L’Europe et Israël réapprennent la guerre

Par Yves Mamou
[3 avril 2025]

Européens et Israéliens vivaient dans l’illusion de maîtriser leur environnement stratégique. Ils ont été brutalement éjectés du somnambulisme.

Le 28 mars 2025, deux roquettes parties du Liban sont tombées sur la ville israélienne de Kiryat Shemona. Le même jour, des avions des Forces de défense israéliennes sont allés détruire un entrepôt de drones du Hezbollah, au cœur de Beyrouth.

Le président français Emmanuel Macron a jugé cette riposte « inacceptable et en contradiction avec le cessez-le-feu ».

Mais le Premier ministre israélien a répondu que « certains n’ont pas encore assimilé la nouvelle situation… »

De quelle « nouvelle situation » Benjamin Netanyahou voulait-il parler ?

« L’équation a changé » a-t-il ajouté : « ce qui existait avant le 7 octobre ne se répétera pas. Nous n’autoriserons aucun tir sur nos localités, même sporadiques ».

Depuis le 7 octobre 2023, date à laquelle le Hamas, une armée terroriste basée à Gaza, a envahi le territoire israélien tuant et torturant 1200 personnes et prenant en otages 250 citoyens, hommes, femmes et enfants, Israël a entrepris de repenser et reformater son environnement stratégique : l’armée hébraïque ne croit plus qu’elle peut apaiser ses ennemis par des câlins économiques (laisser les Gazaouis travailler en Israël par exemple), ou par la corruption (laisser l’argent qatari affluer à Gaza).
Elle frappe en Syrie, au Liban et à Gaza chaque fois que ses intérêts vitaux sont menacés.

Redécouvrir l’ennemi

Cette redécouverte de l’ennemi n’est pas propre à Israël.

Au moment où les Israéliens ont cessé de s’illusionner sur le caractère « dissuadé » du Hezbollah et du Hamas, les Européens montent une union sacrée contre l’ennemi russe. Et en s’émancipant de leur allié américain pour faire bonne mesure.

Le refus de Donald Trump de laisser la guerre se poursuivre en Ukraine a provoqué une cassure historique. L’Europe progressiste ne veut pas d’un rabibochage avec Moscou sur le dos de l’Ukraine. Et contre les États-Unis qui ont entrepris d’extraire la Russie de son alliance avec le bloc hostile Iran-Chine, l’UE se positionne contre la Russie et en fait une menace majeure.

Et contre la Russie, l’Union Europe a entrepris de se réarmer.

Ce « aux armes citoyens d’Europe » n’est pas dénué d’intentions cachées.

Comme l’écrit Nicolas-Jean Bréhon, spécialiste des questions européennes, l’Ukraine est devenue « le nouveau moteur de la construction européenne. »

L’Union européenne (UE) a toujours hésité entre élargissement et approfondissement.

L’Ukraine permet d’avancer dans les deux directions en même temps.

« L’Europe de la défense », le plus complexe et le plus difficile outil de détricotage de l’identité des nations européennes, est aujourd’hui promu comme un outil d’intégration ultime des États-membres au sein de la « nation européenne ».
Face à la montée des « populismes », vite, vite rendons l’Union européenne irréversible !

Et tant pis si l’alliance avec les États-Unis se brise.

L’idée que les routes de l’Europe et des États Unis se séparentest déjà acquise. Et il se pourrait bien ajoutent certains, que les États-Unis soient devenus l’ennemi des Européens.

Pour comprendre cette étrange situation, un peu d’histoire est nécessaire :

À la chute du Mur de Berlin (1989) les armées européennes et israélienne ont rompu avec les principes qui avaient fait leur succès.

– La chute du Mur de Berlin(1989) a représenté une rupture idéologique et politique profonde dans l’ensemble du monde occidental, Israël compris. Une dangereuse euphorie (« la fin de l’Histoire »selon l’expression de Francis Fukuyama) s’est emparée des élites américaines et européennes. Finies les grandes confrontations militaires, le monde libre n’avait plus d’ennemis sérieux, le modèle occidental allait s’imposer à l’ensemble de la planète,les nations pouvaient disparaître, l’individu allait prendre le pas sur le collectif national, le citoyen-soldat allait céder la place au consommateur-roi, blablabla…

Le monde libre n’ayant plus d’ennemi mortel, les budgets militaires ont été revus à la baisse et les militaires européens ont pansé sans rien dire leur bleu à l’âme.

Certes, quelques foyers de conflit ont surgi çà et là (Kosovo, Haut Karabakh, djihad dans le Sahel), mais l’emploi de la force se résumait à une opération de « police ». La guerre, la grande, celle qui mobilise des continents entiers, c’était fini !

Les nouvelles technologies de l’information ont accéléré la réduction de l’appareil militaire : l’innovation était autorisée, car elle donnait aux armées bonsaïs européennes l’illusion de la puissance d’antan.

« Ayant perdu leur principale raison d’être sous des gouvernements de “fin de l’Histoire”, qui ne les concevaient plus comme un outil légitime d’action publique, les armées sont entrées dans un blocage intellectuel et sociologique profond » écrit Robert-Henri Berger, officiel de l’armée français qui écrit sous pseudonyme.

Mais cette crise de la pensée militaire était autant une crise de la pensée politique.

Notamment du côté de l’Union Européenne qui s’est lancée dans une gigantesque entreprise d’homogénéisation des nations.

Les Eurocrates ont fermement cru que

… « l’humanité tout entière était désormais vouée à abandonner sa souveraineté et son identité nationales pour devenir une seule famille humaine et citoyenne du monde »

pour reprendre les mots de Marco Rubio, Secrétaire d’État, devant la commission des affaires étrangères du Sénat des États-Unis.

En Israël aussi, la chute du Mur de Berlin a eu des conséquences débilitantes.

Jusqu’à 1989, les guerres israélo-arabes étaient perçues dans le cadre de l’affrontement Est Ouest. L’URSS soutenait les pays arabes et les États-Unis soutenaient Israël.

Dans ce contexte, l’armée israélienne ne se préoccupait que d’une chose : anticiper la menace, agir préventivement et vaincre.

« En raison de l’asymétrie militaire conventionnelle favorisant les ennemis d’Israël et de sa faible profondeur géographique, Israël devait attaquer préventivement. […]. Les guerres devaient être rapides et décisives. Pour qu’une telle doctrine soit efficace, Tsahal devait maintenir des capacités et un niveau de préparation parmi les plus élevés, et les commandants devaient maîtriser les arts opérationnels » écrit Ran Baratz, historien et enseignant d’histoire militaire à l’École de guerre d’Israël.

Ces principes de guerre préventive n’étaient pas formalisés. Mais ils structuraient l’action militaire et prêtaient d’autant moins à discussion qu’ils étaient le résultat de l’expérience acquise lors des guerres de 1948 (Indépendance), de 1956 (le raid israélo franco-britannique sur Suez), de 1967 (Guerre des Six Jours), de 1973 (Égypte, Syrie) et de 1982 (Liban).

Avec la disparition de l’ennemi soviétique, les États-Unis ont pensé qu’il devenait possible de rabibocher Juifs et Arabes au Moyen-Orient.

Cela a donné la paix avec l’Égypte en 1979, puis les Accords d’Oslo en 1993.

À partir d’Oslo, la « solution à deux États » s’est imposée comme une solution d’amour universel. Les Palestiniens qui n’avaient jamais été perçus comme une arme de guerre inventée par les Soviétiques, sont devenus un « problème » qui devait trouver sa solution. Pour les amadouer, Israël s’est vu demander des « concessions ».

Mais ni l’amour universel ni les concessions n’ayant jamais fonctionné, le terrorisme s’est généralisé. À partir de là, le monde entier a tenu les Juifs pour responsables d’une situation sécuritaire qui se dégradait chaque jour davantage.

Dans ce contexte de conflit de basse intensité, Tsahal a désappris la guerre classique.

Les concepts de guerre rapide et préventive ont été abandonnés (on ne détruit pas ce peuple palestinien avec qui l’on est censé faire la paix) et les stratégies défensives (renseignement et défense antimissile) sont devenues l’alpha et l’oméga de l’action militaire.

L’invasion du territoire israélien le 7 octobre 2023 et l’absence de réaction de Tsahal pendant presque 24 heures sont la conséquence ultime de ce désapprentissage de la guerre.

Même aujourd’hui, un an et demi après le début de la guerre à Gaza l’historien militaire Ran Baratz porte un regard sévère sur Tsahal,

« il a fallu des semaines au haut commandement israélien pour élaborer des plans et préparer une opération à Gaza. Pire encore, les premières semaines de l’opération terrestre ont révélé une stratégie défectueuse, mal planifiée et comportant un nombre impressionnant de défauts dans la préparation, l’entraînement, le renforcement des forces, l’équipement, les munitions et l’exécution. Bien que la société israélienne se soit mobilisée pour contribuer à résoudre les problèmes logistiques, la situation de Tsahal a été désastreuse. À ce jour, un an et trois mois après l’attaque, malgré de nombreux succès tactiques et un énorme investissement national dans la guerre, le Hamas et le Hezbollah ont réussi à éviter une défaite totale, et malgré les exploits des soldats israéliens, Tsahal n’a pas réussi à remporter une victoire totale ».

Réapprendre à faire la guerre ?

/… YM

Lire la suite sur Yves Mamou Décryptages


En savoir plus sur MABATIM.INFO

Abonnez-vous pour recevoir les derniers articles par e-mail.

2 commentaires

  1. Le problème est moins au niveau de Tsahal que de l’échelon militaire et politique. Quand des zones entières sont reprises par Tsahal et que le gouvernement et l’état-major ordonnent des retraits territoriaux, les mêmes endroits doivent être repris à plusieurs reprises. Laly Deray a fait remarquer sur une photo de Sinwar dans une maison à Gaza que les murs étaient tagués d’inscriptions en hébreu, ce qui prouve que Tsahal avait déjà pris possession du terrain.

    J’aime

  2. Israel doit reapprendre a gagner , et Tsahal doit reapprendre a ecraser l ennemi .

    le peuple juif doit se liberer de sa galout mentale et accepter de soumettre ses ennemis.

    Aimé par 2 personnes

Laisser un commentaire. Il sera visible dès sa validation.