Les juifs « Arc-En-Ciel »

1 carte.jpgPar Chantal Melamed*

L’Afrique du Sud, dont le nom officiel est République d’Afrique du Sud, est un immense pays situé à l’extrémité australe du continent africain.

Elle compte 54 millions d’habitants répartis en 80,2 % de noirs, 8,8 % de métis, 8,4 % de blancs et 2,5 % d’asiatiques, surtout Indiens. Ainsi, l’Afrique du Sud est en Afrique le pays présentant la plus grande portion de populations dites « colorées », blanches et indiennes. Elle est souvent appelée « nation arc-en-ciel », tout comme son drapeau.

Cette notion2 drapeau d’« arc-en-ciel » a été inventée par l’archevêque Desmond Tutu pour désigner la diversité de la nation sud-africaine et a remplacé le concept de société plurale employé précédemment par les théoriciens de l’apartheid.

La population juive d’Afrique du Sud, qui comprend également des noirs, n’échappe pas à cette complexité. C’est la raison pour laquelle j’ai pris la liberté de titrer cet article : « les juifs arcs-en-ciel ».

Berceau de l’humanité
L’Afrique du Sud est considérée comme le berceau de l’humanité. En effet, c’est sur son territoire qu’ont été découverts les plus anciens restes humains. Toutefois, son territoire est resté longtemps sous-peuplé par des tribus bantoues ou zouloues nomades.

Cap Bonne Espérance
Cap de Bonne Espérance

Le Cap de Bonne-Espérance a été découvert par Vasco de Gama grâce au travail des cartographes et des savants juifs portugais, restés en relation avec leurs coreligionnaires disséminés sur le territoire africain. La découverte de ce passage a facilité le commerce avec les pays d’Extrême-Orient.

Premiers juifs au 17e siècle
Une poignée de juifs non pratiquants, hollandais, allemands, et anglais s’installèrent alors au sud de l’Afrique. C’étaient des employés de la Compagnie du Cap de Bonne-Espérance fondée en 1652.

Interdit aux non-protestants
Cette dernière fut supplantée dès 1652 par la Compagnie hollandaise des Indes orientales. Malheureusement, la compagnie des Indes orientales ne permettait pas aux non-protestants de s’installer dans la région du Cap, et cela jusqu’en 1795, date de la conquête britannique. En 1806, la colonie du Cap devient partie intégrante de l’empire britannique et le nombre de juifs anglais augmenta de telle sorte qu’à la fin du XIXe siècle leur nombre atteignit 24 000. La plupart de ces pionniers juifs anglais et allemands appartenaient à une classe moyenne élevée : médecins, avocats, et nombreux marchands. La vie communautaire juive s’organisa à partir de 1840.

En dehors de cette communauté installée dans les villes côtières, quelques juifs rejoignirent les Boers qui avaient choisi de s’installer dans l’intérieur du pays, où, après de rudes batailles avec les zoulous notamment, ils établirent leurs fermes.

Leurs descendants, les afrikaners juifs, développèrent la pêche, le commerce du sucre et du vin et la fabrication de vêtements.

D’autres juifs enfin, devinrent des aventuriers allant même jusqu’à s’associer avec les rois zoulous.

La physionomie de la communauté change du tout au tout à la fin du XIXe siècle
En effet, en 1881, le Tsar de Russie Alexandre II est assassiné. Utilisant ce prétexte des émeutes antijuives se répandent à travers toute l’Ukraine. Les pogroms étaient accompagnés de pillages et de viols. Les juifs se retrouvent indésirables dans un empire russe de plus en plus antisémite alors même que la population juive avait quintuplé au cours du siècle et s’élevait à 5 millions d’individus en 1900. Beaucoup décidèrent d’immigrer et environ 40 000 choisirent l’Afrique du Sud. La plupart de ces nouveaux immigrés étaient d’origine lituanienne (Litvaks).

En 1880, la population juive était estimée à 4000 personnes, pour la plupart originaires de Grande-Bretagne ou d’Allemagne. Les vagues d’immigration d’Europe de l’Est en ont fait une minorité importante puisque ce sont désormais près de 60 000 juifs qui vivent désormais dans le pays.

On les appelait les « smous »
Il faut toutefois insister sur le fait que la plupart de ces immigrants d’Europe de l’est arrivaient sans autre ressource que leur astuce et leur expérience, recherchant les opportunités de marché. La plupart commencèrent à gagner leur vie avec l’activité qu’ils exerçaient en Europe, à savoir le colportage. Les «smous», comme les appelaient les afrikaners, visitaient les endroits les plus reculés, approvisionnant les fermiers avec les biens de première nécessité et quelques peccadilles. Ils achetaient aussi leur production aux fermiers qu’ils revendaient aux grossistes.

Meubles, vêtements, verre, bois…
L’étape suivante était l’ouverture d’un magasin l’atelier de l’un des artisans devenait souvent le point de départ d’une petite usine puis d’une plus grande. C’est ainsi que les juifs fondèrent l’industrie du meuble, des matelas et des vêtements en Afrique du Sud et ont commencé à jouer un rôle important dans l’industrie du verre et du bois.

Grâce à leur travail acharné à leur persévérance ses premiers immigrants purent obtenir une meilleure vie pour leurs enfants et petits-enfants. Beaucoup ont apporté de grandes contributions à l’économie sud-africaine notamment dans les domaines du commerce de l’industrie et de l’agriculture.

Ruée vers l’or
La découverte de filons d’or et de diamants va entraîner de nombreux juifs à participer à la course au trésor que représente l’exploitation des mines. Cette ruée vers l’or sera à l’origine de la création de la ville de Johannesburg en 1886. La ville a élu un maire juif, Sir Harry Graumann, en 1909 et la grande synagogue a été consacrée en 1914.

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Johannesburg : La Grande synagogue

Johannesburg en 1886. La ville a élu un maire juif, Sir Harry Graumann, en 1909 et la grande synagogue

Les juifs s’organisent
En 1912 est fondé le South African Jewish Board of Deputies, équivalent de notre CRIF. De nombreuses synagogues fonctionnent à travers tout le pays. De nombreux mouvements de jeunesse sont actifs, on trouve en Afrique du Sud des écoles des musées des cimetières et également, créé en 1976, un étonnant kibboutz pour personnes handicapées.

De nombreux juifs sud-africains se sont illustrés dans les domaines les plus divers : Abba Eban, qui sera ministre des affaires étrangères de l’État d’Israël, l’écrivain Nadine Gordimer qui sera prix Nobel de littérature en 1991, Sidney Brenner, prix Nobel de médecine en 2002 et le fameux rockeur Johnny Clegg, surnommé le « zoulou blanc ».

La lutte contre l’apartheid
Les juifs ashkénazes n’avaient pas seulement apporté avec eux leurs livres, leurs châles de prière. Certains, parmi les plus profanes, s’étaient approprié les idéaux « subversifs » des socialistes. Les travailleurs juifs voyaient dans la solidarité la disparition de toute différence ethnique ; ils respectaient les études juives, se souciaient de l’éducation, acceptaient les lois religieuses et parlaient yiddish. Mais ils voulaient une société humaine et juste ; c’est ainsi qu’ils se sont trouvés impliqués dans les activités politiques et syndicales et ont eu un rôle important dans la lutte contre l’apartheid. Cette situation a été officiellement reconnue par Nelson Mandela qui a témoigné de sa reconnaissance vis-à-vis de la communauté juive.

Actuellement, la communauté juive sud-africaine s’élève à 80 000 personnes, dont 20 000 à Johannesburg et 60 000 dans la région du Cap. On trouve de nombreux magasins kasher et de nombreux produits kacher  dans tous les magasins.

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Musée du Cap

Au cours de notre voyage, nous avons pu visiter la très belle synagogue centrale du Cap, adossée à un magnifique musée.

Nous avons ensuite quitté la région du Cap traversant la chaîne de montagnes qui l’isole du Nord pour nous retrouver dans le petit Karoo, région semi désertique dont la capitale est la ville d’Oudtshoorn. C’est une ville extrêmement particulière, plus important centre d’élevage d’autruches au monde.

Autruches
Il faut savoir que si l’on trouve sur des hiéroglyphes des plumes d’autruche éventant le changement, il s’agissait de produits de grand luxe car on n’avait pas réussi à domestiquer cet animal particulièrement idiot (je crois qu’il possède le plus petit cerveau du monde animal par rapport à sa taille), et il fallait le chasser comme ça.

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Ce n’est qu’à la fin du XIXe siècle que l’animal a pu être domestiqué. Si je vous parle de cela, c’est que cet exploit est dû à des familles lituaniennes venues s’installer là. Comme ils ont fait de Vilnius la Jérusalem du Nord, ils ont fait de la ville Oudtshoorn la Jérusalem africaine avec une vie communautaire active et des synagogues prospères.

Au début du XXe siècle la ville fournissait 85 % de ces plumes à l’industrie de la couture et du spectacle.

Automobile ou chapeau à plumes ?
Malgré tous les efforts de son leader, Max Rose, cette industrie a été ruinée par cet antisémite notoire d’Henry Ford. En effet, la popularisation de la voiture automobile a entraîné la disparition de chapeaux à plumes, les femmes ne pouvant pas entrer dans leur automobile avec de telles coiffures.

Or et diamants Afrique du Sud.jpgIl faut cependant noter que ces travailleurs acharnés se sont retournés vers d’autres secteurs économiques florissants en Afrique du Sud : l’or et le diamant.

La seconde guerre mondiale
L’après guerre va également modifier la composition de la communauté juive d’Afrique du Sud. Fuyant le nazisme, des séfarades venus de Rhodes, de Salonique, de Smyrne, d’Égypte ou d’Irak se réfugient l’Afrique du Sud enfin, les troubles au Congo et en Rhodésie vont pousser les séfarades qui y résidaient à s’établir en Afrique du Sud.

À partir de 1990, sous l’effet de la violence politique dans le pays, de la situation économique délicate, de l’application de la politique de préférence raciale (discrimination positive) qui donne priorité aux Noirs dans un certain nombre de domaines, une forme larvée d’antisémitisme encouragé par les prises de position pro palestiniennes des dirigeants sud-africains, y compris Nelson Mandela et par l’ambiance et de la conférence mondiale contre le racisme de Durban en 2001, la population juive d’Afrique du Sud a diminué de façon drastique.

Elle avait atteint 150 000 personnes à son apogée et a diminué de moitié. Par dizaines de milliers, les juifs vont se tourner vers l’Australie, l’Amérique du Nord, la Grande-Bretagne, la Nouvelle-Zélande, et Israël. Un cap politique a d’ailleurs été franchi en août 2012 lorsque l’Afrique du Sud qui avait pourtant été un des premiers pays à reconnaître Israël en 1948 a banni l’étiquette « made in Israël » sur les produits venant des territoires.

Lors du recensement de 1996, 67 000 personnes s’étaient déclarées juives au sens religieux du terme. Parmi elles, 55 734 blancs 10 449 noires 1058 métis et 359 Indiens.

Ironie de l’histoire, tandis que des juifs quittaient le pays environ 10000 Israéliens s’y sont installés et, phénomène incroyable, une tribu noire, les Lembas, 40 000 personnes vivant au nord du pays se revendiquent d’un judaïsme ancestral.

Chantal MelamedSur le continent africain, le judaïsme n’a pas fini de nous étonner, mais ce sera sûrement le thème d’un autre article. CM♦

* Ancienne présidente du B’nai B’rith Versailles

Un commentaire

  1. Merci pour ton exposé chantal. On ira désormais en Afrique du Sud mieux informés et les yeux ouverts grâce à toi.
    Muriel

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