Il y a 77 ans les enfants du kibboutz Kfar Etsion étaient évacués vers Jérusalem.
Le kibboutz était sous le feu de la Légion Arabe et la situation devenait critique, mais la décision d’évacuer les mères et les enfants n’avait pas été facile à prendre. Il est vrai que si les enfants étaient en danger et ne pouvaient pas combattre, les mères combattaient avec les hommes et leur départ affaiblirait les défenseurs du kibboutz. Finalement, discussion après discussion, la décision fut prise : les enfants et les mères devaient partir. Certaines cependant confièrent leur bébé à une amie et restèrent pour se battre aux côtés de leur mari.
Les adultes restants au kibboutz savaient qu’ils n’avaient que peu de chances face à la Légion Arabe bien équipée et organisée. Dirigée par des officiers britanniques et commandée par Glubb Pasha, un officier anglais converti à l’islam, c’était la force militaire la plus moderne et la mieux organisée de la région.
Et de fait, le 13 mai ils furent attaqués par les véhicules blindés de la Légion Arabe soutenus par des miliciens des villages arabes avoisinants.
Le kibboutz tomba après une journée de combats.
Après la bataille, les survivants furent rassemblés et les miliciens arabes les massacrèrent. Sur les 131 combattants juifs, dont 21 femmes, seuls 4 survécurent à la bataille et au massacre qui s’ensuivit.
David Ben Gourion avait demandé aux Anglais de permettre l’évacuation des enfants.
Les Anglais entassèrent dans un camion blindé les enfants cachés sous des sacs où se trouvaient vêtements et jouets et les mères furent transportées séparément. Ils parvinrent au monastère Ratisbonne, en plein Jérusalem, un monastère catholique français. Construit entre 1876 et 1897, c’était aussi une école professionnelle et un orphelinat. Ce n’était pas un endroit des plus sûrs car la ville était souvent bombardée mais les sous-sols formaient un abri solide pour les enfants et leurs mères.
Monastère Ratisbonne
Certains enfants étaient assez grands pour se souvenir1.
Yefet :
Comment je suis arrivé à la voiture blindée, je ne sais pas, mais je me souviens qu’ils nous ont fait asseoir à l’intérieur du véhicule blindé. C’était bondé, il n’y avait presque pas d’air à l’intérieur. Pour avoir une place, tout le monde a écarté les jambes et on nous a fait asseoir les uns dans les autres. Ils ont rempli tout le véhicule blindé avec les enfants. Nous suffoquions à cause de la chaleur, avec toutes les couches de vêtements contre le froid… C’était le mois de Tevet, après Hanoukka, en plein hiver, et je me souviens que mon père me regardait. Il y avait un espace entre le toit et le côté de la voiture blindée. À part les fentes de tir, il y avait un espace au sommet, et c’est là que je l’ai vu pour la dernière fois, en train de regarder à l’intérieur. Ma mère voulait rester combattre aux côtés de papa, mais elle a découvert qu’elle était enceinte et mon père lui a dit « Maintenant tu dois partir. » Deux jours plus tard, elle a rejoint le convoi qui revenait à Jérusalem et n’a même pas voyagé dans une voiture blindée, mais dans une camionnette ouverte, dans laquelle elle était assise à l’arrière… Nous nous sommes retrouvés au monastère.
Naomi :
Mon père m’a donné un fusil pour le cacher sous moi, car nous étions accompagnés par des jeeps de l’armée qui étaient censées nous couvrir sur le chemin, et mon père ne voulait pas que les soldats anglais sachent que nous avions des armes, c’était illégal. Alors je me suis assise comme ça, un fusil sous moi et un bébé dans les bras, parce qu’il n’y avait pas de place… Lorsque nous sommes arrivés à Bethléem, la police britannique nous a laissés à notre propre sort.
Je me souviens de l’immense tension dans le camion. On nous a dit de nous taire, de rester tranquilles. Un de mes amis m’a pris le fusil, s’est dirigé vers une fente à l’arrière du camion et a pointé le fusil. On pouvait sentir une terrible tension dans l’air. Nous roulions dans un silence terrible. Quelques enfants ont commencé à pleurer, mais ils se sont immédiatement tus… jusqu’à ce que nous arrivions au monastère de Ratisbonne… Les caves du monastère étaient larges et froides mais bondées… Nous étions environ 80, dont 57 enfants. Je me souviens des cris des enfants et des voix des mères qui les consolaient, je me souviens des moines qui avançaient rapidement, sans bruit… Jérusalem était bombardée tous les jours mais quand il n’y avait pas d’alerte je courais au soleil dans la cour…
(Le départ des camions remplis d’enfants. Photographe inconnu)
Le monastère avait été fondé 70 ans auparavant pour servir d’orphelinat et retrouvait son objectif initial : accueillir des orphelins.
Les mois passèrent, la guerre ne fit que s’intensifier et les espoirs de retour au kibboutz semblaient de plus en plus minces.
Le 4 avril, la mauvaise nouvelle arriva au monastère :
מלכה נפל (Malka nafla) la reine est tombée. Ce message fut le dernier que la combattante Ra’hel Doron2 put envoyer : il annonçait la fin.
À cette annonce,la reine est tombée, les enfants furent envoyés jouer dans la cour pour ne pas entendre les cris de détresse de leurs mères.
Yaïr :
Je ne sais pas ce que fut la dernière bataille, ni comment mon père a été tué. Mais je me souviens quand ils nous ont dit à Ratisbonne que le kibboutz était tombé… Je me souviens des cris que j’ai entendus des mères à l’étage, des cris terribles, des pleurs… Ma mère était une femme forte, elle était toujours l’une des plus fortes, et elle réconfortait les autres, elle ne s’est jamais effondrée.
Geoula :
Tout ce dont je me souviens, c’était des pleurs et des cris. Ma mère pleurait aussi, et je me souviens d’être allée chercher ma petite sœur, pour qu’elle arrête de pleurer… Quelques jours plus tard, un télégramme arriva de l’autre côté du Jourdain, avec la liste des prisonniers… Toutes les femmes comprirent que si leur mari n’était pas sur la liste, cela signifiait qu’il avait été tué…
Les mères et les enfants évacués restèrent pour certains à Jérusalem, d’autres s’installèrent dans le centre du pays, à Givat Aliya, un quartier en ruine de Yaffo au sud de Tel Aviv, où ils installèrent une sorte de kibboutz de veuves et d’orphelins.
Chaque année, leur groupe revenait sur la ligne d’armistice avec la Jordanie, sur une butte à côté du kibboutz Ramat Rahel3…
Ils voyaient les bâtiments militaires jordaniens et se persuadaient qu’ils pouvaient voir le grand chêne dressé à l’intersection des routes menant aux kibboutzim détruits :
En 1967, la guerre des 6 jours permit de reprendre les territoires de Judée et de Samarie conquis par les Jordaniens pendant la guerre d’Indépendance. Le 27 septembre 1967, les enfants de Kfar Etzion et leurs mères allèrent se recueillir sur les tombes des combattants et leur dire :
Chers proches, vous qui êtes tombés à la bataille du Kfar Etsion, nous venons vous informer, que nous allons rebâtir le kibboutz.
Et c’est ce qu’ils firent et le chêne vieux de 700 ans, et qui avait résisté à toutes les guerres devint le symbole du Goush Etsion.
En chemin, à la sortie de Jérusalem, ils s’arrêtèrent au tombeau de Rahel, symbole des mères juives4 pour lui répéter les paroles du prophète Jérémie5:
Retiens ta voix pour ne pas pleurer et tes yeux pour ne pas verser de larmes.
Car il y a une récompense pour vos œuvres, dit l’Éternel.
Et ils reviendront du pays de l’ennemi.
Et il y a de l’espoir pour toi après toi, dit l’Éternel.
Et les enfants retourneront dans leur frontière. (Jérémie 31,15 et 16)
Ils s’installèrent dans des bâtiments de l’armée jordanienne, bâtiments en tôle qui ne protégeaient ni du froid ni de la chaleur. Cette année-là, l’hiver fut dur, la neige atteignait un mètre de haut, il n’y avait aucun moyen de se chauffer, et pas d’électricité.
En 2017, ils fêtèrent les 50 ans du kibboutz par ce chant, compose par l’un d’eux Eytan Shoham : מלכה קמה (Malka Kama) La reine s’est relevée :
Le monde converge vers l’odeur de la terre et des pins. La récolte et les hommes sont rentrés. L’odeur de la terre fouette les sommets, dans le ciel les nuages se battent avec un rayon de soleil. À côté des épines, la terre têtue, le cyclamen enfoui, la terre est saturée de pluie et de sang. La reine est tombée mais la reine s’est relevée, ses sujets applaudissent : elle a ôté sa robe de captive et a mis ses vêtements de splendeur pour les nations. Elle regarde vers la mer, tournant le dos aux monts d’Edom. Ses fils ont appelé à la liberté, au retour à la maison. Revenez à votre héritage pour toujours. Elle marche comme une fiancée à la rencontre de son fiancé, une ketouba si ancienne… sur ce chemin sinueux sur les hauteurs qui la mènent du passé à demain. Et l’homme étendra ses mains, élèvera sa prière vers Dieu, et chantera le chant du cœur, un chant de louange, pour l’année du Jubilé.
Les enfants du Kfar Etsion ont survécu.
Mais les descendants des villageois qui ont perpétré ce massacre sont les terroristes qui sévissent actuellement en Judée-Samarie.
Eux et ceux de Gaza, ce sont les assassins qu’on libère de prison maintenant, une rançon que nous devons payer pour récupérer quelques otages, en pensant à tous ceux qui ne rentrent pas, dont on est sans nouvelles comme Shiri Bibas et ses deux enfants Ariel et Kfir.
Comme le dit Yossef Haddad6: il n’y a pas de non impliqués à Gaza, même les enfants le sont.
Et comme l’explique l’islamologue Eliahou Yossifian :
– Les enfants de bordure Protectrice (la guerre de 2014) sont les terroristes du 07.10.23
– Les enfants des Épées de Fer (la guerre actuelle) à Gaza sont les terroristes d’un prochain 07.10.
– Ils continueront à nous assassiner tant que les gouvernements, le Forum d’État-major, le système juridique et tout ce que cela implique ne se rendront pas compte qu’il n’y a pas d’enfants de l’autre côté, mais que tout le monde est un ennemi,et que nous devons donc nous comporter de manière responsable. Par conséquent. tout est une question de perception.
Ils sont les terroristes du prochain massacre parce qu’ils reçoivent cette éducation mortifère dès le plus jeune âge :