Par Michel Smadja
Il n’est pas de théorie moderne (hormis le marxisme) qui n’est autant associée au judaïsme que la psychanalyse. Cette discipline prétend résoudre un grand nombre de troubles psychiques en opposition radicale des autres sciences et techniques psychiatriques et psychologiques. Un des plus prestigieux psychiatres français, le professeur Henri Baruk, s’est opposé très fermement à cette prétention, notamment dans les années 1970 où la psychanalyse s’imposait, en France, comme thérapie dominante.
Fils d’un grand aliéniste, Henri Baruk était éloigné de la tradition juive, comme les autres savants israélites de l’époque (Durkheim, Levi-Bruhl, Mauss, Bernheim). Les persécutions antisémites dont il eut à souffrir le font revenir à la foi de ses ancêtres1. Dans un petit livre édité en 1978 par les éditions ZICARONE et intitulé « La psychanalyse devant la médecine et l’idolâtrie », il dénonce la nocivité de cette théorie.
Psychanalyse et médecine
L’hystérie.
Pour Baruk, l’hystérie a été à la source des recherches de Freud et cela a fait l’objet d’une communication commune de Freud et Breuer dont l’inspiration provenait du travail de Charcot concernant cette maladie. Toutefois, tout le travail « considérable et précieux » de la psychiatrie en France qui a été réalisé avant Charcot était probablement méconnu de Freud. Baruk remet en cause les théories de ce dernier sur l’hystérie tout en reconnaissant que « l’idée émise par Freud de la remémoration du traumatisme est intéressante et pose le problème du rôle des émotions dans l’hystérie ». Seulement « Freud…. semble ignorer les progrès de la neurologie moderne ». Baruk cite plusieurs cas pour étayer sa démonstration. Par exemple, il décrit le cas d’une patiente âgée qui avait été attaquée par un chien sans la blesser et qui fut fortement émotionnée, au point d’être, notamment, paralysée des membres inférieurs. Hospitalisée dans un hôpital psychiatrique, le médecin traitant de formation psychanalytique, proposa une cure en vue de la libérer de complexes sexuels refoulés depuis l’enfance et qui seraient responsables de son état. Baruk préféra se tourner vers la neurologie qui permit de diagnostiquer une tumeur qui compressait la moelle épinière et dont l’extraction permit la guérison de la patiente.
Les obsessions et le « sur-moi »
Les obsessions sont considérées par Baruk comme une maladie de plus en plus répandue et que la théorie freudienne explique par la frustration et le refoulement des pulsions par le « sur-moi », instance psychique imposée par la société sur les individus. La psychanalyse se propose de mettre à jour dans le champ du conscient du sujet ce refoulement qui pourra ainsi être neutralisé. Baruk réfute totalement cette hypothèse par l’observation de « centaines d’obsédés traités par la psychanalyse » et dont « nous n’avons pas vu de soulagement effectué par cette prise de conscience ».
Les résultats cliniques.
C’est donc la principale objection à la psychanalyse qui est le refus par les partisans de celle-ci, « des droits à l’observation et à la clinique » ; « Il suffit de considérer la psychanalyse comme une théorie divine révélée, et, son auteur comme déifié, sans se soumettre à l’expérience, même sans tenir compte des travaux et des découvertes faites avant l’ère psychanalytique ! ».
Les sources culturelles de la psychanalyse
Baruk reproche la place, à son sens excessive, accordée à l’inconscient. Il en distingue deux : celui « d’en haut » et celui « d’en bas ». C’est ce dernier que privilégie la théorie freudienne (le « ça »). L’inconscient des instincts naturels dont la définition reprise par Baruk est la suivante : « une poussée purement énergétique ne connaissant ni le bien, ni le mal, ni le juste, ni l’injuste, ni la pudeur, ni l’impudicité ». Les deux concepts choisis par Freud pour schématiser cette force vitale seraient Eros (l’amour sexuel) et Ananké (la fatalité).
Il s’agirait donc d’une résurgence du paganisme antique, des admirateurs des astres et des sorts et des croyants de la Némésis (traduit rapidement par fatalité mais qui correspondrait à la « juste colère des dieux »3). Il est donc logique que le mythe d’Œdipe soit un concept essentiel de la théorie freudienne.
Freud, « suivant l’inspiration grecque » ne met pas au premier plan la pureté morale mais l’esthétique pure ; « la recherche du bonheur dans la beauté signifie la satisfaction des instincts ».
Conséquences médicales et sociales
La maîtrise des instincts avant la psychanalyse.
Il y aurait trois moyens pour neutraliser cette frustration.
Le premier moyen est la destruction des instincts comme l’« enseigne la sagesse orientale ». La philosophie du yoga et du Nirvana finirait par créer des morts-vivants, épuisés physiquement et moralement.
Le deuxième moyen qui consiste à maîtriser l’activité instinctive n’est pas comparable à la joie de « satisfaire un instinct resté sauvage ». Enfin la sublimation, autrement dit la spiritualisation des instincts serait « rare et difficile…et risque d’entraîner un déséquilibre de la personnalité ».
La sublimation est arrivée à nous par les Esséniens qui voulaient spiritualiser l’Homme entièrement alors que les Pharisiens « conformément à la Loi de Moïse tenaient compte à la fois de l’âme et du corps et visaient seulement à sanctifier ce dernier ». La sublimation absolue se retrouve dans le Christianisme et Pascal reproche aux Juifs de tenir l’équilibre entre le corps et l’âme (les Juifs charnels !).
Les conséquences de la prépondérance psychanalytique
En séparant si nettement les manifestations psychologiques du corps et la biologie, Freud aurait été un des responsables de la séparation actuelle entre psychiatrie et biologie, et que Baruk estime catastrophique. L’enseignement freudien porte, exclusivement, sur la considération de l’inconscient d’en bas qui rendrait dangereux pour la santé mentale toutes les interdictions liées aux impulsions sexuelles, au désir, à la jalousie, à l’ambition…..Pour Baruk, cette interprétation entraîne une nouvelle cause de lourdes souffrances (en plus de celles de l’affection proprement dite) et au « rejet sur les autres de toutes ses difficultés », ce qui entraîne une aggravation des conflits familiaux. La « généralisation à outrance du désir instinctif » amène à interpréter, par exemple, la douleur du deuil par le « désir inconscient de voir mourir l’être aimé ». De même dans la « victimologie », les victimes se voient soupçonnées d’avoir un désir inconscient de devenir victimes. Le pansexualisme freudien conseille aux homosexuels d’assumer leur tendance ce qui empêcherait la guérison de certains d’entre eux et favoriserait le retour à une société de type « Sodome et Gomorrhe », connues pour ses pratiques homosexuelles et sa violence de jouissance. Baruk remarque d’ailleurs une « agressivité spéciale » chez les personnalités psychanalysées et même chez les psychiatres ayant subi une psychanalyse didactique. La seule validité qu’il reconnaît à l’apport freudien est « une ouverture sur la signification des attitudes de certains névropathes…qui crée un esprit nouveau dans la compréhension des maladies mentales ».
Psychothérapie et judaïsme
Autant l’inconscient d’en haut est bienfaisant pour Baruk, autant le « sur-moi » est malfaisant chez Freud. Les interdictions seraient pour ce dernier, la répression aveugle et féroce du « sur-moi » et lui font méconnaître l’existence d’un Dieu juste et compatissant, long à la colère, plein de mansuétude. Ainsi la recherche des meilleures solutions scientifiques pour apaiser la souffrance morale des individus sert d’enjeu à la finalité de deux civilisations opposées : la morale du bonheur et la morale du devoir. La morale du devoir consiste en l’accomplissement des prescriptions de la Torah, les mitzvot. Cet accomplissement permet la satisfaction morale et donc le bonheur. Il n’y a donc pas de contradiction entre bonheur et devoir pour les fidèles du message de la Thora. Baruk préconise une méthode qu’il intitule la « Chitamnie », contraction des mots hébraïques « chitah » (méthode) et « émounah » (confiance, foi).
Il cite le cas de l’hôpital psychiatrique de Charenton qu’il a dirigé pendant trente années et qu’il a réussi à pacifier grâce à cette méthode qui utilise les témoignages et rejette les calomnies. Une méthode qui demande du courage et refuse la complaisance.
Franklin Rausky (universitaire) résume cette méthode par l’accompagnement du malade par le médecin qui doit « rassurer, guider, conseiller » dans le respect de la conscience (morale du malade) sans chercher à le séduire. Il conclut que les thérapeutes ne peuvent faire l’économie d’intégrer dans leur diagnostic, la question de la conscience morale3.
Conclusion
Les exemples présentés ne laissent aucun doute sur la démarche purement scientifique de Baruk mais il faut reconnaître que les techniques et les classifications mentionnées sont, aujourd’hui, évidemment dépassées. Toutefois, l’incertitude et les doutes restent de mise quant à l’efficacité de la psychanalyse. Il est certain que beaucoup de prétendus thérapeutes ont abusé de la crédulité de personnes dans le désarroi et le désespoir et que la prépondérance de la psychanalyse fait du tort à d’autres pistes de la réflexion scientifique. Ses arguments philosophiques me semblent plus polémiques même s’ils sont très intéressants. En fait Freud a inauguré une forme de matérialisme naïf que les sociétés occidentales sont en train de payer très cher et qui peut conduire à leur destruction. Il faudrait que d’autres savants ayant la foi, poursuivent cette quête de la conscience morale en vue d’apaiser les tourments des êtres humains.MS♦
1 Franklin Rausky
2 wikipédia
3 Actualité juive 12/12/2013