7 octobre : Gam zou le tova*

* tout cela aussi est pour le bien

Par Serge Siksik,
[Tel Aviv le 11 septembre 2025]

« Le mal peut interrompre le sens, mais il ne peut l’abolir »
Emmanuel Levinas

Aujourd’hui, je vous propose une réflexion qui pourra surprendre, et même choquer. Mais nous sommes le peuple du Livre, donc du Verbe. La mahloket, le débat, la confrontation d’idées, est consubstantielle à notre identité. Ne nous en privons pas : discutons, polémiquons, questionnons, interrogeons mais toujours pour nous renforcer et nous rapprocher de l’essentiel et les uns des autres.

Le philosophe, mathématicien et métaphysicien allemand Gottfried Wilhelm Leibniz (1646–1716) dans son ouvrage, Essais de Théodicée sur la bonté de Dieu, la liberté de l’homme et l’origine du mal (1710), a conceptualisé la « théodicée » dont l’étymologie vient du grec ancien Theos (Dieu) et dikê (justice ou jugement) : l’acte de justifier Dieu…

Pour Leibniz, malgré la souffrance et le mal, ce monde est « le meilleur des mondes possibles », car un Dieu bon et sage n’aurait pu choisir qu’un plan global qui, à terme, conduit à un bien supérieur.

Leibniz n’était pas juif mais protestant et profondément croyant. Il a voulu donner une base rationnelle à une foi déjà ancienne : le mal, incompréhensible pour l’homme seul, s’inscrit dans un dessein qui le dépasse.

« Gam zou letova » est la racine juive de la théodicée !

Bien avant Leibniz, le Talmud avait déjà formulé ce principe. Dans le traité Ta’anit 21a, on rapporte l’histoire de Naoum Ich Gamzou, maître du IIᵉ siècle, qui répétait inlassablement :

« Gam zou letova » « Cela aussi est pour le bien ». Même lorsqu’il vivait des épreuves terribles, il voyait en elles une préparation à une bonté future.

Ce leitmotiv talmudique précède la réflexion de Leibniz de plus de seize siècles.

Là où le philosophe allemand construit une théorie abstraite, le Talmud incarne cette foi dans une figure de chair et de sang.

Il n’y a pas de preuve que Leibniz ait connu ce traité du Talmud.

Mais il est frappant de constater que la philosophie européenne du XVIIIᵉ siècle rejoint une intuition juive déjà exprimée depuis l’Antiquité :

Derrière le mal, se cache un bien futur. Ce que l’Europe nommera « théodicée », Israël l’avait déjà inscrit dans sa mémoire et dans sa prière : Gam zou letova.

Un écho juif de ce « principe » se prolonge à travers le géant italien kabbaliste et philosophe Ramal, Rabbi Moché aïm Luzzatto (1707–1746), contemporain plus jeune de Leibniz.

Le rabbi de Padoue reprend ce concept en l’établissant avec une force nouvelle. Dans son Derekh HaShem et son Daʿat Tevunot, il explique que tout ce que fait le Saint, béni soit-Il, est pour le bien véritable (Tov ha-amití).

Le mal nest pas une fin en soi, c’est une étape obscure nécessaire pour que se révèle, à la fin, la lumière divine. Le mal devient un instrument provisoire qui permet la révélation dun bien ultime.

Certains commentateurs ont même parlé d’un quatorzième article de foi implicite, venant compléter les 13 principes de Maïmonide :

Croire que « tout concourt au bien », même lorsque tout semble perdu.

Pour Ramal, cette foi n’est pas une consolation pieuse, mais une exigence fondamentale de l’existence juive.

Si un peuple au monde peut témoigner de la validité de cette foi paradoxale, c’est bien Israël.

Durant 58 siècles, nul peuple n’a expérimenté autant d’épreuves et de résurrections qu’Israël : Abel assassiné par Caïn, premier sang injuste – L’esclavage en Égypte – La destruction des deux Temples et les dispersions – Les pogroms médiévaux, l’Inquisition, les expulsions – Les massacres de Hébron (1929), la Shoah, les guerres de 1948, 1967, 1973 – Les assassinats de Juifs pendant la guerre d’Algérie, les attentats modernes.

Chaque siècle, depuis la création (–3760) jusqu’à 2025, a apporté sa part de persécution. Et pourtant, Israël vit encore. La langue hébraïque renaît. Le pays reconstruit.

La promesse se maintient. Gam zou letova : tout cela aussi est pour le bien, même si l’homme ne le perçoit qu’a posteriori.

Le 7 octobre 2023 est devenu le point d’orgue de ce drame. Un pogrom en terre d’Israël : familles massacrées, enfants brûlés, femmes violées et enlevées. Israël s’est découvert vulnérable, nu, comme si toute l’histoire des persécutions s’était concentrée en une journée.

Mais, dans la logique de la théodicée, ce n’est pas seulement un désastre : c’est une révélation.

– Révélation de la barbarie.

– Révélation de l’isolement d’Israël.

– Révélation aussi d’une mission : survivre, résister, et rappeler au monde que l’histoire a un sens, même quand tout semble perdu.

Les nations, au lieu de soutenir Israël, se sont retournées contre lui.

Les bourreaux sont acclamés, la victime criminalisée. Les campus applaudissent les slogans meurtriers, l’ONU multiplie les condamnations iniques.

Et à Paris, un président désorienté préfère flatter les foules hostiles plutôt que de défendre la justice, il offre un état aux assassins de juifs et danse sur leurs tombes. Il se fait l’instrument d’un monde à l’envers : la banalisation du crime et la criminalisation de la défense.

Affirmer « Gam zou letova » face à l’abîme du 7 octobre n’est pas un optimisme naïf, mais un acte de foi radical.

C’est dire l’indicible : que même cette horreur doit accoucher d’une lumière. Non pour excuser le mal, mais pour lui refuser le dernier mot.

Ramal ne prêche pas un optimisme candide. Il appelle à affronter le mal, car son rôle même est de provoquer l’émergence du bien.

Ainsi, le 7 octobre n’est pas la fin de l’Histoire, mais une étape. Une blessure qui appelle une réponse : plus de vie, plus de souveraineté, plus de fidélité à notre mission.

La théodicée dépasse le judaïsme, elle interroge l’humanité entière. Que faisons-nous du mal ? Le nions-nous ? Le justifions-nous ? Ou croyons-nous encore qu’il existe un horizon où la justice triomphera ?

Le peuple juif, par son existence même, répond : oui, il y a un sens. Oui, malgré 58 siècles de persécutions, l’histoire n’est pas absurde.

Car Israël vit, parle hébreu, bâtit, se hisse au hit-parade mondial dans de nombreux domaines et témoigne que la promesse demeure.

Il manque bien un quatorzième article de foi : croire que tout concourt au bien.

– Naoum Ich Gamzou l’a proclamé : « Gam zou letovah » : cela aussi est pour le bien

– Shlomo Alkabetz l’a chanté : « Sof ma‘assé be-maashavah teilah » : la fin de l’action était déjà dans la pensée première.

– Le Ramal l’a enseigné : « Tov ha-amití » le Bien véritable, n’est autre que la lumière de D.

De siècle en siècle, ces voix forment un même chœur. Elles nous donnent la clef de la survie d’Israël :

Tenir debout, car la promesse du bien était inscrite dès l’origine et se révélera dans la fin, et cette pensée, depuis la création, est une pensée de VIE.

Le 7 octobre a lacéré notre chair, mais il n’a pas brisé notre peuple. Cette nuit de pogrom et de feu n’est pas une fin, elle est la traversée d’un abîme, et déjà la promesse d’une aurore.

Israël ne se tait pas, Israël se dresse. Il porte dans son âme la cicatrice qui crie que le mal ne triomphera jamais.

Ce que nos ennemis voulaient sceller comme une tombe devient, par la fidélité de l’Éternel, le berceau d’une force nouvelle. Car des ténèbres surgit toujours la lumière de la promesse.

Et c’est D. Lui-même qui parle par la bouche de Son prophète :

« Qui vous touche, touche la prunelle de mon œil » (Zacharie 2 : 9).

Alors oui, le 7 octobre fut de sang et de larmes. Mais il fut aussi un signe :

Signe de la haine qui rôde encore, et surtout signe de la vocation d’Israël :

Vivre, porter témoignage, et rappeler aux nations qu’il existe une justice qui surplombe toutes les injustices, une fidélité qui défie tous les pogroms.

Car si l’homme se demande où est D. dans la nuit, la réponse biblique tonne : D. est avec Israël, et Israël demeure la prunelle de Son œil. SS♦

Serge Siksik, MABATIM.INFO


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Un commentaire

  1. Bravo et merci cher Monsieur pour cette belle vision que doit être le sens de notre réalité en la confiance en D.

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