Violences au Kotel : « Gardons nos prêtres dans leurs temples ! » 

conservative-judaismPar Danielle Khayat*

L’article récemment publié par la communauté massorti de Saint Germain-En-Laye (voir ici) a le mérite de mettre en lumière un problème crucial et des questions qui, pour être connexes, n’en sont pas moins fondamentales.

Le problème crucial, c’est – quoi qu’en disent certains – celui de l’avenir même du Judaïsme.

France et Israël à part
Aujourd’hui, les mouvements progressistes sont majoritaires partout dans le monde, sauf dans deux pays : la France et Israël. Dans le continent américain (nord et sud), en Australie, en Europe, les mouvements massorti, libéraux et orthodoxes modernes drainent le plus grand nombre de Juifs. En face, le raidissement des ultra-orthodoxes est de plus en plus tangible… et, parfois, violent. Tel est le cas en Israël, et pas seulement depuis les derniers affrontements, le 2 novembre 2016, au Kotel. On rappellera que l’assassin d’Itzak Rabin suivait l’enseignement de rabbins ultra-orthodoxes ; que l’opposition des religieux extrémistes à l’incorporation dans l’armée n’a rien de pacifique ; que leur refus de travailler – et donc de subvenir aux besoins de leurs enfants – de parler hébreu, de participer à l’effort militaire est revendiqué haut et fort ; que leur volonté d’imposer une ségrégation sexiste dans les transports (bus et avions de la compagnie nationale El-Al) aboutit à de fréquents affrontements physiques ; qu’une petite fille a été victime d’une agression, il y a quelques années, parce qu’elle portait un vêtement ne couvrant pas ses bras jusqu’aux poignets : les exemples de cet intégrisme que l’on croyait être le fait de quelques illuminés se multiplient en nombre et en intensité, suscitant l’exaspération croissante de très nombreux Israéliens – y compris orthodoxes, mais pas pour autant haredim[1] – qui fulminent de voir l’argent de leurs impôts servir à financer des communautés qui, au mieux, les méprisent, et qui, en tout état de cause, s’imposent comme faiseur de gouvernement -sinon de roi. Les ultra-orthodoxes jouent à la perfection avec les règles du système électoral en vigueur (la proportionnelle intégrale, et l’augmentation du seuil d’éligibilité, voulue par Avigdor Liberman, n’a abouti qu’à favoriser l’unité des partis arabes, et non à lui permettre d’augmenter le nombre des élus de son parti), comme avec l’appétence pour le pouvoir des nouveaux leaders – qui n’ont plus rien en commun avec les pères fondateurs de l’État.

mjlfLe risque (le spectre ?) d’un schisme se profile et se rapproche dangereusement. Les paroles de mépris et de haine vis-à-vis des non-orthodoxes, y compris de la part de membres de l’actuel gouvernement se sont multipliées, entraînant certes la condamnation de Benjamin Netanyaou, mais rien de plus – maintien de la fragile coalition oblige, alors même que Naphtali Benett, du parti sioniste-religieux, se montrait particulièrement sévère vis-à-vis de tels propos et de leurs auteurs.

Pour nous qui, comme peuple du Livre, disons que « au commencement était le Verbe », il n’y a donc rien d’étonnant à constater que des affrontements de plus en plus violents suivent des propos de haine, comme ce fut le cas la semaine dernière au Kotel : la fureur des ultra-orthodoxes leur a fait déchirer le manteau d’un Séfer Torah dont ils voulaient s’emparer, et il s’en est fallu de peu que celui-ci chute à terre. Belle leçon de respect de la Torah, en vérité…

Mais toute cette violence, pourquoi se déchaîne-t-elle ?
Est-ce vraiment parce que les progressistes violeraient la Loi, ou même une tradition de séparation des hommes et des femmes au Kotel ? Rien dans les récits de l’Antiquité ne corrobore cette position. Et, plus près de nous, il n’est que de relire le récit que fait Edmond Fleg de son séjour à Jérusalem (« Vers le Monde qui vient », Ed. Albin Michel, 1960, not. p.199-200) et de regarder des photographies et cartes postales datant d’avant 1948 pour constater la présence, côte à côte, d’hommes et de femmes priant au Kotel.

Alors, Loi ou usurpation ? Tradition ou affabulation ?
C’est, en réalité, à une lutte pour la conservation d’un pouvoir dont certains se sont emparés que l’on assiste, et le spirituel n’est que le noble manteau sous lequel se cachent des intérêts d’une triste et banale trivialité.

Pour qui s’intéresse à l’Histoire, la lutte actuelle n’est pas sans rappeler celle qui aboutit, in fine, à la destruction du second Temple et à la dispersion et l’exode. Faute de pouvoir s’entendre sur le choix de leur roi, les Judéens firent appel à l’arbitrage de Rome qui mit sur le trône Hérode – que la Halakha d’aujourd’hui ne considérerait pas comme juif puisque sa mère ne l’était pas. Les Romains choisirent également le Grand Prêtre et ses successeurs. Les luttes féroces entre les différentes factions du Judaïsme (les Saducéens, les Pharisiens et les Zélotes, pour l’essentiel, les Esséniens s’étant retranchés loin de Jérusalem, à Qumran, sur les bords de la Mer Morte) détournèrent le peuple de ses chefs spirituels qu’il considérait – à juste titre – comme des collaborateurs indifférents à son sort et soucieux seulement de garder ou de s’emparer du pouvoir. Certains virent dans Yéoshoua le Nazaréen, le Messie qui les délivrerait du joug des Romains et de leurs supplétifs juifs ; d’autres prirent les armes en croyant qu’ils pourraient vaincre Rome.

*** Lire les articles de Danielle Khayat ***

massortiLa suite, on la connaît. Les Nazaréens, tous Juifs à l’origine, firent des émules chez les païens, et, trois siècles plus tard, le Christianisme naissait : la rupture avec le Judaïsme était consommée. Quant à ceux qui s’étaient révoltés, ils furent impitoyablement massacrés – sauf les Zélotes, réfugiés à Massada, qui se suicidèrent collectivement ; Jérusalem fut détruite, son Temple incendié et pillé, son nom-même remplacé, environ cent vingt ans plus tard – après la révolte de Bar-Kochba– par celui de Aelia Capitolina, ainsi que le décida l’Empereur Hadrien.

Séparation du politique et du religieux
Ceux qui invoquent la Torah seraient bien inspirés de se souvenir qu’elle a expressément imposé la séparation du politique et du religieux. Enfreindre cette règle a coûté très cher aux Juifs : la perte de leur pays, deux mille  ans d’exil, de persécutions, de massacres, des millions de morts, sans parler de tous ceux qui ont été convertis de force, au Christianisme ou à l’Islam.

La question de l’accès au Kotel n’est pas une affaire relevant d’un quelconque pouvoir religieux, mais bel et bien du pouvoir politique. D’abord parce que ce sont les soldats de Tsahal – et non pas les haredim et leurs émules – qui ont libéré la Vieille Ville, conquise en 1948 par la Légion arabe (en dépit de l’internationalisation votée par l’O.N.U. en 1947) et occupée pendant dix neuf ans par la Jordanie qui en interdit l’accès aux Juifs. Ensuite, parce que Jérusalem réunifiée est devenue en 1980, par un vote de la Knesset, la capitale de l’État d’Israël et qu’elle relève donc de sa seule autorité – à l’exception du Dôme du Rocher et de la Mosquée d’Omar, lieux musulmans dont les dirigeants israéliens ont laissé l’administration au Waqf jordanien. Enfin parce que la lettre dite de statu quo, envoyée le 19 juin 1947 par David Ben Gourion aux dirigeants de l’Agoudat Israël ne fait   nulle part mention du Kotel, de son administration, des conditions pour y accéder et / ou y prier.

loubavitchBenjamin Netanyaou s’est engagé, en janvier de cette année, à ce qu’un emplacement soit aménagé au Kotel pour les prières mixtes – un emplacement de dimension modeste et à l’écart, mais les mouvements progressistes ont accepté ce compromis. Certes, les archéologues ont émis de vives réserves sur le choix du lieu. Et il n’est jusqu’au Waqf qui a cru devoir s’insurger contre une telle décision : intégristes de tous bords, unissez-vous ! Mais, face à l’opposition farouche des ultra-orthodoxes qui participent à sa coalition, Netanyaou a décidé de … ne rien faire et de ne pas tenir ses engagements.

Les problèmes techniques liés à l’archéologie peuvent être résolus. On ne fera pas l’honneur au Waqf de s’intéresser à son opposition. En revanche, on soulignera que si la rupture devait être consommée entre l’État d’Israël à cause de la pusillanimité de son Premier Ministre face aux injonctions des intégristes, et la plus grande partie des Juifs de diaspora – ainsi que les Juifs israéliens progressistes – c’est le Judaïsme et Israël comme État et Peuple qui en paieront le prix fort : schisme religieux et fin du soutien à un État qui serait devenu l’otage d’une minorité archaïque, obscurantiste et violente.

L’immense majorité des Juifs ne veut pas de ce cauchemar, et rappelle les paroles de Théodore Herzl, le fondateur du sionisme : « Finirons-nous par avoir une théocratie ? […] Non, nous garderons nos prêtres dans leurs temples ».

justice*Magistrat en retraite, membre du MJLF

[1] Ultra orthodoxes

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2 commentaires

  1. Oui merci pour ces rappels historiques et je rejoins les commentaires de Jean Charles Goldberg. Il y a 3 ans je suis allée en Israêl et au Kotel on nous faisait voir une partie du mur où semble-t-il la mixité était autorisée pour prier ???

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  2. Des rappels historiques bien à propos, un article dont tous les arguments vont dans le sens d’un mot qui n’a pas été mentioné mais qui plane sur tout ce texte et certainement dans les fibres de l’auteur : le mot laïcité …. merci Madame Danielle Khayat..

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