Israël – États-Unis : « dans la tête de l’autre »

par Yéochoua Sultan,
[16 novembre 2025]

L’empathie est la capacité de ressentir l’autre de l’intérieur. En médecine mentale, on parle du défaut ou du manque d’empathie, qui est donc l’incapacité à reconnaître le ressenti des autres. Par extension, ce manque désigne l’indifférence à la souffrance d’autrui. Néanmoins, elle se distingue de la compassion, qui ajoute à la perception du ressenti de l’autre l’approbation, donc le partage du ressentiment, frustration ou tristesse. Par voie de conséquence, la compassion peut pousser à approuver la position d’autrui, voire d’y remédier à son propre détriment.

Dans la section hebdomadaire que nous venons de lire ce Shabbat, nous suivons une étape décisive de la gestation du futur peuple d’Israël. Eliézer, le serviteur d’Abraham, dépêché spécialement auprès de la famille de son commanditaire, doit rentrer avec Rebecca, qui sera l’épouse de notre deuxième Patriarche, Isaac. Mais il doit jouer serré. Rien n’indique a priori que sa famille, et notamment son frère Lara, dont l’animosité envers la dynastie patriarcale n’en est alors qu’à ses débuts, acceptera de la laisser partir. Les signes miraculeux et les précieux cadeaux ne sont qu’un atout pour l’émissaire.

Après un premier emballement provoqué par sa visite, il commence à voir naître une résistance :

« Peut-être restera-t-elle avec nous quelques jours ou quelques mois » (Genèse XXIV, 55).

Le serviteur est pressé. Sa mission a été couronnée de succès, il ne voudrait surtout pas qu’à force de traîner tout tombe à l’eau. Nous ne sommes pas juges mais partie, et nous voyons aussitôt dans cette tentative de retarder l’échéance de la mission abrahamique une tentative d’entrave à la genèse de notre peuple. Point d’empathie pour ce Lara, qui cherche à tourner en rond.

Mais que nous essayions de nous mettre à sa place, et nous comprendrions que sa position n’est pas si simple. Soit, l’envoyé s’est présenté. Les preuves semblent solides, et il ne semble pas qu’on ait affaire à un imposteur. Leur fille et sœur doit partir dans le désert pour un long périple. Vu de Haram, aujourd’hui occupée par la Turquie, au Sud-est de ce pays, Canaan, c’est loin comme Tatouions (vue de Diserte). Il faut partir à dos de dromadaire, aucune fouille n’ayant attesté à ce jour d’un moyen de transport sûr et rapide à cette époque. Donc, en comprenant les réticences de la future belle-famille d’Isaac, et sans vouloir attribuer de tentative d’obstruction à la belle-famille, nous aurions pu comprendre Laban s’il avait demandé à se joindre à la caravane et de ne se séparer de sa chère sœur qu’une fois qu’elle serait arrivée à bon port. Donc, s’il n’y a pas pensé…

RETRANSPOSONS-NOUS DANS L’ÉPOQUE QUE NOUS TRAVERSONS AUJOURD’HUI.

Quel merveilleux ami d’Israël que ce président américain Trump ! Mais avouons-nous que nous avons du mal à le suivre. Il faut reconnaître qu’il est assez imprévisible, pour un ami, qu’il peut même être décevant, incompréhensible, traître à la limite. Une véritable girouette, dirions-nous.

En fait, non.

Essayons de le jauger avec empathie, en faisant attention toutefois de garder nos distances, et de ne pas nous annuler en renonçant à tout ce qui nous est cher et vital sous prétexte que c’est un ami.

Tout d’abord, Trump est président américain, et non pas gouverneur mandaté par l’État central d’Israël.

Il agit donc selon ce qui lui semble bon pour l’Amérique. Si ça peut arranger Israël, alors tant mieux ! Mais comme les points de vue ne sont pas les mêmes, il peut exister tout au plus des zones communes, comme dans la théorie des ensembles, cf. l’alinéa de l’intersection.

Ne perdons pas de vue qu’avant d’être président, c’est un homme d’affaires. Il achète (du pétrole, du gaz, etc.), il vend (des armes).

Certes, il a une fille convertie au judaïsme, mais le repas familial et convivial du vendredi soir, pour lui, c’est un dîner d’affaires. C’est une première intersection d’ensemble, entre nos deux approches du dîner, du Shabbat pour nous, de la lutte pour l’autre.

Il est passablement embêté par des tournures comme le 7 octobre, la menace iranienne, la Syrie, le Hezbollah et j’en passe.

Pourquoi ?

Les motivations ne sont pas les mêmes, de nous à lui, même si elles semblent converger dans la plaine équitable.

  • Nous voulons la paix, le « plus jamais ça » ;
  • Lui perdrait un client fidèle et surtout le seul allié fiable des États-Unis depuis bientôt huit décennies dans notre région.

La Suisse du Moyen-Orient s’est dissolue, le Shah s’est échappé… Donc nous avons une intersection d’ensembles dans la guerre contre le Hamas et le régime des Mollahs.

Mais attention ! Sur la ligne de mire de Trump, ligne droite qui ne dévie pas d’un radian,

Si Gaza redevient israélienne, c’est-à-dire contrôlée et habitée par des Juifs comme ce fut le cas jadis, et aussi il n’y a pas si longtemps quand Rabbi Israël Nadjara en fut le Grand Rabbin, le client Israël risque de ne plus acheter chez lui.

Les armes sont à peu près la seule marchandise industrielle périssable qui ne décourage pas à la longue le client. On a bien vu que le bas-nylon, d’abord indéchirable puis intentionnellement filable puisque les clientes n’en rachetaient plus tant qu’il était inusable, ou la chaîne hi-fi en proie à des mauvais contacts ou autres dérèglements peu après l’expiration du bon de garantie, sont totalement passés de mode ; alors que les armes sont achetées pour être détruites.

Nous venons de dire pourtant que la chute du Shah n’avait vraiment pas arrangé les Américains ! Oui, d’accord, mais, en attendant, il y a eu les accords d’Abraham, l’œuvre de la vie de Trump. Et il y tient, Trump, aux accords d’Abraham ! C’est son œuvre, c’est son jouet. Et la encore, on ne peut taxer Trump d’indécision, d’inconsistance. Rappelons-nous que Netanyahou insistait pour priver l’Iran de ses capacités nucléaires, et que Trump insistait au contraire pour que tout s’arrangeât par un accord. Il accorde à l’Iran un premier délai, puis un second délai. Mais alors qu’il s’apprête à en accorder un troisième en attendant que l’intérêt public se détourne de la question, ne voilà-t-il pas que Netanyahou lui dit :

« C’est tout. Je t’ai respecté avec beaucoup de patience pour que tu comprennes tout seul qu’aucun accord n’est possible avec ces fanatiques dégénérés » (NB : la rédaction ne garantit pas qu’il s’agisse là des véritables paroles de l’intéressé, elles lui sont attribuées à titre illustratif).

Au dixième jour de guerre, l’Amérique entre en jeu et bombarde d’une façon plus ou moins bâclée les trois centres atomiques névralgiques de l’Iran.

C’est pourquoi, vu sous cet angle, il ne semble pas qu’il y ait eu connivence et clins d’yeux sous cape entre Trump et Netanyahou, mais que celui-ci a vraiment forcé la main à celui-là.

Puis Netanyahou (supposition) rappelle à Trump que le fils du Shah, hébergé chez lui, est toujours vaillant et très motivé pour que l’Iran reprenne le cours de la vie qu’il avait jusqu’à l’horrible Ayatollah de mémoire maudite.

C’est alors que Trump pique une crise et trépigne :

« Ah ça non, alors, vous n’allez pas pour de bon me casser mon jouet ! Pas question de renverser le régime en place ! »

Les accords d’Abraham – prions pour que seuls ceux de Sarah1 soient respectés, comme me le signalait la semaine dernière le rabbin et juge M. Habib – puisent toute leur substance de la crainte inspirée par l’Iran auprès de l’Arabie Saoudite, qui n’est pas moins fanatique que son concurrent, et des Émirats Arabes Unis. C’est le seul motif qui peut faire qu’ils aient intérêt à s’arranger et à s’accorder avec Israël, et à atteindre un équilibre instable maintenu artificiellement par cette menace.

Seule une menace musulmane peut pousser un musulman à s’associer à un impur de son point de vue (cf. première guerre du Golfe).

Et Abou Morramède Al-Joulani, qu’est-ce qu’il fait là, lui ? Ah lui ? Le boucher numéro 2 d’Al-Qaïda ? Eh bien, quand sa nature reprendra le dessus, notre très bon client Israël trouvera tout ce qu’il lui faut sur nos étals. YS

Yéochoua Sultan, Vu sous cet angle


1 Abraham conclut un pacte de non-agression avec Abimelech, roi de Guerar, dans la région de qui il séjourne quelques années. Abraham prête serment, ce qui est plus grave qu’un simple pacte, car si un accord n’est pas respecté par une partie, l’autre s’en retrouve libérée. Textuellement, Abimelech dit à Abraham :

« Si tu me mens, à moi, à mon fils ou à mon petit-fils ».

Ce sont les trois générations durant lesquelles les descendants d’Abraham seront prisonniers dans l’esclavage égyptien. La quatrième génération rentrera au pays, après l’expiation du pacte, puisqu’il est question de s’installer en terre d’Israël, et que les descendants d’Abimelech ne l’entendraient pas de cette oreille. (D’après une conférence du Rav Ch. Sabato, Beth El).


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