Gaza : une traduction AFP-Français

Dictionnaire schtroumpf.jpgPar Liliane Messika

Pour comprendre ce qui se passe à Gaza, il y a des tas de solutions, Internet restant celle où circulent le plus grand nombre de billevesées, suivi de très près par l’ensemble de la presse française qui copie-colle les dépêches AFP, elles-mêmes copiées-collées sur les communiqués de presse de l’agence de communication du Hamas.

L’AFP, le verbatim du Hamas
Le 7 avril 2018, Libération titrait un article choc rédigé par l’AFP : « Gaza, un journaliste parmi les Palestiniens tués à la frontière israélienne ».

La mention d’une frontière est là particulièrement intéressante, car il n’y en a jamais eu à cet endroit.

La Bande de Gaza a été conquise par Israël sur l’Égypte, en même temps qu’une importante portion du Sinaï, en juin 1967.

Lorsque la paix a été signée, entre les deux pays, en 1979, Israël voulait rendre TOUS les territoires conquis en échange de la paix, mais l’Égypte a refusé de reprendre Gaza.

Dès la fin de la guerre des six jours, Israël avait déjà fait la même proposition aux pays arabes qui l’entouraient.

Israel territoires rendus 1
Territoires rendus par Israël

Non, non et non !
La Ligue Arabe, parlant en leur nom commun, répondit « trois non »[1] : non à la paix avec Israël, non à la négociation avec Israël et non à la reconnaissance d’Israël.

Pas de négociation, donc pas de paix, donc pas de frontière.

Une formulation correcte concernant la limite entre la Bande de Gaza et le territoire israélien aurait donc été « la ligne d’armistice » voire, plus descriptif, « la barrière de sécurité ».

Cessons de pinailler : ce n’est pas comme si le journalisme avait à voir avec l’écriture, avec le vocabulaire, ou avec les faits…

Khartoum 2
Sommet de Khartoum 1967

Le compte est bonbon
« Neuf manifestants ont été tués, selon le ministère de la Santé du Hamas, mouvement islamiste qui dirige Gaza, considéré comme «terroriste» par Israël », explique l’AFP dans Libé.

Reprenons : l’info vient du ministère de la Santé du Hamas, celui qui informe de l’enterrement à midi d’un garçon qui sera tué vers 15 heures[2], celui qui organise des processions funèbres où le mort remonte tout seul sur sa civière quand il tombe dans un virage, bref, un organisme en qui on peut avoir toute confiance.

Oyez oyez, bonnes gens !
Pour l’AFP, « islamiste » est un qualificatif neutre, attribué à un mouvement politique honorable et honoré, sauf par les pisse-vinaigre israéliens lesquels, au motif que le Hamas perpètre attentat sur attentat, le qualifient de « terroriste ».

Bon, les États-Unis et l’Union européenne aussi, l’ont classé dans cette catégorie, mais si on le dit, on risque d’y accorder foi, alors qu’en ne citant qu’Israël, on montre à quel point cette appellation est sujette à caution, d’où les guillemets dont on la décore.

La vidéo du journaliste mort le montre portant une veste marquée « PRESS »
On comprend alors que le malheureux journaliste, qui faisait son métier au péril de sa vie sur un champ de bataille, n’est pas une victime collatérale ; il était identifiable, il a été identifié et visé exprès.

Ce n’est pas comme si le Hamas déguisait ses combattants en infirmiers ou en journalistes, comme s’il utilisait les ambulances pour transporter des armes et les écoles pour en faire des bases de lancement de missiles, ou si le « journaliste »venait de lancer un drone, ce que justement il a fait, selon l’armée israélienne.

Non, le Hamas est un gouvernement responsable, démocratique, dont les opposants (ou soupçonnés de l’être) sont en prison ou bien ont disparu, probablement partis acheter des cigarettes, dont les journalistes sont soit agréés soit en prison, peut-être pour avoir dépassé une limite… de vitesse. De vitesse, voyons, qu’allez-vous imaginer ?

Cinq journalistes blessés ou un seul deal ?
« Le syndicat des journalistes palestiniens a indiqué que cinq autres journalistes avaient été blessés vendredi, soulignant qu’ils étaient clairement identifiables avec leur veste. » Cinq vestes mais zéro nom. Bah, quand on aime…

Le syndicat des journalistes de Gaza a bien retourné la sienne, de veste : en novembre dernier (2017), il avait supplié des associations internationales de défense des droits de l’homme d’intervenir auprès du Hamas pour libérer une journaliste emprisonnée. Motif ? Elle avait dénoncé un trafic des Hamasniks qui rackettaient les rendez-vous à l’hôpital et les médicaments.

A l’époque, des dizaines de Palestiniens, notamment journalistes, étaient emprisonnés, pour avoir critiqué l’Autorité Palestinienne, pour « atteinte à la sécurité de l’État », ou encore pour « insultes contre des hauts responsables palestiniens ».

Peut-être le syndicat a-t-il passé un marché : les journalistes disent ce qu’on leur dit de dire, par exemple qu’Israël blesse volontairement leurs collègues et en échange, ceux qui sont vivants ne sont plus torturés en prison.

Exécutions Gaza.jpg
Exécutions à Gaza

« Aucune victime israélienne lors de ces deux journées »
On admet avoir une petite tendance parano, mais quand même, cette information répétée dans deux titres de l’article donne l’impression que l’AFP logée chez Libé la regrette.

D’autant que ces salauds d’Israéliens n’ont pas le triomphe modeste : leur porte-parole « a estimé que la journée de vendredi avait été un succès. «Aucun de nos soldats n’a été blessé et la frontière n’a pas été franchie», a-t-il affirmé. C’est l’AFP qui l’affirme.

Le mot « succès » dans ce contexte, c’est indécent. Mais a-t-il été prononcé ? Non, si l’on en croit la disposition des guillemets. Mais combien de lecteurs vérifieront que leur sentiment induit par la formulation subliminale est injustifié ?

Disproportion, oui, mais de quel côté ?
Zéro victime chez les méchants agresseurs, alors que du côté des gentils envahisseurs, il y en a eu 19 le premier vendredi de la spontanée Marche du retour et 9 le deuxième.

En même temps, 28 morts à 0, quand l’armée la plus féroce du monde se bat contre les manifestants pacifiques les plus attendrissants de la planète médias, ça fait un peu léger.

Surtout comparés au demi-million de morts (et combien de blessés ?) de la guerre civile syrienne, sans parler des 14 qui ont été gazés ce week end..?

C’est pourquoi insérer des journalistes dans la liste des victimes a vocation à rééquilibrer, par la « qualité » du mort et des blessés, la modestie de leur quantité.

Le pyromane demande aux artificiers d’éviter les mises à feu
« S’inquiétant de nouvelles victimes, l’envoyé spécial de l’ONU pour le Moyen-Orient, Nickolay Mladenov, avait appelé les forces israéliennes à la « retenue maximale » et les Palestiniens à éviter les « frictions », indique l’AFP.

La « marche du retour des Palestiniens exilés » a pour objectif officiel d’infiltrer un maximum de Palestiniens à travers la barrière de sécurité afin d’aller perpétrer des attentats dans les villes israéliennes. Que peut bien recouvrir, dans ce contexte revendiqué par la direction du Hamas, la demande « d’éviter les frictions » ?

Une note optimiste n’est pas coutume
Dans ses dépêches sur le Moyen-Orient, l’AFP nous avait déshabitués des faits, aussi est-on agréablement surpris de noter leur réapparition, même si celle-ci est entourée d’un halo de mystère.

Ainsi la phrase suivante ne contient-elle rien de totalement faux, mais elle oublie des données importantes et demeure obscure sans les sous-titres :

« Le mouvement de protestation lancé le 30 mars et baptisé «la marche du retour», prévoit des rassemblements et campements durant six semaines à la frontière pour réclamer «le droit au retour» de quelque 700.000 Palestiniens chassés de leurs terres ou ayant fui lors de la guerre qui a suivi la création d’Israël le 14 mai 1948. »

Oublié, l’objectif annoncé par le Hamas de détruire la barrière de sécurité pour s’introduire en Israël ? C’est ballot !

Gaza manifestation 5
Frontière Israël Gaza Avril 2018

L’AFP est-elle fâchée avec les chiffres ?
Il faut savoir en effet que parmi les 700 000 Palestiniens constituant les « réfugiés » de 1948 – dont on admet pour la première fois qu’une partie a fui de son plein gré – il est peu probable que tous soient encore vivants. En revanche, ce que l’AFP « oublie » de préciser, c’est que grâce au statut unique des réfugiés palestiniens par opposition à tous les autres réfugiés de la planète, qui est transmissible aux descendants sans limitation de durée, aujourd’hui, c’est 5,4 millions de personnes qui réclament le « droit au retour ».

C’est à peu près le même nombre que celui des citoyens juifs d’Israël, qui compte aussi environ deux millions de citoyens musulmans.

Si les survivants de l’époque reviennent, accompagnés des presque 5 millions d’autres qui sont nés réfugiés, Israël ne sera plus le seul pays à majorité juive, mais le 58ème à majorité musulmane.

« La guerre qui a suivi la création d’Israël le 14 mai 1948 ». Suivi, toute seule ?
La formulation de l’AFP laisse supposer que, telle l’invasion des sauterelles ou la pluie de sang dans l’Égypte de Pharaon, la guerre qui a suivi l’indépendance d’Israël est tombée du ciel.

Il n’en est rien ! (Vous l’aviez peut-être deviné…)

En effet, après que l’ONU eut déclaré la partition des 25% restant de la Palestine mandataire entre un État juif et un État arabe (la Grande Bretagne ayant généreusement offert les 75% à l’est du Jourdain au roi Hussein pour qu’il en fasse la Jordanie), les Juifs sont les seuls à l’avoir acceptée.

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Mandat britannique – Territoire espéré par les Juifs (bleu)

Le jour même où les Britanniques ont quitté les lieux, six armées arabes ont attaqué Israël : celles de cinq pays, la Jordanie, l’Égypte, l’Irak, la Syrie, le Liban et les quelques milliers de volontaires de l’Armée de libération arabe créée par la Ligue arabe, dans les rangs de laquelle se trouvaient des citoyens des pays précités, mais aussi des Allemands et des Turcs.

La dernière phrase : l’insinuation qui tue
« La reconnaissance par le président Donald Trump de Jérusalem comme capitale d’Israël, en décembre dernier, a ulcéré les Palestiniens qui y voient la négation de leur revendication sur la partie orientale de la Ville sainte, annexée et occupée par Israël. » En AFP dans le texte.

Les Palestiniens ont en effet été ulcérés qu’un Président des États-Unis, au lieu de venir quémander leur approbation, déclare que la terre était ronde et que Jérusalem était la capitale d’Israël depuis des millénaires.

Ils n’ont pas l’habitude qu’on les contredise, les Palestiniens. Quand ils disent que la terre est plate, tout le monde regarde ailleurs et fait semblant de n’avoir rien entendu.

Alors un président qui appelle un chat un chat, ça les déstabilise, forcément !

Et s’ils y voient la négation de leur revendication sur la capitale des Juifs, ils n’ont pas tort, mais qu’ils lisent le Coran : Mahomet le disait déjà !

Capitaine Haddock Jésus 7
Jésus colon ?

Encore un oubli, et de taille !
La Ville Sainte annexée et occupée par Israël, ça devrait faire rigoler tout le monde : rappelez-moi, cher ami, ce Salomon, vous savez celui de « la sagesse de Salomon », il l’avait construit où, son temple, déjà ? Et Jésus, vous savez ce rabbin révolutionnaire, il habitait où, déjà ?

La capitale de David et de Salomon était une bourgade abandonnée depuis que les Romains avaient détruit le Temple en 70 de notre ère. Occupée pendant cinq siècles par les Ottomans, elle n’abritait plus que quelques Juifs miséreux et était négligée par tout ce que l’Arabie a compté de païens, puis de musulmans.

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Jérusalem 1936

L’ONU voulait en faire une ville franche internationale, les Juifs avaient accepté.

Mais c’est la Jordanie qui l’envahit. Alors, pendant les 19 années suivantes, les Juifs n’eurent pas le droit d’y pénétrer, sans parler d’y prier.

Elle n’a donc jamais été internationale.

C’est seulement depuis que Tsahal l’a reconquise en 1967, que les Juifs peuvent aller y prier, comme les catholiques, et les protestants, et les musulmans, et les Bahai, et les Circassiens… Quant aux athées, ils peuvent s’y promener sans craindre la lapidation.

Un progrès ? Pas aux yeux de tout le monde…

Une ville à tout le monde, donc à personne, plutôt que la capitale d’Israël
Les antisémites occidentaux ne désespèrent pas de l’occasion offerte par ce « nouveau conflit » pour relancer l’idée d’une internationalisation de Jérusalem.

Ce « nouveau conflit » n’est en réalité qu’une énième manœuvre du Hamas pour faire oublier qu’il affame sa population tout en encaissant les sommes astronomiques versées par les contribuables occidentaux.

Il en place la moitié sur ses comptes perso et il investit l’autre moitié dans des armes et des infrastructures pour détruire Israël.

Le journalisme, c’est un sacerdoce
Bon, c’est pas tout ça, Coco, mais faut citer Trump : ça fait vendre de l’indignation, Trump.

Et fais moi une conclusion sur le malheur des Palestiniens.

Dépêche, on a un bouclage ! Bon, alors, des morts, t’en as combien ? 9 seulement ? C’est le chiffre brut ou net ? Pffff, même en rajoutant 10 ou 20%, faire passer ça pour un génocide, ça va pas être de la tarte. Quel métier ! LM♦

Logo Liliane Messika8 avril 2018

[1] Sommet de Khartoum (29 Août-1er Septembre 1967)
[2] Affaire Al-Dura (septembre 2000)

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