(D’après les chroniques du Rabbin Yaacov SASPORTAS)

Déc 2013
Par le Rabbin Arié Toledano
L’avènement du faux messie Sabataï Zvi au 17è siècle, fut une période fort tragique de l’histoire juive.
Celui que l’on a surnommé « l’imposteur », a réussi à tenir en haleine une partie importante du peuple juif, lors de son premier succès, quand l’ivresse de la délivrance prochaine battait son plein. Mais même après qu’il eût apostasié la croyance aveugle en une délivrance proche et imminente, sous forme de second dévoilement de Sabataï Zvi, continuait à susciter de l’ébullition et à faire couler beaucoup d’encre.
Le Rabbin Yaacov Sasportas, originaire d’Oran en Algérie, farouche opposant au mouvement de Sabbataï Zvi, rédigea une correspondance abondante sur le sujet, qu’il compila en un livre intitulé : « TSITSAT NOVEL TSVI ».
Il retrace à travers cet échange de lettres, toute la polémique qui a secoué le peuple juif dans la seconde moitié du 17è siècle sous tous ses aspects. D’Amsterdam, où il résidait, le Rabbin Sasportas
tentait de convaincre les personnalités de son époque de la fausseté du prétendu « messie » avec preuves et arguments savants.
Bien qu’il eut peu de succès dans sa démarche de dissuasion, la correspondance qu’il a eu soin de compiler reste une source précieuse de description de ce triste épisode.
1- L’ AVENEMENT DU MESSIE DE SMYRNE :
Le Rabbin Sasportas se trouvait à Hambourg au mois de Kislev 5426 (1666), quand arriva à ses oreilles la nouvelle qui préoccupait la communauté juive : le Messie de Smyrne, Sabbataï Zvi, était proclamé roi d’Israël.
Dans une lettre datée du 22 Kislev de cette année là, le Rabbin Sasportas raconte que lui sont parvenues des informations d’Egypte et de ses environs disant qu’un « prophète » de Gaza aurait annoncé la délivrance prochaine du peuple d’Israël ; il aurait même nommé un sage, « Sabataï d’Izmir », comme étant le messie qui serait, selon les mêmes informations, sacré roi par le roi des turcs dans un an et quelques mois. Il ramènera les dix tribus égarées et fera de grandes guerres pendant 5 ans.
Dans cette même lettre, le Rabbin Sasportas affirme que cette nouvelle fût prise au sérieux par les masses du peuple juif, un mouvement de Téchouva (repentir) a vu le jour afin de « mériter le dévoilement définitif du messie ». La foi était si forte chez les masses, que quiconque émettait un doute sur l’authenticité du messie était considéré comme un impie.
Le Rabbin Sasportas prit alors position contre le développement du mouvement, déjà à son début ; il était convaincu qu’il s’agissait d’un imposteur voulant créer une nouvelle religion et utilisant à cette fin le faux prophète Nathan, abusant ainsi de sa naïveté.
La conviction du Rabbin Sasportas était d’autant plus forte qu’il dressait de Sabbataï Zvi un tableau noir, le traitant de mécréant et d’impie. Il lui reprochait notamment d’utiliser les noms sacrés qu’il connaissait bien, comme de prononcer le nom divin selon sa calligraphie, d’avoir annulé le jeûne du 10 Teveth, d’avoir sacrifié l’agneau pascal en dehors du Temple de Jérusalem et de l’avoir mangé avec sa graisse, d’avoir transgressé le Chabbat en cassant la porte de la synagogue, de se conduire avec légèreté avec des femmes mariées et tant d’autres griefs.
Sa conclusion était claire : il ne pouvait s’agir du messie, puisque la première condition requise pour ce dernier est d’être un fervent pratiquant de la Loi telle qu’elle est décrite dans la Torah écrite, et selon l’interprétation de la Loi Orale, ce qui manquait de façon flagrante à Sabbataï Zvi.
Or, à ce stade, le Rabbin Sasportas s’est heurté à l’opposition farouche des nombreux partisans ; qui plus est, ces derniers comptaient dans leurs rangs des rabbins et des dirigeants de communautés souvent influents.
Citons ici l’extrait d’une lettre des rabbins d’Amsterdam adressée au Rabbin Sasportas :
« Votre lettre nous est parvenue, et nous avons vu comment vous avez parlé abondamment contre cette croyance ; d’après vous, ce n’est que moquerie. Vous avez même déclaré : « Gaza sera déchue de sa prophétie », or, je m’étonne de votre personne si honorable : comment avez-vous abandonné votre piété et médit contre des hommes reconnus comme étant des saints vénérés, en disant que l’un s’est arrogé la prophétie et l’autre le messianisme ?… »
Le Rabbin Sasportas écrivait, lui, dans une lettre adressée au Rabin Aboab : « Or moi dans ma misère, j’ai vu que les notables du peuple trompent leur communauté et ouvrent grand leur bouche contre ceux qui ne croient pas…de ce fait, je me retrouve dans une position faible. Je ne peux m’exprimer car mes partisans sont peu nombreux ! ».
La communauté juive, en émoi , s’est empressée d’opérer un retour aux sources, la Techouva, afin de hâter la délivrance. Les partisans de Sabbataï Zvi se sont sentis confortés par ce phénomène,-(la Téchouva)- en s’appuyant sur l’affirmation de nos sages, selon laquelle le peuple juif reviendra à la Torah à la veille de la délivrance. Par là-même, la position d’opposant du Rabbin Sasportas devenait d’autant plus vulnérable. On l’accusait de vouloir décourager le peuple dans son retour à la Torah en niant le caractère messianique du Rabbin Sabbataï Zvi.
Le Rabbin Aaron Sarfati écrivait ainsi au Rabbin Sasportas : « toute la communauté se conduit avec une telle sainteté qu’on ne peut la décrire…Toute la journée et toute la soirée le peuple se rassemble à la synagogue tel un jour de Kippour. Le Chabbat, dix milles pièces d’or ont été offertes et des bancs se sont rajoutés à notre Yéchiva… »
Dans l’euphorie de la délivrance, les partisans du Rabbin Sabbataï Zvi ont adopté de nouveaux rites ayant trait au thème de la délivrance : les jours de jeûne sont devenus des jours de fête, des prières spéciales en l’honneur du « messie » ont remplacé la traditionnelle prière pour le sultan.
2-L’APOSTASIE DE SABBATAÏ ZVI :
Le mouvement messianique a connu un revers décisif dans l’apostasie de Sabbataï Zvi.
Ce dernier avait en effet cédé à la menace du sultan ottoman, qui l’avait d’abord emprisonné à la forteresse de Gallipoli, puis l’avait sommé de choisir entre l’Islam ou la mort.
Sabbataï Zvi opta pour la conversion en septembre 1666.
Ses partisans furent alors partagés : certains étaient déçus et ont changé de camp ; d’autres, encore très nombreux, ont tenté d’expliquer cet événement par des raisons mystiques (souffrances du messie, existence d’un sosie de Sabbataï Zvi…).
Beaucoup de fidèles de Sabbataï Zvi l’ont suivi dans l’apostasie, d’autres encore, sans aller si loin, ont continué à diffuser la nouvelle selon laquelle une «seconde « apparition du messie » aurait lieu ultérieurement.
Plus tard, le mouvement ayant disparu, il en subsista cependant un groupuscule de partisans convertis à l’Islam : les « donmeh ». Cette secte a perduré jusqu’au 20è siècle, notamment à Istanbul.
Le Rabbin Sasportas écrivait ainsi dans ses notes :
« Il nous a été rapporté de Constantinople que cet impie a demandé au Roi de lui donner une autorité sur quelques provinces, et qu’en retour, il avait promis au Roi que tous les juifs le suivraient dans sa nouvelle religion. Dès que la chose arriva aux oreilles des Sages, ils auraient jeté un anathème contre quiconque irait le rencontrer ou lui parler, car même une fois qu’il eût apostasié, certains étaient encore séduits par lui, car il leur disait qu’il a agi de la sorte pour une raison mystique ».
Il apparaît que l’épisode de Sabbataï Zvi comporte le même processus que nous trouvons dans tous les mouvements de foule : fascination excessive exercée par un personnage sur ses partisans, perte de sens critique chez ces derniers, puis déception tardive quand l’escroquerie apparaît au grand jour.
Il y a lieu de noter le contexte particulier où les juifs se trouvaient à la veille de cet événement : Pogroms en Russie (massacres de Chmielnicki 1648-1649) et aussi diffusion de la Kabbale de Safed. Sabbataï Zvi était un grand érudit dans cette science.
Les Juifs éprouvés ont naturellement vénéré ce personnage, l’élevant au-delà de tout soupçon.
La leçon à retenir de cet épisode est simple : la vigilance et le discernement doivent être omniprésents, notamment quand il s’agit d’affronter des mouvements de masse. ♦AT
Sabbataï Tsvi n’était pas un imposteur mais un malade souffrant d’une psychose maniaco-dépressive. Comme l’écrit Scholem, il avait besoin de l’illumination propre à ses états maniaques pour se lancer dans l’action. Sans Nathan de Gaza qui le convainquit de son propre messianisme, il serait resté toute sa vie un marginal. Je le montre dans mon prochain roman, « La chanson de Meliselda » ou « Sarah, la fiancée du Messie » (éditions Orizons)
Fanny Lévy
J’aimeJ’aime