Syrie « libre » : le jour d’après

par Édouard Gris

Je commence par une bonne nouvelle pour la Cour Pénale Internationale, Bachar Assad est vivant. Il a trouvé l’asile auprès de son parrain Vladimir Poutine. Les médias officiels russes se sont empressés de diffuser l’information de la « démission du président Assad et d’une pacifique transmission du pouvoir ». Sans commentaire.

En tout cas, la CPI, qui était impatiente d’émettre un mandat d’arrêt contre le « boucher de Damas », peut enfin remplir la fonction pour laquelle elle a été crée.

Il faut dire un mot à propos d’Israël, qui, suite à la chute du régime d’Assad, a entrepris les bombardements systématiques des arsenaux, des usines d’armement, des aérodromes et autres cibles militaires d’Assad, afin que toutes ces armes et infrastructures militaires ne tombent pas aux mains des djihadistes de HTS Hayat Takhrir al Sham (organisation de libération du Levant1) et autres milices armées présentes en Syrie. Par ailleurs, les forces terrestres de Tsahal ont pénétré sur le territoire syrien créant une large zone tampon pour prévenir toute surprise désagréable de la part de nouveaux maîtres de Syrie. Pour compléter les précautions, Israël a pris pied sur le côté syrien du mont Hermon, afin d’assurer le contrôle sur toute la région adjacente au Golan israélien.

Apparemment et il faut s’en réjouir, Israël a tiré des leçons de son laisser-faire, durant des années face au Hezbollah et le Hamas.

Presque toute cette nouvelle zone tampon élargie est habitée par les Druzes. Par la voix du porte-parole en langue arabe le colonel Edri, Israël a fait savoir aux habitants druzes de ne pas quitter leurs villages devant l’avance de Tsahal et continuer de mener leur vie normale. En même temps, Israël s’est engagé vis-à-vis des villageois de les défendre devant d’éventuelles velléités des islamistes de la HTS, d’occuper les territoires druzes.

D’une pierre deux coups, en sécurisant son propre territoire les Israéliens défendent les Druzes syriens, ce dont les Druzes israéliens lui savent gré.

Le colonel Edri est le même qui, dans les médias libanais, avertissait les civils libanais de quitter des zones qui allaient être bombardées par Israël. Ce porte-parole en arabe est devenu « une vedette » très écoutée par les Libanais, car ils se sont convaincus, qu’il disait la vérité, et que grâce à lui de nombreuses victimes civiles ont été épargnées et que Tsahal jouait franc jeu. Par conséquent, les Druzes avaient toutes les raisons de faire confiance à l’armée d’Israël.

Tous ces bouleversements nous amènent naturellement à parler du sort des Russes. Devant l’avance des djihadistes, les Russes évacuent leurs bases syriennes. Par ailleurs, il y a plusieurs dizaines de soldats russes qui se trouvaient en missions de conseil ou de maintenance de matériels, quelque part sur le territoire syrien, qui par la fulgurance d’avance des rebelles, se sont trouvés isolés, et leur sort à ce jour reste inconnu.

Le plus cocasse est que Poutine négocie en douce avec Erdogan, pour que celui-ci laisse passer les navires russes quittant le port de Tartous, par le détroit des Dardanelles, qui débouche dans la Mer Noire. Erdogan ne le fera pas gratuitement et le moment venu, il exigera des contreparties qui risqueront de coûter cher aux Russes, si ce n’est déjà fait.

Le retrait de Syrie posera aux Russes un problème dont les conséquences politico stratégiques risquent d’être catastrophiques pour la Fédération de Russie. En effet, les bases de Hmimim (aérodrome militaire) et de Tartous (port militaire) étaient des hubs logistiques exclusifs pour les forces russes en Afrique et notamment dans des pays qui ont récemment « viré » les Français. Sans le soutien logistique, les soldats de Poutine. ne pourront pas se maintenir en Afrique, pire leur éventuel départ ouvrira largement les portes de l’Afrique aux Chinois, qui regardent patiemment les déboires des Russes en « se frottant les mains ».

Revenons maintenant à la Syrie. Il est fort à parier, que la Syrie en tant qu’état indépendant et souverain ne renaîtra plus. Dans cet espace se créeront, au gré des conflits, des entités qui se combattront suivant leurs intérêts et alliances. La guerre civile commencée en 2011 n’est pas près de se terminer et qui d’ailleurs se transforme peu à peu en un conflit régional, où surtout deux puissances s’affrontent : la Turquie et l’Iran. Il y a aussi 40 millions de Kurdes, soutenus par les Américains et en douce par Israël, qui tôt ou tard voudront leur pays souverain, à quoi la Turquie est farouchement opposée.

Il y a toujours des Sunnites, islamistes ou non, il y a des Chiites, qui préféreront le soutien iranien, et puis il y a les Druzes… Dans cette configuration, comment ne pas penser au sort du Liban qui a connu une guerre civile de 20 ans et dont les plaies ne sont pas près de guérir.

L’acteur clé des développements en Syrie c’est évidemment HTS et son chef, dont le nom de guerre est Al Joulani (Celui qui vient du Golan, ce qui est mensonger car il est né à Riad en Arabie Saoudite, dans une famille aisée). Aujourd’hui, il a abandonné son look djihadiste et se présente sous son vrai nom, Ahmed Hussein Al-Chara. Il a troqué le turban, la jelabah et les sandales pour une tenue « à l’Européenne » ou treillis militaire propre et bien repassé. Il arbore une barbe hipster, propre sur lui et une coiffure soignée. Un vrai bobo parisien. Il lui manque juste un vélo et un régime végétarien à base de tofu. Et déjà les gauches et pas seulement, européennes voient en lui un Ché Guevara ou un islamiste modéré.

Ah, les pauvres naïfs !

Est-ce qu’un nazi modéré cela à un sens ? Mais nos idiots utiles ne sont pas à un oxymore près. Lorsqu’on regarde le CV de ce Al Joulani, on découvre le parcours d’un djihadiste modèle, qui est passé par Al Qaïda et Daech. Il a du sang sur les mains autant que Ben Laden ou Ayman Al-Zawahiri.

Et la Turquie dans tout cela ?

Il faut dire qu’Erdogan a mené une politique agressive en constituant une tête de pont sur le territoire syrien. Le moment venu il s’en servira pour attaquer les Kurdes. Il a compris aussi que sans un proxy à l’intérieur du pays il aura du mal avec les Kurdes car ce sont d’excellents soldats, bien organisés avec une direction politique pragmatique et intelligente.

Alors, depuis des années, la Turquie, arme, entraîne et organise son proxy HTS dont il partage la vision islamiste des Frères Musulmans.

Erdogan n’attendait qu’un moment propice, le Hezbollah à genoux et l’Iran affaibli, pour faire tomber Assad. N’oublions pas qu’Erdogan, sunnite, veut restaurer l’Empire ottoman et que l’Iran chiite est un obstacle sur sa route de domination sur le Moyen-Orient. Alors, faire tomber Assad, le pion de l’Iran, est un premier pas dans une confrontation géostratégique avec l’Iran. Le prochain pas sera une attaque contre les Kurdes qui sont comme un caillou dans la babouche d’Erdogan, dans son projet impérialiste de la grande Turquie.

Question pertinente : la Turquie remplacera t’elle l’Iran face à Israël ?

Les Grecs et les Chypriotes (depuis 50 ans la Turquie occupe le nord de Chypre, sans qu’aucun des donneurs de leçons occidental à Israël ne lève le petit doigt), pourraient peut-être donner un début de réponse à cette question.

Le grand perdant de cette nouvelle situation au Moyen-Orient est l’Iran. L’anneau de feu autour d’Israël anéanti, ses proxys le Hezbollah, Hamas, Djihad Islamique et la Syrie, hors course. L’Iran a subi un KO stratégique sans précédent, sans parler de l’hostilité du peuple perse vis-à-vis des mollahs qui ont précipité le pays dans le mur.

Alors, la seule façon pour l’Iran de reprendre sa place est la course à l’arme nucléaire.

Concernant cette question Trump et Netanyahu sont d’accord. En aucune façon l’Iran ne peut accéder à la bombe atomique et espérons que quelle que soit la façon de l’en empêcher, elle sera commune entre l’Amérique de Trump et Israël de Netanyahu. EG

Édouard Gris, MABATIM.INFO


1 nom donné par l’islam aux territoires comprenant la Syrie, le Liban, l’Irak, la Jordanie, Israël d’aujourd’hui, la Cisjordanie et Gaza.


En savoir plus sur MABATIM.INFO

Abonnez-vous pour recevoir les derniers articles par e-mail.

Un commentaire

Laisser un commentaire. Il sera visible dès sa validation.