Par Michel Bruley 
[25 septembre 2024]

Arte a consacré 4 documentaires de 55’ au sujet de l’antisémitisme, ils couvrent une période qui va de 38 après J.-C. à la fin du vingtième siècle, mais pas l’actuel renouveau antisémite de ces dernières années ni celui qui se développe depuis le 7 octobre. (Des liens, à la fin de cet article, permettent d’accéder à ces documentaires).

Les documentaires ne se perdent pas dans des subtilités byzantines qui voudraient que l’on distingue la haine des Juifs en tant que peuple ou groupe ethnique (antisémitisme), de l’hostilité envers la religion juive et ses pratiques (antijudaïsme) et de l’opposition au mouvement politique qui a conduit à la création de l’État d’Israël (antisionisme). Ils relatent les faits à travers les siècles, à titre d’exemples et de façon non limitative : appels à séparer les juifs de la communauté, statut d’infériorité, imposition du port de la rouelle, accusations de crimes rituels, de crimes d’enfants… juifs envoyés aux bûchers, pogroms, solution finale…

L’antisémitisme des chrétiens a été constant

Sur cette période de 2 000 ans, la plus grande constante qui ressort c’est l’hostilité des chrétiens envers les juifs, il faudra attendre, Vatican II en 1965, pour qu’il y ait une rupture et que la mort du christ ne se soit plus due aux juifs pour les catholiques.

Sans détailler, on peut noter que le christianisme devenu religion de l’Empire à cause de Constantin (392), la traditionnelle tolérance romaine en matière religieuse est abandonnée. Saint Augustin présente les juifs comme un peuple fossile à maintenir dans un statut inférieur (413).

À l’occasion de la première croisade (1099), Pierre L’Ermite déclare :

« les ennemis sont chez nous, ce sont les juifs ».

Le 4ᵉ concile de Latran (1215) demande aux Rois de séparer les juifs des chrétiens. Pendant tout ce temps dans les Mystères joués devant les églises, les juifs portent des cornes et leur malfaisance est dénoncée.

En Espagne, Torquemada demande et obtient l’expulsion des juifs (1492).

La Révolution française accordera tous les droits des citoyens aux juifs avec un peu de retard en 1791 (la déclaration des droits de l’homme est de 1789) et cette émancipation est aussi octroyée dans d’autres pays : Empire ottoman, Royaume uni, Pays-Bas… Cependant en 1850 les juifs restent discriminés dans les États du pape Pie IX, il faudra attendre 1870 et la fin des pouvoirs temporels du pape du fait de l’annexion de l’état pontifical pour que les juifs obtiennent là leur liberté.

Les juifs ont toujours été de bons boucs émissaires

Le bouc émissaire a pour fonction d’endosser une responsabilité, des maux dont il est innocent, pour soulager les peines, les peurs, les angoisses d’une autre personne, d’un autre groupe ceci au sein d’une même famille, d’un même groupe ou entre groupes. Le bouc émissaire est immolé symboliquement ou physiquement pour expier.

Indépendamment de l’hostilité des chrétiens qui se veulent les remplaçants des juifs comme peuple élu et les accusent de toutes sortes de maux imaginaires, une autre constante des persécutions des juifs, c’est leur rôle de bouc émissaire dans diverses communautés, à diverses époques. Habituées à s’en prendre régulièrement aux juifs, les communautés les ont vus comme de bons boucs émissaires pour se soulager sans trop chercher d’autres solutions que de s’en prendre aux souffre-douleurs habituels des chrétiens pendant de si nombreux siècles.

Le bouc émissaire est généralement la victime de la jalousie.

Au-delà de la jalousie des chrétiens qui veulent être le nouveau peuple élu, les documentaires présentent de nombreux cas d’exactions motivés par la jalousie, de façon non exhaustive :

Les juifs ont fait aussi les frais de la prétention de définir scientifiquement les races

La prétention de définir scientifiquement les races est fortement liée au colonialisme qui, tout en se présentant comme une croisade libératrice, ne reconnaissait pas les peuples colonisés comme égaux aux Européens. L’infériorité scientifiquement affirmée permettait de justifier le statut subalterne des colonisés, même si assez rapidement des scientifiques ont rejeté la notion de races biologiquement définies et considéré que la race est davantage un concept social, culturel qu’une réalité biologique.

Dans ce jeu d’exclusion, le bouc émissaire juif est mal traité et l’on se met à distinguer (XIXᵉ) au sein de « la race blanche » les Aryens des Sémites. Au XXᵉ, le mythe aryen est en Allemagne récupéré par les national-socialistes de droite et s’exacerbe avec le concept de race pure qui écarte les Latins en général et les Français en particulier. Le Protocole des Sages de Sion, un faux de la propagande russe (1903), est récupéré par les nazis pour dénoncer la mainmise des juifs sur le monde et justifier leur extermination (2/3 des juifs européens ont été tués).

L’antisémitisme d’aujourd’hui ou le bouc émissaire universel

Absents de la plupart des pays musulmans, représentant 0,2 % de la population mondiale, les juifs subissent aujourd’hui un regain d’hostilité.

Les documentaires d’Arte s’arrêtent un peu avant la fin du XXᵉ siècle et ne rendent pas compte de la diversité de l’antisémitisme actuel qui en France par exemple va pour des raisons différentes de l’extrême gauche à l’extrême droite, en passant par des chrétiens ou musulmans du centre en peine de se passer de leur bouc émissaire traditionnel ; antisémitisme qui dans certains pays arabes est exacerbé par leurs échecs (Égypte, Algérie…) ; qui dans le monde prend fait et cause pour les Palestiniens ; qui en Chine… ; qui… ; qui…

On notera que les premiers boucs émissaires sont apparus dans la bible à l’occasion de cérémonies juives d’expiation au cours desquelles de vrais boucs sont symboliquement chargés de toutes les fautes et de tous les malheurs d’Israël, puis chassés afin de détourner la malédiction divine.

Finalement, on peut se demander si cette invention religieuse du bouc émissaire a été une bonne chose. MB♦

Michel Bruley, MABATIM.INFO