Déclaration d’indépendance de la Kabylie

Message de soutien de Jean-Pierre Lledo,
[10 décembre 2025]

SIWEL reproduit le message adressé par le réalisateur, scénariste, producteur et essayiste Jean-Pierre Lledo, en soutien à la déclaration d’indépendance de la Kabylie qui sera proclamée par le président Ferhat Mehenni ce dimanche 14 décembre 2025.
Jean-Pierre Lledo,
juif né en Algérie qu’il a quittée en 1993, menacé par les islamistes, est devenu israélien en 2011, issu d’une famille communiste, son père s’est battu pour l’indépendance de l’Algérie.

Message de Jean-Pierre Lledo au rassemblement du MAK pour la Proclamation de l’indépendance de la Kabylie le 14 décembre 2025 à Paris

MERCI ! J’aurais mille raisons personnelles de me sentir proche de la Kabylie…

Mon premier copain de classe kabyle fut Abdé Bouhadef, sculpteur depuis des décennies. C’est un autre lycéen kabyle qui le premier me parla du maquis d’Ait Ahmed, et m’expliqua ce qu’était la dialectique. L’un de mes collègues, Abderrahmane Bouguermouh, réalisa le premier film en langue berbère « La Colline oubliée ». Son frère Malek me devança à Moscou, lui, pour étudier le théâtre. Avec Azzeddine Meddour, étudiant dans le même Institut de cinéma que moi à Moscou, nous écrivîmes plus tard le scénario du deuxième film tourné en kabyle « La Montagne de Baya ». Il fut mon meilleur ami. C’est grâce à mon assistante Farida Benamara, originaire d’Ighil Bouamas, où je fis la connaissance du grand chanteur-poète Aït Menguellet, que je tournais un film documentaire « Les Ancêtres ».

Et puis c’est dans les années 80 que je fis connaissance avec votre Président, pour la liberté duquel notre mouvement le R.A.I.S (Rassemblement des Artistes, Intellectuels et scientifiques) se mobilisa. Et depuis cette époque, il reste pour moi, d’abord, un chanteur et ami très cher. En 1988, la gendarmerie tira à bout portant sur un autre immense chanteur Lounès Matoub et sollicité par sa sœur qui craignait qu’on ne l’achève, je pus le faire admettre à la Clinique des Orangers à Alger où j’avais un ami chirurgien.

Dans les années 90, Le directeur de la cinémathèque de Béjaïa que l’on ne connaissait que par le sobriquet « Kiki », me raconta que lors d’une réunion du conseil municipal, il osa affronter les élus du FIS, en leur disant qu’il était juif, et en ajoutant que nombreux étaient les Kabyles en quête de leurs origines juives. Le grand écrivain d’origine berbère Kateb Yacine qui fut aussi un des premiers intellectuels à défendre l’identité et la langue berbère dont je fis connaissance à Moscou, et devint notre voisin et ami de la famille, au Centre familial de Ben Aknoun à Alger, de 1976 à sa mort. Le 1ᵉʳ Novembre 1989, il fut enterré à Alger, et son premier amour Nedjma, sa cousine juive, qui lui inspira son célèbre roman éponyme, était là.

Et puis, vint la terrible période du terrorisme islamiste qui emporta quatre autres de mes amis kabyles. Le 27 mai 1993, jeune écrivain et talent plus que prometteur, Tahar Djaout était assassiné et nous accompagnâmes son coma durant sept jours et nous l’enterrâmes a Azzefoun. Ses dernières paroles sont devenues le bréviaire du Courage :

« Si tu parles, tu meurs.
Si tu te tais, tu meurs.
Alors, dis et meurs ! »

Le 5 octobre 1993, c’était le tour de Rabah Guenzet, originaire d’Aïn El Hammam. Professeur de philo communiste, ce fut un ami proche. En 1994, Ahmed Asselah le directeur des Beaux-Arts d’Alger était assassiné avec son fils Rabah au sein même de l’École. Durant les années 80, il participa à notre mouvement de résistance intellectuelle, sans craindre pour son poste, et il balayait d’un geste mes objections de discrétion. Et le 27 juin 1998, deux jours après l’assassinat de Lounes Matoub à Thala Bounane, je filmai l’hommage, Ô combien émouvant, rendu sur la Place de la République à Paris, à un chanteur qui à cette époque représente l’incarnation de la rébellion kabyle à la dictature algérienne.

Mais des décennies après tous ces malheurs, j’aimerais vous dire MERCI, à vous qui aujourd’hui, avez le privilège et l’honneur de proclamer l’indépendance de la Kabylie.

Merci bien sûr tout simplement pour cet acte de courage qui donne un sens à toutes les luttes du peuple kabyle pour sa liberté et sa souveraineté.

Mais Merci surtout à la sagesse du MAK, Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie, pour avoir choisi la voie pacifique. Malgré des centaines de morts et d’emprisonnés, et des dizaines de condamnations à mort, force est de constater qu’il n’est pas tombé dans le piège de répondre par la violence à celle du pouvoir algérien.

Ce faisant, le mouvement auquel vous avez donné corps renoue bien sûr avec la tradition de non-violence de Gandhi.

Mais plus encore avec les luttes pour l’indépendance du 19ᵉ siècle européen qui non seulement visaient à se détacher des empires, et à créer des États-Nations mais aussi à établir la démocratie et donc la liberté d’opinion.

Est-il étonnant que les dirigeants de ces mouvements étaient presque tous des hommes politiques, des intellectuels et des artistes, tel le poète hongrois Sándor Petőfi, le musicien polonais Chopin, le poète allemand Heinrich Heine, le romancier italien Alessandro Manzoni, etc.

Ainsi, vous rompez avec le style des révolutions africaines du 20ᵉ siècle, dont la revendication indépendantiste justifiait la lutte armée et le terrorisme.

Nous savons aujourd’hui où ces révolutions ont mené : vers la dictature, militaire ou religieuse, et le plus souvent militaire et religieuse. Et aussi vers l’anti-israélisme. Ainsi par exemple l’Afrique du Sud, alors que les Juifs sud-africains furent à l’avant-garde de la lutte contre l’apartheid et dont Nelson Mandela fut très proche.

Rompre avec ce mantra de la pensée révolutionnaire demandait du courage et de la sagesse.

Est-ce donc un hasard si celui à qui vous avez confié la direction de votre mouvement soit l’incarnation de ces deux vertus ? Et si je me permets une telle appréciation, c’est que je le connais depuis plus de 40 ans, et que je suis son évolution depuis plus encore.

Est-ce donc un hasard si celui à qui vous avez confié la direction de votre mouvement soit un artiste, un musicien et un chanteur qui dans les années 70 se fit connaître comme l’un des principaux animateurs de ce que l’on a appelé le renouveau de la chanson kabyle, avec notamment Idir, Ait Menguellet, Djamel Allam, et un peu plus tard le précoce Lounès Matoub ?

Est-ce donc un hasard si, contrairement à une grande partie dudit « Tiers-monde », sans parler du monde arabo-musulman, vous avez opté pour le soutien à Israël qui est devenu le modèle de tous les peuples, petits ou grands, dotés d’une longue histoire, d’une ancienne langue toujours vivante, et qui revendiquent le droit de vivre en toute indépendance sur la terre de leurs ancêtres ?

Merci donc au MAK, et à toi, Ferhat ! Tu es le bon capitaine face aux tempêtes que vous allez déclencher.
Merci et Vive le nationalisme kabyle qui se réclame des meilleures valeurs universelles ! J-PL♦

Jean-Pierre Lledo, Siwel
Citoyen israélien depuis 2011


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2 commentaires

  1. Fils d’un espagnol communiste et d’une mère juive de Constantine, je suis ému aux larmes en lisant ce papier. Je suis devenu israélien aussi, il y a un peu plus de 20 ans quand j’ai eu à choisir mon camp. Je souhaite à la Kabylie d’être un pays heureux, indépendant et ami avec Israel. Et je suis heureux de saluer ici un un frère de parcours. Merci pour ce témoignage.

    שבת שלום

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    • Merci Jean-Pierre pour cet encouragement à l’indépendance de la Kabylie, qui sera peut-être le prélude à celle des Kurdes et d’autres peuples opprimés en Terre d’Islam. Que la dictature algérienne traite le MAK de terroriste et voue Ferhat Mehenni aux gémonies n’est pas étonnant. Je suis choqué que Mohamed Sifaoui, pourtant opposant à Tebounne utilise les arguments du pouvoir algérien pour soutenir l’intégrité du territoire algérien qui de date que du 19ème siècle par la réunion des 3 départements français et du Sahara colonisés.
      Amicalemet
      Klod Frydman

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