La dhimmitude pour les nuls

Par Richard Prasquier,
[Actuj, 23 octobre 2025]

S’il est un terme polémique en islamologie, c’est celui de dhimmitude, que Gisèle Littman, alias Bat Ye’or, a popularisé dans son livre de 1991, Les chrétientés d’Orient entre Djihad et dhimmitude.

Pour les disciples de Louis Massignon, longtemps pape des études musulmanes en France, ce mot suffit à disqualifier son auteur, immédiatement placé dans l’extrême droite la plus rance. Le non-spécialiste que je suis cherche à sortir de l’impasse des invectives en suivant le fil historique de ce mot.

Si dhimmitude sent le soufre, le terme de dhimmi est bien connu :

La dhimma est un pacte entre un non-musulman monothéiste, protégé sous réserve du paiement d’un impôt spécifique, la jaziya, et de l’acceptation de sa subordination à l’Islam.

Le mot dhimma apparaît dans la neuvième sourate du Coran, dite at-Tawba (le repentir), chronologiquement l’une des dernières et donc des plus « définitives », car le principe de Naskh issu du Coran lui-même, considère que la vérité est révélée de façon progressivement plus exacte, le nouveau remplaçant l’ancien. Dhimma ne vise ici ni les chrétiens ni les Juifs mais les alliés de Mahomet (« les hypocrites ») qui n’avaient pas respecté leur pacte lors de son expédition contre les Byzantins (sa dernière campagne).

On est là dans un cadre de relations d’alliances entre égaux (ou plus souvent inégaux) communes aux sociétés tribales, et dont la « brith » abrahamique comme le « foedus » romain (dont la violation est une« perfidia ») sont d’autres expressions

Dans la même sourate, le verset 29 enjoint aux « Gens du Livre » de verser l’impôt « en état d’humiliation ». C’est cette pratique qui a pris le nom de dhimma depuis qu’elle a été systématisée par un calife omeyyade nommé Omar (différent du célèbre troisième calife) : c’est le pacte d’Omar. Resté valide pendant près de 12 siècles, il fut modifié suivant les lieux, les époques et les hommes et ce que devait être l’état d’humiliation (« ṣāghirūn ») a été interprété de façon très variable.

De nos jours, pour les chantres d’un Islam de justice, la dhimma était presque toujours une structure de protection.

Pour le grand historien Bernard Lewis, l’homme qui a le premier parlé de choc des civilisations et qui donc n’est pas suspect d’islamo-complaisance, la dhimma impliquait infériorité mais rarement oppression.

Pour Bat Ye’or c’était une structure de servitude. Elle a été très critiquée, mais les documents qu’elle a produits confirment que la situation fut souvent moins rose qu’on ne l’a pensé, sans même prendre en compte les régimes violemment oppresseurs, comme celui des Almohades.

Entre 1839 et 1878, l’Empire turc édicta des textes qui établirent officiellement l’égalité entre les religions. C’est la période des réformes, les Tanzimat. Elles n’apportèrent pas immédiatement les améliorations économiques que les admirateurs de l’Occident avaient espérées et alimentèrent très vite un profond ressentiment devant l’humiliation infligée à l’Islam mis au rang des autres religions.

Des intellectuels quittèrent le camp de la réforme occidentale pour glorifier la supériorité de l’Islam. Ce fut le cas de Rashid Rida dont Hassan el Banna, fondateur des Frères Musulmans, fut le disciple. L’idée d’un Islam dominant de droit les autres religions monothéistes, qui fut déjà au cœur de la dhimma, est aujourd’hui l’obstacle dirimant à un dialogue sain sous l’égide d’une laïcité partagée.

L’égalité religieuse n’est en Occident un concept pertinent que depuis peu de temps. En Islam la dhimmitude était un statut et est devenue un comportement adapté.

Se demander dans quelle mesure elle devient aujourd’hui en Occident un comportement préadapté avant même d’être un statut est une question provocatrice, mais qui ne doit pas être balayée. RP♦

Richard Prasquier, richardpraquier.com


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2 commentaires

  1. Vous avez bien raison d’affirmer que si Bat Ye’or a été très critiquée, et injustement qualifiée « d’extrême droite », les documents qu’elle a produits confirment que la situation fut souvent moins rose qu’on ne l’a pensé, sans même prendre en compte les régimes violemment oppresseurs, comme celui des Almohades.

    Il faut lire les nombreux ouvrages de Bat Ye’or, publiés aux éditions Les Provinciales, pour connaître la réalité de la persécution des juifs en terres islamisées par la conquête djhadiste, persécution générale mais particulièrement cruelle en Iran, au Yémen et au Maroc, pays ou l’influence relativement modératrice de l’empire ottoman était absente.

    Par contre, vous omettez de signaler un point important:
    Bat Ye’or a constaté, documenté et formulé le processus affligeant de soumission volontaire et suicidaire à la dhimmitude, pour un peu de pétrole, de l’Europe métamorphosée, après un nouvel échec de la coalition arabe à détruire Israël, en 1973, lors de la guerre du Kippour, en Eurabia fanatiquement « palestiniste », dans le but ultime de connivence européenne inavouée pour la destruction de l’indépendance et de la souveraineté juive en Eretz Israël …

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  2. Merci pour cet article qui remet la mosquée au centre de la oumma. La dhimmitude est une menace qu’on ne doit pas ignorer.
    Merci pour avoir rappelé les ouvrages de Bat Ye’or sans qui on ne l’aurait peut-être pas réalisé.
    Merci pour le rappel du rôle de Louis Massignon qui fut l’envoyé de la France au Proche Orient et préconisa un rapprochement avec le Mufti de Jérusalem, criminel de guerre. Son disciple François Burgat sévit toujours, admirateur du Hamas et accusé d’apologie du terrorisme, il a même été relaxé par la justice française.
    Le président libanais Bachir Gemayel fut assassiné après avoir mis en garde contre cette dhimmitude qui menaçait les maronites, chrétiens libanais.
    Il nous faut refuser la servitude. Nous croyons nous abriter derrière la laïcité mais le Bataclan, Nice, Samuel Paty, Dominique Bernard, etc. montrent que le statut de dhimmi nous guette. Prenons garde que le roman de Boualem Sansal « 2084 » ne soit pas prémonitoire.

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