait :

Les parents d’Aner Shapira tandis que le sofer écrit la lettre de leur fils

Ainsi, l’âme du père descend dans la lettre qu’écrit le sofer et devient création.

Les deux premières lettres de l’alphabet sont le א aleph et le ב beit. Ces deux lettres représentent aussi les chiffres un et deux. Alors que le un est l’unité, le deux est la dualité et donc le début de la multiplicité.

Avant la création, il n’y a que Dieu – une unité complète et totale. Lors de la création du monde, cette unité divine crée quelque chose en dehors de Lui-même, introduisant la multiplicité et la finitude dans l’univers3. C’est pourquoi le premier mot de la Torah (Bereshit), Au début, commence par un ב (beit) parce que l’acte même de création implique la dualité4.

Le père, אב (av), composé des lettres א (Aleph) et ב (Beit), est celui qui engendre un enfant. L’engendrement d’un enfant est la transition essentielle de un à deux. Mais la lettre beit reste face à l’aleph – un אב (av), un père, n’est pas seulement celui qui crée l’enfant mais qui reste également connecté à cet enfant.

Enfin, si le père va d’aleph en beit, de un à deux, le fils (ben), se construit à partir de ce que son père lui a donné et continue de créer et de construire. En effet, le mot fils en hébreu est בן (ben) vient de la racine בנה (boneh) , construire. C’est aussi pourquoi il est écrit dans la guemara qui joue avec les deux mots בן (ben) fils et בונה (boneh) constructeur :

אל תיקרי בניך אלא בוניך
Ne les appelle pas tes fils mais tes constructeurs

J’écoutais ce matin la journaliste Cathy Choukroun nous parler de la résilience de la société israélienne qui choisit de célébrer la vie : ici elle interview la mère de Nathan Liard, tombé le 7 octobre, dont le nom deviendra celui d’une salle d’attente de la nouvelle maternité de l’hôpital Laniado à Netanya, la salle Nathan Liard.

Une salle où les familles entendront de bonnes nouvelles, une salle où on leur annoncera la naissance d’un bébé :

Au kibboutz Be’eri5 aussi on sait que nos enfants sont nos constructeurs : ils construisent et nous construisent

À bientôt, HB♦

Hannah, Boker Tov Yerushalayim


L’abri en béton où s’étaient cachés Aner Shapira et 30 jeunes qui avaient fui le festival de musique de Re’im

1 Sofer stam, ou סופר סת”מ en hébreu, est un scribe, expert en calligraphie hébraïque, dont la fonction est d’écrire des documents sacrés en suivant des règles précises, tant par rapport à la forme des lettres qu’aux outils d’écriture. Le mot סת”מ (stam) est l’acronyme des mots sifrei thora (livres de la Thora), tephilin et Mezouzot.

2 L’un des anciens élèves, Aner Shapira, a été tué le 7 octobre : réfugié avec une trentaine de personnes dans un abri en béton, il réussit à renvoyer 8 grenades que les terroristes avaient lancées vers l’intérieur de l’abri avant d’être tué. Un autre diplômé de l’école, Hirsch Goldberg-Polin, est retenu captif par le Hamas.

3 La création selon la mystique juive : la thèse du Tsimtsoum : Cette thèse, développée par Louria, Na’hmanide et de nos jours par Guershom Sholem, part de l’idée que la transcendance divine, le Ein sof, par définition Infini, ne peut laisser une place à la création, que s’Il opère une « contraction » sur Lui-même. La création n’a été possible que par « le retrait de Dieu en Lui-même », ce qui est désigné par le mot tsimtsoum. De là nos commentateurs déduisent que la principale attitude morale est celle qui consiste à ménager une place pour l’autre…

4 Il est intéressant de noter que le deuxième mot du texte de Bereshit commence lui aussi par beit est ברא (bara) qui signifie Il a créé. De son unité, il a créé la dualité. Les lettres de l’alphabet : Boker Tov Yerushalaim

5 Le Kibboutz Beeri : Boker Tov Yerushalaim

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