Le président turc rêve de reconstituer l’Empire ottoman

Par Yves Mamou,
[16 octobre 2025]
Ces islamistes sont fatigants. Tous rêvent de dominer le Moyen-Orient en utilisant la « cause palestinienne » comme moteur.
Bien que le projet impérial iranien ait buté contre le mur de fer israélien, bien que le projet de bombe atomique iranien ait pris un coup avec le bombardement des sites nucléaires de Fordow et Ispahan en juin 2025, bien que le réseau de milices chiites censé frapper et détruire l’État hébreu ait été sérieusement mis à mal – le Hezbollah et le Hamas sont aujourd’hui très amoindris –, les candidats à la constitution d’un califat islamique continuent d’affluer.
Refusant de tirer les leçons de l’échec iranien, la Turquie se présente elle aussi en championne de la cause palestinienne et en défenseur d’Al-Qods, dans le but de fédérer les États arabes du Moyen-Orient.
Comme l’Iran, la Turquie dénonce le « génocide » commis par Israël à Gaza, renforce ses liens avec le Qatar, occupe le terrain laissé vide par Téhéran en Syrie et joue les intermédiaires pour la libération des otages israéliens, car cela lui permet de nouer des liens avec le Hamas.
La Turquie est, après l’Iran, le second acteur non arabe à rêver d’une hégémonie sur le Moyen-Orient.
Turquie, une islamisation qui va croissant – Rappel historique
L’islamisation de la Turquie ne s’est pas faite en une nuit. Progressivement, de 1997 à aujourd’hui, les contre-pouvoirs laïcs (armée, justice), installés par Kemal Atatürk, ont été démantelés, les médias mis au pas et la logorrhée islamiste a occupé le devant de la scène.
Les grandes étapes de l’islamisation de la Turquie ont été les suivantes :
– . 2001 – création de l’AKP (Parti de la justice et du développement) :
L’AKP se crée sur deux thèmes mobilisateurs : nostalgie des grandeurs d’antan et colère contre ceux qui imposent par le haut les codes d’une « civilisation étrangère ». Rappelons qu’avant 2000, près d’une quinzaine de partis islamistes ont été dissous pour atteinte à la laïcité.
–. 3 novembre 2002 – victoire électorale massive de l’AKP :
L’AKP arrive largement en tête. Débute un long processus où le pouvoir exécutif utilise l’électorat conservateur pour réformer et neutraliser les gardiens laïcs de l’État.
–. 2008 – début des procès Ergenekon / Sledgehammer : des procès sont intentés contre des militaires et élites kémalistes accusés de complots – ces procédures permettent d’affaiblir le « deep state » laïc.
–. 12 septembre 2010 – des amendements à la constitution réduisent l’influence directe de l’armée.
–. 15 juillet 2016 – l’échec du putsch contre l’AKP entraîne des purges massives notamment dans les bastions laïcs.
–. 16 avril 2017 – la limitation du rôle des militaires dans la vie politique turque fait l’objet d’une approbation par voie référendaire. 58 % des voix sont favorables au projet.
Turquie : le rêve impérial
Une Turquie qui rêve au retour d’un empire islamique n’est pas une amie d’Israël.
Tous les analystes s’accordent sur un point : l’AKP, le parti d’Erdogan, a des ambitions régionales et aspire à reconstituer l’empire qui a régné sur le Moyen-Orient du XVᵉ siècle au début du XXᵉ siècle.
« Le néo-ottomanisme, idéologie politique axée sur la renaissance de l’Empire ottoman, est devenu la pierre angulaire de la vision du président turc Recep Tayyip Erdoğan. […] Le néo-ottomanisme vise à restaurer la domination culturelle, politique et économique de la Turquie sur les anciens territoires ottomans et au Moyen-Orient élargi » écrit Manara, un centre de recherche de Cambridge (Grande-Bretagne).
Néanmoins, au XXIᵉ siècle, le sultan turc ne peut plus opérer simplement en envoyant ses armées conquérir l’Irak, la Palestine ou l’Arabie des Saoud. Cela ne se fait plus, même au Moyen-Orient.
Ainsi, comme l’Iran, la Turquie passe par la « cause palestinienne ».
« Le président turc a bâti son programme politique sur le thème de l’ascension de la Turquie, investie d’une responsabilité historique : protéger les populations musulmanes dépossédées de la région, y compris, bien sûr, les Palestiniens » écrit le Brookings Institute.
La Turquie pose en championne des Palestiniens,
Le premier geste hostile de Recep Tayyip Erdogan envers Israël a eu lieu en 2008 au Forum économique de Davos. Erdogan s’affronte violemment à Shimon Peres, président israélien, à propos de « Plomb Durci », une opération militaire contre le Hamas à Gaza (déjà !). Erdoğan se lève, claque la porte du débat et quitte Davos de manière spectaculaire. En un instant, dans le monde musulman, Erdogan est perçu comme le défenseur des droits des Palestiniens.
· Le 30 mai 2010, l’arraisonnement par un commando de marine israélien du Mavi Marmara, un navire de l’organisation « humanitaire » turque islamique IHH, qui avait bravé le blocus de Gaza, se solde par la mort de 9 militants turcs… et une quasi-rupture des relations diplomatiques entre Israël et la Turquie. Trois ans plus tard, le 22 mars 2013, sur pression de Barack Obama, Benyamin Netanyahou présentera des excuses officielles à Ankara.
· En 2014, dénonçant l’opération militaire Bordure protectrice menée contre Gaza, Recep Tayyip Erdoğan déclare que l’armée israélienne « a surpassé Hitler dans la barbarie ». Netanyahou rétorque qu’il n’a pas de leçon à recevoir de quelqu’un qui bombarde des villages kurdes.
· Depuis le 7 octobre 2023, la Turquie ne cesse de dénoncer le « génocide » d’Israël contre le peuple palestinien. Erdogan a fermé l’espace aérien turc aux avions de ligne israéliens, accueilli des dirigeants du Hamas en Turquie et a suspendu les échanges commerciaux.
· L’un des points de contentieux israélo-turc les plus importants est la Syrie. Comme l’écrit l’European Institute for Studies on the Middle East and North Africa (EISMENA), « la Turquie ambitionne de jouer un rôle central dans la reconstruction et la stabilisation de la Syrie, en coopération avec le régime d’Ahmed al-Charaa. Israël, de son côté, s’oppose fermement à toute substitution turque à l’influence iranienne en Syrie. Pour Tel-Aviv, remplacer un acteur hostile (l’Iran) par un autre acteur critique (la Turquie) ne constitue en rien une amélioration de son environnement stratégique. »
Ambiguïté turque …/…

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