« La dernière frontière : nos esprits », ou « Quand le pouvoir veut nationaliser la pensée »

Par Serge Siksik,
[Tel Aviv 8 décembre 2025]

La démocratie, c’est la confrontation : sans elle, il n’y a que soumission. » – Jean-François Revel

Il y a parfois des lignes rouges dont le franchissement révèle un projet qui dépasse le simple exercice du pouvoir.

Lorsqu’un dirigeant décide de labelliser la vérité, de distinguer officiellement ce que le citoyen a le droit de considérer comme vrai ou faux, il ne protège plus : il s’empare. Il transforme la démocratie en zone sous surveillance cognitive.

Macron ne prétend pas seulement gouverner : il veut préempter.

Après ses échecs économiques, les crispations sociétales, les fractures politiques et l’incapacité à rassembler, voici qu’il s’offre la police du vrai. Il s’arroge le droit de filtrer la réalité, comme si la liberté de penser était devenue une menace qu’il faut neutraliser.

L’État prétend protéger de l’intox ? Qu’il commence par ne pas intoxiquer !

Kant résumait l’idée des Lumières en un principe : « Sapere aude » : Ose penser par toi-même.

Une société adulte est celle où le citoyen use de son jugement.Un État qui labellise l’information déclare au contraire :

« Renonce à réfléchir, Je m’en charge ». Le p’tit Manu n’a pas été inspiré par le grand Emmanuel

On pourrait croire à une bienveillance protectrice. C’est exactement ainsi que commencent les tutelles, surtout lorsqu’elles se présentent en progrès technique :

  • Plateformes vérifiées
  • Contenus certifiés
  • Informations autorisées

C’est la tentation paternaliste poussée à son terme

Après avoir géré notre sécurité, notre économie, notre santé, le pouvoir voudrait gérer nos réflexions.

Quand le dirigeant se pose en distributeur officiel du réel, la démocratie n’est plus un régime libre, mais une pédagogie autoritaire, Big Brother en actions.

Il nous infantilise pour mieux gouverner comme l’expliquaitle philosophe Cornelius Castoriadis :

« Lorsqu’un pouvoir décide de la vérité, il produit un peuple mineur ».

Plus besoin d’éduquer au discernement, il suffit d’homologuer les idées peut-être même un jour les certifier par Afnor ?!

Dès lors, trois effets immédiats :

1 – L’esprit critique s’atrophie

– Si le vrai porte un tampon officiel, pourquoi réfléchir ?

– La société devient consommatrice de certitudes sous emballage.

2 – La contradiction se criminalise

– Ce qui n’a pas le label devient suspect ou dangereux.

– L’opposition intellectuelle devient faute civique.

3 – Un consensus artificiel naît

– Un unanimisme forcé prend le pouvoir, la discussion est remplacée par la consigne.

– Le peuple ne choisit plus ses opinions on les enrôle dans sa tête !

Cette logique n’a rien de moderne : c’est la méthode de tous les régimes autoritaires qui ont compris que, pour tenir un pays, il suffit de tenir les esprits…

Les dictatures ne commencent jamais par les chars dans les rues

Elles commencent par l’interdiction de penser en dehors du pouvoir. Quelques exemples historiques suffisent à mesurer le danger :

– URSS – Parti communiste / Pravda

  • 1912–1991 : Le journal officiel définissait le vrai. Toute information indépendante devenait « sabotage » ou « trahison ».
  • Penser différemment constituait un crime contre l’État.

– Allemagne nazie – ministère de la Propagande

  • 1933–1945 : Joseph Goebbels, ministre de la Propagande, imposait une orthodoxie totale : « Un mensonge répété mille fois devient une vérité. ».
  • La vérité, était celle du Führer, les faits devaient s’y soumettre…

– Chine – Parti communiste et censure numérique

  • Depuis 1998 : Internet filtré, pensée surveillée, « vérité » définie par le Parti.
  • Ce qui n’est pas conforme n’existe pas.

– Iran – Police de la morale et vérité religieuse d’État

  • Depuis 1979 : la divergence intellectuelle n’est pas une liberté,
  • mais une faute contre Dieu, punissable.

– Corée du Nord – Monopole total de l’information

  • Depuis 1948 : le monde extérieur n’est pas une réalité : c’est un mensonge hostile.
  • La vérité se résume au dirigeant et à sa parole.

Dans tous ces cas, la manipulation du réel a précédé ou accompagné la manipulation des corps. D’abord on emprisonne la parole. Ensuite, on emprisonne la personne.

Même procédé, même but : empêcher le citoyen de dire : « je ne suis pas d’accord …»

Hannah Arendt le disait dans Vérité et politique (1967) :

« Le mensonge organisé est l’arme des pouvoirs qui craignent la liberté des citoyens. »

Le label d’État est une arme douce et redoutable.

La liberté d’expression n’est pas une faveur accordée aux citoyens : elle est le fondement même de la légitimité démocratique.

La France s’est construite sur le principe de pluralité conflictuelle : journaux, pamphlets, débats, confrontations. C’est ce tumulte qui a permis l’invention du politique.

Dès qu’un pouvoir

— S’institue gardien du vrai,

— Régule l’accès au réel,

— Filtre le débat public,

il ne protège plus le peuple, il se protège du peuple.

Camus l’a formulé avec lucidité :

« La liberté n’est pas un cadeau qu’on vous fait, mais un droit que l’on doit savoir prendre. »

La liberté d’expression ne naît pas d’une concession du pouvoir, mais du courage du peuple à ne pas laisser le pouvoir penser à sa place.

Le label macronien dit exactement l’inverse :

« Nous validerons ce que vous pouvez dire. »

La verticalité n’est plus seulement dans l’ordre décisionnel, elle entre dans nos cerveaux.

Sur le plan Éthique, ce que l’État demande, c’est l’obéissance cognitive.

Il y a une différence fondamentale entre : combattre le mensonge et instaurer un monopole de la vérité.

  • La première est un devoir,
  • la seconde est une usurpation éthique.

La vérité n’est jamais une autorité, elle est une exigence.

Ceux qui se réclament propriétaires du vrai ne recherchent pas la confiance : ils demandent la soumission.

Les questions existentielles de Macron changent de paradigme.

Il ne pense plus, alors il ne veut plus que nous pensions et se met en quête de nouveaux « jeux » comme la guerre qu’il n’ose pas affronter à l’extérieur, alors il la mène à l’intérieur.

Macron aime endosser l’uniforme verbal du chef des armées. Il se met en scène dans des postures martiales, parlant d’ « économie de guerre », de « mobilisation » ou de « temps de l’Histoire ».

Mais lorsqu’il s’agit d’assumer réellement les responsabilités régaliennes les plus lourdes :

  • tenir tête à Vladimir Poutine,
  • affirmer la puissance française dans un monde redevenu tragique,

…il tente mais s’efface, tergiverse, hésite.

Cette prudence diplomatique serait respectable… si elle ne s’accompagnait pas d’une surprenante audace intérieure.

Car la guerre qu’il n’ose pas affronter contre ceux qui défient la France : les narcos, l’immigration et les zones de non-droit, il la mène désormais contre les Français eux-mêmes, à l’intérieur de leurs esprits.

— Le combat n’est plus stratégique : il devient cognitif.

— Le théâtre d’opérations n’est plus international : c’est notre jugement.

— L’ennemi n’est plus Poutine : c’est le doute du citoyen.

À défaut de se mesurer aux puissances autoritaires qui menacent l’ordre mondial, il choisit de neutraliser la liberté qui fonde l’ordre démocratique.

Puisque la confrontation extérieure l’inquiète, il déclare la guerre à l’intérieur, contre les médias critiques, les opinions divergentes, et plus largement contre la faculté du peuple à ne pas penser comme lui.

Ce choix en dit plus long que n’importe quel discours : quand un pouvoir ne protège plus la Nation du danger, il se met à protéger son propre récit contre la Nation.

Sur ce thème, la perspective juive est claire : la vérité surgit du débat, pas du décret

Dans le judaïsme, la recherche de vérité est un chantier permanent, non une injonction d’État. Elle se construit dans la contradiction, dans le face-à-face, dans le refus du silence imposé.

Dès la Torah, une mise en garde fondamentale :

« Ne fais pas fléchir le droit, ne dénature pas la justice. » Deutéronome 16,19.

  • La vérité n’appartient à personne, elle se poursuit : « Justice, justice tu poursuivras ». Deutéronome 16,20
  • Deux fois « justice » : une pour le but, une pour les moyens.
  • La pluralité est structurée et le désaccord est le moteur du vrai.

Talmud – Erouvin 13b : « Les paroles de l’un et de l’autre sont paroles du Dieu vivant ».

Même les opinions non retenues comme loi restent inscrites, car la vérité ne se clôture jamais.

Pirkei Avot ajoute :
« Qui est sage ? Celui qui apprend de tout homme. » Avot 4,1

La sagesse n’est pas un savoir : c’est une écoute.

Maïmonide est limpide :

« L’homme ne doit accepter la vérité que par examen et raisonnement »

Accepter une vérité par autorité c’est trahir l’intelligence que Dieu a donnée.

Le Talmud renchérit : « Le sceau de Dieu est la vérité. » Shabbat 55a

Imposer une vérité politique, c’est se prendre pour Dieu. Une telle prétention n’est pas seulement une erreur : c’est une idolâtrie.

Les prophètes d’Israël ont affronté sans trembler les dirigeants qui manipulaient le discours public, qui falsifiaient le réel.

– Amos : « Vous changez la vérité en poison. » Amos 6,12

– Isaïe : « On dit du bien mal, et du mal bien. » Isaïe 5,20

La vérité devient politique le jour où l’État la déforme. La pensée juive moderne invite à la vigilance contre le pouvoir. Comme l’écrit Emmanuel Levinas :

« La vérité n’est pas donnée d’un coup, elle vient au terme d’une discussion infinie. » Entre nous.

Et surtout :

« La vérité est vigilance contre le pouvoir. » Difficile liberté

Dans la pensée juive : la vérité se cherche, se discute, se conteste elle ne s’administre pas.

Hanouka est l’exemple historique du combat pour la pensée. Hanouka est né d’un affrontement intellectuel avant d’être militaire.

Les Séleucides voulaient :

  • Interdire la Torah et la circoncision,
  • Normaliser la pensée,
  • Assimiler l’esprit juif.

Pas anéantir les Juifs, les rendre indifférents à eux-mêmes.

La guerre de Hanouka est une guerre pour le droit de penser.

La lumière que l’on allume, c’est l’affirmation que la vérité doit circuler, pas être confisquée par un pouvoir qui prétend la posséder.

Dans la vision juive du monde :

Ce que veut le pouvoir autoritaireCe que commande la Torah
Une vérité uniqueUne vérité débattue
Une pensée docileUne pensée responsable
Un peuple soumisUn peuple adulte
La certitude imposéeLe doute construit

Celui qui veut contrôler l’esprit de l’homme se prend pour Dieu et c’est la première idole que le judaïsme a brisée.

Après le pouvoir sur nos vies, Macron tente à l’évidence de prendre le pouvoir sur nos esprits

Ce label « vrai/faux » ne tombe pas du ciel, Il survient après :

  • Une crise économique mal maîtrisée
  • Une fracture sociale aggravée
  • Une perte de confiance sans précédent
  • Des choix politiques désastreux
  • Une incapacité à rassembler
  • Un recul de la cohésion nationale

Quand un dirigeant perd le terrain du réel, il cherche à en redessiner les contours.

Quand l’autorité politique s’effrite, la domination mentale devient l’ultime refuge du pouvoir.

Ce projet n’améliore pas la démocratie, Il instrumentalise ses peurs.

Ce n’est pas un progrès, c’est une prise d’otage de la pensée.

Avant de traquer le mensonge chez les autres, que l’État commence par reconnaître les siens.

– Pendant le Covid-19 : on affirme, sottement, le 12 mars 2020 que « le virus n’a pas de passeport » pour justifier l’absence de contrôle aux frontières… avant de faire exactement l’inverse quelques semaines plus tard.

– Sur le terrorisme islamiste : des années à répéter « pas d’amalgame », transformant un fait idéologique en tabou politique – alors que la réalité du danger était parfaitement documentée.

– Sur la géopolitique mondiale : des discours d’assurance suivis d’improvisation, de reculs, de volte-face comme si la communication remplaçait la lucidité stratégique.

L’État n’est pas un oracle, il s’est trompé, il se trompe, et se trompera encore parce que toute décision humaine est faillible.

Alors sur quel fondement moral pourrait-il s’ériger en arbitre du vrai ?

– Ce n’est pas en réduisant le champ des idées que l’on réduit l’erreur.

– Ce n’est pas en limitant la liberté que l’on augmente la vérité, mais en renforçant l’esprit critique du citoyen.

– Le citoyen n’est pas un élève sous surveillance

Derrière le label, il y a un postulat insultant : le peuple ne serait plus capable de discerner.

Ce mépris est la signature des pouvoirs qui se croient éclairés, il est aussi le début de la méfiance généralisée.

– Éduquer au jugement, oui.

– Confisquer le jugement, non.

La démocratie repose sur deux piliers non négociables :

1 – le droit d’accéder à l’information

2 – le droit d’en débattre

Si l’État contrôle l’un, il contrôle l’issue du second.

Conclusion : la vérité n’a pas besoin de tuteur

La vérité ne se nationalise pas.

  • Elle se discute
  • Elle se dispute
  • Elle s’éprouve

La vérité est une quête collective, une responsabilité partagée.

La seule entité qui doit évaluer le vrai dans une démocratie, c’est le peuple, armé de son intelligence, de son vote, de sa liberté de contredire.

Un État qui labellise la vérité ne protège rien : il s’arroge tout. Il déclare que le droit de penser n’est plus un droit, mais une délégation révocable.

Sans liberté de pensée, tout le reste : vote, presse, parole, s’effondre.

Alors, face au label du pouvoir, la seule réponse démocratique est claire :

Nous n’avons pas besoin d’autorisation pour chercher le vrai, nous voulons juste rester libres de le poursuivre.

De la flamme de Hanouka et du courage des Tachai (Maccabées) à l’idéal des Lumières, une même vérité demeure 

– La lumière n’est pas faite pour être confisquée par le pouvoir, mais transmise au peuple.

– Elle ne diminue pas lorsqu’on la partage – elle disparaît lorsqu’on la saisit.

Un dernier mot pour la fin : un président fake labellise le vrai…

Combien de temps encore laisserons-nous la vérité entre les mains de l’imposture ? SS♦

Serge Siksik, MABATIM.INFO


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