Pourquoi Vladimir Poutine ne prononce jamais le nom d’Alexeï Navalny

Le rêve inaccompli de Vladimir Poutine

L’année 2021 qui vient de s’écouler était assez décevante pour le président de la Fédération de Russie. Il se trouve que Vladimir Poutine aime se trouver au centre de l’attention générale, or récemment il devait s’accommoder de l’intérêt public envers deux personnes qu’il ne porte aucunement dans son cœur. Il s’agit de Dmitri Andreïevitch Mouratov et d’Alexeï Anatolïevitch Navalny envers lesquels il ressent une hostilité et une animosité facilement perceptibles. Le premier reçut le prix Nobel de la Paix, et dans son discours de remerciement, prononcé le 10 décembre 2021, il critiqua durement le régime actuel de la Russie. Le second, qui était d’ailleurs mentionné à plusieurs reprises par le récipiendaire d’Oslo, fut distingué par le prix Sakharov1 du nom du célèbre scientifique et dissident soviétique, instauré en 1988 par le Parlement européen afin d’honorer les personnes ou les organisations qui se vouent à la défense des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Malheureusement, Alexeï Navalny qui pourrait être défini comme l’opposant principal au président russe et à son régime, se trouve actuellement en prison et le 15 décembre 2021 le prix fut remis à sa fille Daria2 qui prononça un très beau discours en tenant dans ses mains un portrait de son père.

Quant au président Poutine, il doit être vraiment dépité car depuis des années il rêve du prix Nobel de la Paix, d’autant plus qu’il était déjà placé en 2013 et 2020, parmi les personnes proposées, mais ces démarches n’avaient aucun caractère officiel. Pour l’instant il dut se contenter en 2011 du prix Confucius, une sorte de « contrefaçon » chinoise du prix Nobel de la Paix.

Comment devient-on l’agent de l’étranger ?

En regardant l’état des moyens d’information de la Russie actuelle, on pense souvent, que Vladimir Poutine doit regretter la puissance de la censure soviétique et ce n’est pas un hasard si le gouvernement russe ne cesse de limiter les droits de la presse, des chaînes de télévision, des médias, d’internet et des organisations non-gouvernementales. Ainsi la première loi sur les « agents de l’étranger » fut adoptée dès 2012. Elle obligeait les organisations qui recevait un financement de l’étranger de l’indiquer au ministère de la Justice et à marquer par le terme « agent d’étranger » leurs publications. Au fil des ans la réglementation devint de plus en plus dure et restrictive. En 2019 les personnes physiques (journalistes, blogueurs, hommes politiques…) pouvaient aussi être déclarées comme des « agents d’étranger3 ». Enfin, au début de 2021, à l’approche des élections législatives de septembre, dans la loi fut introduite la notion de “candidat-agent de l’étranger” et de “candidat affilié à un agent de l’étranger” qui n’ont plus le droit de se présenter. Une autre obligation concerne leur situation financière qui doit être rendue publique plusieurs fois par an ; pour chaque manquement, des amendes bien lourdes pleuvent. Cette loi et les additifs successifs touchèrent surtout des médias indépendants, comme Novaïa Gazeta qui eut à payer plusieurs amendes, ou la chaîne privée Dojd qui perdit quelques annonceurs. Par ailleurs, Vladimir Poutine prévint personnellement Dmitri Mouratov qu’il devait respecter la législation russe et que son Nobel ne l’autorisait pas à marcher en dehors des clous. L’administration présidentielle marqua son mécontentement « en oubliant » de l’inviter à la traditionnelle conférence de presse du président du 23 décembre 2021. Cette absence fut largement commentée par ses confrères de sorte que Mouratov, sans être présent dans la grande salle du « Manège » moscovite4, devint le héros de la journée, sa chaise vide étant jugée comme un événement politique plus important que la conférence elle-même où pendant presque 4 heures Vladimir Vladimirovitch répétait pour la énième (plus exactement 17e) fois les mêmes lieux communs. Malgré ce petit scandale, Mouratov reste une personne reconnaissable pour le président qui d’habitude répond à ses questions. Pour l’instant il ne traite pas encore Dmitri Andreïevitch avec la même hostilité qu’il ressent visiblement envers le second lauréat russe, en occurrence, Alexeï Navalny. Pour comprendre les raisons de cette animosité qui dure depuis plusieurs années, il serait utile de présenter celui dont tout le monde parle et qui est devenu « un homme invisible » pour le président russe.

L’enfance et la jeunesse d’un contestataire

Alexeï Anatolïevitch Navalny est né en 1976 dans la famille d’un militaire. Il a un frère cadet Oleg, plus jeune de sept ans et les deux frères sont très proches ; les Navalny forment un clan très soudé auquel il faut aussi ajouter les épouses d’Alexeï et d’Oleg et leurs enfants. Dans les années 1990, au moment de la disparition de l’Union soviétique, Alexeï avait l’âge d’entreprendre ses études supérieures et il choisit alors le droit et la finance. En 2000 il se marie avec Ioulia, une ravissante blonde, ayant un profil professionnel proche du sien. Le couple a deux enfants, une fille Daria, née en 2001 et un garçon, Zakhar, né en 2008. En 2009 il compléta sa formation, en obtenant le diplôme d’avocat. Un an plus tard il obtint la bourse de l’Université Yale pour y suivre le Yale World Fellows Program. Il croit alors avoir une formation suffisante pour devenir un efficace gestionnaire dans la Russie moderne où les mots « privatisations » et « économie de marché » sont à l’ordre de jour. Il se lance dans les affaires, en créant une agence de publicité qui après des débuts prometteurs fera faillite. Il s’aperçoit ainsi que les dés sont pipés, car la corruption et la criminalité jouent un rôle prépondérant dans le tissu économique du pays où pour réussir il faut donner des pots-de-vin ou être de connivence avec la pègre. Comme beaucoup d’hommes d’affaires il voit la corruption gangrener la vie économique, provoquant l’échec des réformes libérales et démocratiques. Cela se voyait déjà sous la présidence de Boris Eltsine (1991-1999), en s’aggravant depuis 2000 avec l’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine. Il commence alors à s’intéresser à la politique, en tentant tout d’abord de trouver sa place dans un cadre légal.

En 2000, en suivant l’exemple de sa mère, il rejoignit le parti libéral Iabloko5 qui prônait la fin de l’économie étatique, l’importance de libertés civiles, des liens plus étroits avec l’Union européenne et les États-Unis. Jusqu’à 2007 ce parti avait encore des députés à la Douma d’État, mais depuis 15 ans il n’a plus aucune représentation nationale, incapable de passer le seuil de 5 % des votants. Pourtant il garda quelques positions fortes dans les Doumas de grandes villes, comme Moscou, Saint-Pétersbourg, Pskov ou Khabarovsk. Ce désenchantement des électeurs montre bien les changements parmi les électeurs russes sous l’influence de la propagande gouvernementale.

Les idées libérales de Navalny dans le domaine de l’économie, ne l’empêchèrent pas de se rapprocher des milieux nationalistes et il participa même à deux reprises, en 2006 et 2008, aux « marches russes » qui rassemblaient les mouvements de droite, voire de l’extrême-droite. D’ailleurs en 2007 il fut exclu du parti Iablokoà cause de ses liens avec les mouvements nationalistes, car d’après l’un des fondateurs du parti, Grigori Iavlinski, il avait franchi ainsi la ligne rouge.

L’opposition descend dans la rue

Alexeï Navalny commence à être plus largement connu à partir de l’hiver 2011-12 quand après les élections du 4 décembre 2011 à la Douma, le parti La Russie unie obtint la majorité absolue, probablement d’une manière frauduleuse. C’est alors qu’il le qualifia de « parti des voleurs et des escrocs ». La contestation dans le pays commença dès l’annonce des résultats. À l’époque Dmitri Medvedev6 assurait la présidence, mais Vladimir Poutine, le premier ministre en exercice, s’était déjà porté candidat pour les élections de 2012. Des voix s’élevaient contre cette troisième élection7 car la Constitution russe stipule la possibilité de deux mandats seulement, sans préciser toutefois s’ils devaient être consécutifs ou non. Dans ces conditions cette nouvelle élection apparaissait comme douteuse à de nombreux Russes. Alexeï Navalny fut emprisonné le 5 décembre et resta 15 jours sous écrou, il sortit à temps pour participer fin décembre 2011 à une grande manifestation qui rassembla plus de 120 000 personnes. Pendant quelques mois les protestations étaient fréquentes et nombreuses et changèrent complètement les relations entre le pouvoir et les citoyens. En réponse à ce mouvement, une nouvelle législation, beaucoup plus répressive fut adoptée, rendant beaucoup plus difficile l’organisation des manifestations et surtout aggravant les peines en cas d’infraction. Les Russes surnommèrent alors leur Douma d’« imprimante folle » car pratiquement tous les jours de nouvelles lois instauraient des sanctions de plus en plus restrictives. Des emprisonnements et des amendes très conséquentes étaient appliquées de manière systématique et souvent préventive. Ainsi Navalny s’était vu arrêté à plusieurs reprises en bas de son immeuble, sans même avoir eu le temps de participer à des actions prévues.

Mais il se rendit compte bien vite que face à la répression qui paralysait littéralement l’opposition, il fallait user de moyens différents comme l’Internet, les blogs, les messageries, YouTube… De plus il se déplaçait souvent en province, nouant des liens dans différentes régions. Il arriva ainsi à « quadriller » le pays, en installant dans plusieurs villes de province des « États-majors de Navalny » avec des personnalités compétentes, qui pouvaient s’appuyer sur leurs propres réseaux de relations.

Les nouveaux moyens de lutte

Toujours en 2011 il créa une organisation non-gouvernementale, la Fondation anti-corruption (FBK)8 qui devait enquêter et rendre publique les faits de corruption des autorités, des hauts fonctionnaires, des membres du gouvernement. Il s’était entouré d’une équipe très professionnelle et solide. La Fondation était financée exclusivement par des dons. Au fil des ans les ressources devenaient d’ailleurs de plus en plus importantes ; si en 2014 le budget était de 28,5 millions de roubles, trois ans plus tard il avait atteint 80 millions de roubles grâce aux dons de 30 000 personnes. Parmi les donateurs les plus importants il y avait l’entrepreneur Boris Zimine, les écrivains Dmitri Bykov et Boris Akounine, l’économiste Sergueï Gouriev et le milliardaire Alexandre Lebedev. Parallèlement, Navalny souhaitait continuer ses activités politiques et participer aux élections nationales et locales, ce qu’il réussira en 2013 lors des élections municipales de Moscou, en prenant la seconde place avec 27 % de votants.

Sur la chaîne Navalny Live visible sur YouTube il présenta des documentaires dont l’audience atteignait des millions de spectateurs et qui décortiquaient les mécanismes de corruption des hauts fonctionnaires. C’était surtout le cas des films Tchaïka et Ne l’appelez pas Dimon. Le premier, montré en 2015 était consacré au procureur général de la Fédération de Russie Iouri Tchaïka et sa famille et le second projeté au printemps 2017 avait pour héros Dmitri Medvedev, l’ancien président qui occupait alors le poste de premier ministre. Il aurait détourné environ 1,2 milliard de dollars ce qui lui aurait permis d’avoir un empire immobilier en Russie et même à l’étranger. Ce film fut visionné par 35 millions de spectateurs et le 26 mars 2017, à la suite de cette projection une grande vague de manifestations, surtout avec la participation des jeunes, balaya le pays, de Kaliningrad à Vladivostok. À Moscou 500 personnes furent arrêtées, parmi eux Alexeï Navalny.

Dès les années 2010 Navalny était vu par le pouvoir russe comme un important danger. Le président Poutine et ses « siloviki »9 craignaient la répétition du scénario ukrainien de l’hiver 2013 /2014, quand à Kiev s’étaient déroulées des manifestations pro-européennes qui avaient abouti le 21 février 2014 à la fuite en Russie du président pro-russe Victor Ianoukovytch.

Mais à l’époque, l’opposition politique russe était faible et éparpillée, des personnalités fortes, comme Garry Kasparov, le champion du monde d’échecs devenu un opposant farouche, étaient poussées vers l’émigration, voire assassinées comme Boris Nemtsov, l’ancien vice-premier ministre dans le gouvernement d’Eltsine. Pour neutraliser Navalny et l’empêcher d’accroître son influence, le pouvoir décida d’utiliser contre lui le système judiciaire à l’impartialité bien douteuse.

Les affaires judiciaires

À côté des arrestations ponctuelles, liées aux manifestations, d’ailleurs, de moins en moins nombreuses, Alexeï Navalny allait être présenté comme un escroc à grande échelle qui avait causé de lourdes pertes à l’économie du pays. Dans cette longue suite d’affaires, il est intéressant d’évoquer celle qui concerne Yves Rocher, la marque de produits de beauté bien connue en France, car elle est devenue la raison principale de son arrestation le 17 janvier 2021 et de sa condamnation ferme à deux ans et de demi, peine qu’il est en train de purger.

Alexeï et Oleg Navalny créèrent en 2008 une société de transport Glavpodpiska, qui devait surtout desservir des entreprises de vente par correspondance. Le 5 août 2008 les deux frères pouvaient se féliciter : ils signent un contrat avec l’entreprise Yves Rocher Est pour les régions européennes de la Russie. Cette collaboration durera 3 ans sans aucun problème d’un côté ou de l’autre.

Mais en 2012 à la suite d’une courte lettre de Monsieur Bruno Leproux, le PDG d’Yves Rocher Est, sans aucun détail chiffré, mais qui comportait les soupçons d’escroquerie de la part de Glavpodpiska, le Comité d’enquête de la Fédération de Russie se mit à faire des investigations et des perquisitions dans l’entourage des frères Navalny. Lorsque le Comité d’enquête avait bouclé son travail, il avait accusé l’entreprise d’une surfacturation de 26 millions de roubles10. Entre août et décembre 2014 eut lieu le procès qui opposait l’entreprise Yves Rocher aux frères Navalny. Monsieur Leproux préféra de ne pas se déplacer pour témoigner, mais il demanda au directeur financier Monsieur Christian Melnik de faire un audit interne qui révéla qu’il n’y avait aucune surfacturation ; au contraire les services de Glavpodpiska s’avérèrent même moins chers que ceux de leurs concurrents et Yves Rocher économisa des sommes importantes grâce à l’accord avec l’entreprise des frères Navalny ce que Christian Melnik exposa devant la cour.

Quant au Monsieur Leproux, il disparut complétement de la circulation et ne se présenta pas aux audiences malgré, paraît-il, de nombreuses convocations. Pourtant il n’était pas difficile à trouver, car comme plus tard on l’apprendra, il avait démissionné de son poste chez Yves Rocher pour devenir le PDG d’une importante chaîne des salons cosmétiques l’Ile de beauté. On peut donc supposer qu’il avait écrit sa dénonciation sous pression des juges d’instruction et préféra voir son nom oublié. L’affaire des frères Navalny fut jugée en décembre 2014 et le procureur demanda 10 ans d’emprisonnement pour Alexeï et 8 ans pour Oleg.

En s’appuyant sur l’audit du directeur financier, Alexeï et Oleg clamaient bien que leur innocence était prouvée, mais pour finir ils seront condamnés tous les deux : Alexeï à 3 ans et demi avec sursis, tandis que Oleg à une peine de prison ferme pour la même durée. Ils devaient aussi payer une amende de 500 000 roubles11. De cette manière Oleg devenait un otage, car son frère savait que ses conditions d’emprisonnement dépendraient beaucoup de sa propre conduite. Il était étroitement surveillé par les autorités, d’autant plus qu’il avait l’obligation de se présenter régulièrement devant son juge de l’application des peines.

Il faut préciser que les frères Navalny contestèrent toutes les décisions de la justice russe auprès de la Cour européenne des droits de l’Homme qui leur donna entièrement raison, considérant que tous ces procès n’étaient pas équitables. En tout il y avait 6 procédures et l’État russe fut condamné à payer 225 000 euros de dommages.

L’appareil d’État contre Navalny

Entre 2014 et 2020, Alexeï Navalny continuait ses activités d’opposant malgré toutes les menaces tant contre lui personnellement que contre ses proches et toute l’équipe de la FBK, surtout son directeur Ivan Jdanov et la juriste Lioubov Sobol. On peut même parler d’un vrai harcèlement : il était régulièrement suivi par les agents du FSB12, on fit des perquisitions dans les locaux de la Fondation et à son domicile, ses comptes furent bloqués, comme d’ailleurs la carte bancaire de sa femme ; il lui est arrivé d’être agressé dans la rue par des activistes des organisations des jeunes « poutiniens » comme Nashi, (Les Nôtres) quand il fut aspergé par une substance chimique corrosive qui faillit lui faire perdre la vue, lors d’un emprisonnement de 10 jours, un urticaire géant qui pourrait correspondre à la première tentative d’empoisonnement s’était déclaré sur son corps.

Le 18 mars 2018 l’élection présidentielle eut lieu, et Vladimir Poutine fut élu pour le quatrième mandat avec près de 77 % des voix exprimées. Il semblait être toujours aussi populaire et le rattachement de la Crimée à la « mère-patrie » le 18 mars 2014 renforça son image d’homme providentiel.

Alexeï Navalny ne fut pas autorisé à participer à cette élection à cause de sa condamnation avec sursis. Il est vrai que tout d’abord la Cour suprême russe l’annula, en suivant l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme qui avait jugé que les droits du plaignant n’avaient pas été respectés. Mais le tribunal russe désigné pour la révision, confirma le jugement de la première instance et Navalny ne put pas se présenter.

Pourtant il avait annoncé ses intentions dès décembre 2016 et commença rapidement sa campagne en sillonnant le pays surtout les grandes villes sibériennes où des traditions libérales étaient bien ancrées. Son programme était centré sur la lutte contre la corruption à tous les échelons du pouvoir. Il avait rempli toutes les exigences du Code électoral russe extrêmement dur pour des « électrons libres » comme lui : il était sûr d’avoir ses 300 000 signatures de parrainages de 40 régions différentes. Effectivement fin décembre 2017 il avait réuni tous les documents nécessaires pour être inscrit sur la liste des candidats, mais la Commission électorale centrale rejeta sa candidature toujours à cause de sa condamnation. Navalny appela alors au boycott de cette élection inique, tout en sachant que le succès de Vladimir Poutine était prévisible à la minute où il s’était porté candidat.

Pourtant Navalny continuait à se battre et avait proposé une nouvelle stratégie pour les élections législatives à venir de septembre 2021. Il proposait de mettre en place « le vote intelligent » qui consisterait en une élimination systématique des candidats de la Russie unie au profit des autres partis, surtout Iabloko, voire des communistes avec un bon programme social. Il avait recommencé à sillonner le pays pour rester en contact avec ses représentants régionaux, à organiser des meetings, à distribuer des tracts, à s’informer de la situation locale. Cette préparation à la campagne électorale se basait sur le travail de terrain, des rencontres avec des gens et avec une introduction des technologies modernes qui lui permettaient de rester en contact constant avec ses partisans. Parallèlement la popularité de Vladimir Poutine baissait, surtout depuis l’annonce de la réforme des retraites qui repoussait de cinq ans l’âge légal de départ aussi bien pour des femmes que pour des hommes. Cette réforme, la première depuis 90 ans (!!!) établit à 60 ans le nouvel âge de départ pour des femmes, au lieu de 55 actuellement, pour des hommes on passerait à 65 ans au lieu de 60. Ainsi, le gouvernement provoqua le mécontentement parmi ses électeurs les plus fidèles. Pour limiter les dégâts il fallait donc verrouiller tout le système et surtout d’empêcher Navalny d’accroître son influence.

L’empoisonnement

Faute d’une enquête des services compétents, nous ne connaissons pas avec exactitude de quelle manière fut prise la décision de son empoisonnement. Mais grâce à Navalny lui-même et au site d’investigation Bellingcat13 il fut possible de reconstituer la trame des événements.

Le 20 août 2020, très tôt le matin Alexeï Navalny et son attachée de presse Kira Yarmysh prirent l’avion dans la ville sibérienne de Tomsk en direction de Moscou. Le vol devait durer 4 heures et demie. Vingt minutes après le décollage, Alexeï eut le temps de dire à sa voisine qu’il se sentait mal, ensuite il s’écroula en hurlant de douleur et s’évanouit. Le pilote contacta Omsk où se trouve l’aéroport le plus proche, demanda une autorisation de se poser en urgence et exigea l’arrivée d’une ambulance pour hospitaliser un passager plongé dans le coma. Dès l’atterrissage Kira prévint la femme d’Alekseï qui prit le premier avion à destination d’Omsk. L’entourage de Navalny et surtout les deux femmes pensèrent aussitôt à un empoisonnement, mais les médecins déclarèrent que « les analyses n’ont pas montré la présence de substances suspectes comme des stupéfiants, des substances synthétiques et médicinales, y compris les inhibiteurs de la cholinestérase ». Cette dernière substance se trouve dans un agent innervant, très dangereux qui provoque un ralentissement du rythme cardiaque et l’obstruction des voies respiratoires jusqu’à la mort : depuis plusieurs années nous le connaissons sous le nom de Novitchok. Or les médecins d’Omsk excluaient absolument la possibilité d’un empoisonnement et parlaient d’un possible coma diabétique. La femme de Navalny souhaitait organiser le plus rapidement son transfert en Allemagne où il pourrait être pris en charge par l’hôpital de Charité. Boris Zimine, qui depuis des années était un soutien fidèle de la FBK, et s’était déjà porté prêt à l’aider dans toutes les questions financières. Mais les autorités russes traînaient et donnèrent leur accord seulement le 22 août ; espéraient-ils que ce délai serait suffisant pour faire disparaître les traces desinhibiteurs de la cholinestérase ?

Malgré ce délai les médecins allemands, en refaisant des analyses, trouvèrent bien les traces de cette substance dans l’organisme du malade ; ces résultats seront confirmés par un laboratoire français, mais ils n’ont jamais été reconnus par les autorités russes qui refusent toute collaboration avec des Occidentaux dans cette affaire.

Quand Navalny sortit du coma début septembre, il avait du mal à reconnaître sa femme et ses enfants. Pendant quelque temps il n’était pas autonome dans ses gestes de la vie courante. Mais il s’impliqua avec rage dans sa rééducation pour être capable de comprendre et démonter les mécanismes de son empoisonnement. Dans cette démarche il était bien soutenu et aidé par Christo Grozev14, membre du réseau international Bellingcat. Ainsi ils purent démontrer l’implication du Service Fédéral de Sécurité de la Fédération de Russie (FSB). Depuis, tout le processus fut montré dans le documentaire intitulé Navalny. Le film fut réalisé par le Canadien Daniel Roher et le 25 janvier 2022 il fut présenté par le CNN et HBO Max au festival Sundance qui est le plus important festival américain de cinéma indépendant et qui a lieu tous les ans à Salt Lake City dans l’Utah.

Au début de l’année 2020 Navalny trouvait que sa santé était assez consolidée pour envisager le retour à Moscou. Plusieurs personnes le lui déconseillaient, craignant une arrestation possible. Juste avant son retour il prépara un film, qui pourrait être vu comme un message direct au président russe : Un palais pour Poutine : L’Histoire du plus gros pot-de vin.

Le prix du retour

Le 17 janvier 2021 Alexeï et Ioulia montèrent dans l’avion qui devait atterrir 2 heures plus tard à l’aéroport de Vnoukovo où plusieurs centaines de ses partisans l’attendaient, dont son frère avec un beau bouquet pour sa belle-sœur. Au dernier moment l’avion fut dérouté vers l’aéroport de Cheremetièvo, distant d’une cinquantaine kilomètres. A Vnoukovo, les gens commencèrent à protester, ce qui provoqua des arrestations en masse, car les policiers antiémeute étaient nombreux, certaines personnes préférant sortir en courant, cherchant le moyen de rejoindre Cheremietievo où l’avion atterrit avec un retard assez important.

Alexeï Navalny a été arrêté dès sa descente ; comme dans l’avion les journalistes étaient très nombreux, la scène fut filmée et le soir même figurait dans de nombreux journaux télévisés dans les pays différents. Les policiers lui reprochèrent de ne pas avoir respecté les conditions de son sursis, qui l’obligeait à se présenter toutes les deux semaines à l’administration pénitentiaire. Le même jour le tribunal ordonna son placement en détention pour 30 jours, jusqu’àu 15 février.

Il eut sa vengeance deux jours plus tard quand sur le site de FBK fut présenté le film Un palais pour Poutine : L’Histoire du plus gros pot-de vin. Tous les records d’audience furent pulvérisés avec plus de 100 millions de spectateurs ! Le même jour Christo Grozev vint à l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe pour exposer ses conclusions quant à l’empoisonnement de Navalny, préparé et exécuté par les membres du FSB.

Pour protester contre cette arrestation, des manifestations très importantes à travers tout le pays eurent lieu aux cris de : « Poutine voleur ! » ou bien « Nous sommes avec Navalny ! ». Il eut plus de 3000 arrestations à travers tout le pays.

Le 2 février 2021 Alexeï Navalny fut jugé par le Tribunal de Moscou qui statua qu’il avait violé les conditions de son sursis et l’a condamné à purger une peine de 2 ans et 8 mois. Actuellement il se trouve dans une colonie pénitentiaire à une centaine kilomètres de Moscou. D’après plusieurs témoignages, les conditions de sa détention sont tout particulièrement dures.

Depuis, des nouvelles accusations sont formulées contre lui et plusieurs autres personnes parmi lesquelles il y a ses proches collaborateurs comme Ivan Jdanov, Leonid Volkov et Lioubov Sobol. En cas de condamnation, ils risquent des peines de 6 à 10 ans de prison. Heureusement ils ne se trouvent plus en Russie mais sont toujours motivés et actifs. On peut dire que durant cette année qui s’était écoulée depuis l’arrestation de Navalny, une vraie chape plomb avait recouvert la Russie. Son mouvement fut classé d’« organisation terroriste » et lui-même fut inscrit sur une liste des « terroristes tout particulièrement dangereux ».

Mais le mouvement de Navalny survit hors des frontières car ceux qui avaient préféré quitter le pays en se réfugiant en Lituanie, en Pologne ou dans des pays baltes continuent leurs activités. Ils ne s’avouent pas vaincus et espèrent que leur chef pourra être libéré le plus rapidement possible. AS

Ada Shlaen, MABATIM.INFO


1 Andreï Sakharov (1921-1989), pendant longtemps, menait une vie totalement secrète, car il faisait partie de l’équipe des physiciens soviétiques qui avaient mis au point en 1953 la bombe H. Mais à partir du début des années 1960 il prit conscience du danger pour la paix mondiale de la part du complexe militaro-industriel soviétique, d’où son attitude de plus en plus critique envers le pouvoir soviétique. Il se rapprocha alors des dissidents soviétiques et créa avec eux en 1972 le Comité pour la défense des droits de l’homme. En 1975 il obtint le Prix Nobel de la Paix mais ne put aller le chercher faute d’autorisation de la part du gouvernement soviétique. Le traditionnel discours de remerciement fut lu par sa femme, Elena Bonner qui obtint l’autorisation de se rendre à Oslo.

2 Actuellement Daria Navalnaïa est boursière aux États-Unis, à l’Université de Stratford. Vous pouvez écouter son discours à Strasbourg (en anglais)

3Après cette inscription le statut d’« agents étrangers » doit être rappelé à chaque mention du nom de l’organisation ou de la personne.

4 Le Manège de Moscou fut construit entre 1817 et 1825 quand la ville dut être reconstruite après le grand incendie de 1812. Tout d’abord, le bâtiment était utilisé par des cavaliers et les élèves des écoles militaires, actuellement il sert de salle d’expositions, de kermesses, de concerts.

5 Iabloko (en russe « pomme ») parti démocratique fondé en 1993 par Grigori Iavlinski, Iouri Boldyriev et Vladimir loukine. Le nom du parti forme en russe un acronyme des noms de ses fondateurs.

6 Dmitri Medvedev était le premier vice-président du gouvernement russe (en russe on n’utilise pas officiellement le terme de « premier ministre), il a été au poste du président de la Fédération de Russie pour un seul mandat du 7 mai 2008 au 7 mai 2012. Ensuite il devint le président du gouvernement russe (donc le premier ministre) jusqu’au janvier 2020 quand il fut placé à la tête du Conseil de sécurité de Russie.

7 Poutine exerça ses deux premiers mandats dans la période 2000-2004 et 2004-2008, ensuite vint l’intermède de Medvedev. Depuis 2012 la Constitution russe fut amendée à plusieurs reprises, en allongeant la durée du mandat présidentiel de 4 ans à 6 ans. D’autre part un référendum de 2020 permit de remettre à zéro le nombre de mandats de Poutine ce qui l’autorise à se présenter encore pour 2 mandats pour 12 ans supplémentaires !

8 FBK cette abréviation était faite à partir du nom russe de la Fondation : Fond Borby c Korruptziyeï

9 siloviki militaires et services de sécurité du mot russe « sila » qui signifie la force

10 26 millions de roubles ce qui correspond à 300 000 euros

11 500 000 correspond à 5 500 euros.

12 FSB= Service fédéral de sécurité de la fédération de Russie

13 Bellingcat est un site de journalisme d’investigation, fondé par le journaliste britannique Eliot Higgins en 2014.

14 Christo Grozev est un journaliste d’origine bulgare, parfaitement russophone. Il travaille pour le site Bellingcat où il est enquêteur principal pour la Russie.

2 commentaires

  1. J’ai lu votre article qui m’a propulsé directement vers mon étude Le canular de l’invention du peuple juif – ou du moins une partie concernant cette dictature comme vous l’appelez dans votre article relié au financement d’ONG, de médias etc… Un extrait – et puisqu’Israël réclame le nom des financeurs – Il est sans doute d’après vous une dictature :
    « Tandis que les États-Unis demeurent le foyer de nombreux chrétiens défen-seurs d’Israël, des groupes chrétiens étroitement liés à l’opinion publique mondiale, à la bureaucratie, aux médias et forums juridiques sont farouchement anti-israéliens et anti-juifs. Prenons l’exemple flagrant de l’Église d’Angleterre qui a voté en faveur du boycottage d’Israël.
    Un rapport spécial émis par le Monitor israélien ONG, révèle l’immense flux d’argent fourni par les gouvernements européens à une certaine Église afin de l’épauler dans son dessein de détruire le petit état juif. Cette évolution, véhiculée par l’exclusion de la famille des nations des juifs d’Israël, nous mène-t-elle vers un nouveau génocide juif ?
    Un excellent exemple nous est fourni par le gouvernement néerlandais, qui accorde des millions d’euros à des organisations telles que Kerk à Aktie ou l’organisation de coopération entre-églises pour le soutien du « boycott général » des produits israé-liens. Cette organisation reçoit aussi un financement de l’Union européenne (€ 5,3 millions).
    Diakonia, la plus grande ONG humanitaire suédoise fondée par cinq églises suédoises (la mission de l’Alliance, l’Union Bap-tiste, InterAct, l’église méthodiste et l’église Pacte Mission) fi-nance des programmes pour la commémoration de la Nakba – terme palestinien pour « catastrophe » faisant allusion à la créa-tion de l’État d’Israël en 1948 et à l’expulsion de plus de 700,000 « palestiniens » de leur terre et de leurs villages par les troupes israéliennes.
    L’Aide Chrétienne du Royaume-Uni et l’église finlandaise Finn Church Aid ont reçu des millions de l’Union Européenne pour diffuser des diffamations ignobles contre Israël, dont par exemple, la fausse imposition de la famine aux Arabo-palestiniens, la torture, la confiscation de biens et de territoires. Le Conseil Œcuménique des Églises qui joue un rôle pivot dans la mobilisation des églises pour le boycottage d’Israël, obtient chaque année des millions des contribuables européens.
    Les impôts européens servent par divers canaux, au finance-ment d’un antisémitisme d’une intensité aussi virulente que celle connue pendant le nazisme allemand.
    Bruxelles dépose de l’argent liquide dans les poches des terroristes islamiques.
    L’Autorité palestinienne indique que les 41,4 millions d’euros de l’Union Européenne, les 19 millions de la France, les 5 mil-lions de l’Irlande, les 53 millions de la Norvège et les 40 millions de la banque mondiale servent au renflouement du budget finan-cier palestinien et aux salaires payés aux familles des 5,500 terro-ristes palestiniens détenus dans les prisons israéliennes.
    Le financement européen pour la destruction d’Israël verse aussi des millions d’euros aux ONG gauchistes laïcs. Quelques-uns : Addameer avec 207.000 $ de la Suède. Al Haq 426.000 $ de la Hollande, 88.000 $ de la très nécessiteuse Irlande et 156.000 $ de la Norvège. Al Mezan reçut 105.000 $ de la Suède, Applied Research Institute fut nanti de 374.000 $ de l’Union Européenne et 98.000 $ de l’Espagne prétendument en faillite, la coalition des femmes pour la paix a octroyé 247.000 $ de
    L’Union Européenne et Troicare avec 2.000.000 $ de Bruxelles et 640.000 $ du Royaume-Uni.
    Une quatrième manière très efficace de financer le terrorisme palestinien : Par les livres scolaires, les journaux, les documen-taires et la télévision – nouvelle sorte de logiciel pour mener la guerre sainte contre les juifs.
    Selon un rapport émis par l’Institut pour la Supervision de la Paix et de la Tolérance culturelle dans l’enseignement scolaire, les manuels scolaires palestiniens financés par l’Union Européenne incitent à la haine contre Israël : La « Palestine » y est reportée englobant l’ensemble de l’État juif. Les sites les plus saints du judaïsme (comme le Mont du Temple et le Tombeau de Rachel) ont été simplement gommés, les juifs sont diabolisés et les mar-tyres arabes sont loués. Dans ces textes, les Juifs sont décrits comme «rusés » « hexapodes » et « animaux sauvages ».
    Les chaînes de télévision arabes par satellite, al-Manar du Hezbollah et Al-Aqsa du Hamas, ne cessent de déverser leur haine dans les salles de séjour européennes, radicalisant les immi-grants musulmans à travers le continent. La Belgique n’a jamais essayé de mettre fin à cette TV Jihad européenne, ignorant ef-frontément le massacre de plusieurs juifs au musée juif de Bruxelles ainsi que les assassinats de plusieurs juifs en France, perpétrés par des musulmans français.
    L’Union Européenne finance une émission de télévision inti-tulée « Les Etoiles », qui instruit ses téléspectateurs sur la taille réelle de la « Palestine » (27.000 kilomètres =
    Région qui englobe la totalité d’Israël, Tel-Aviv, Jaffa, Hadera, Haïfa, Petah-Tikva. Nazareth y sont décrites comme « villes palestiniennes ». Le drapeau de l’Union Européenne est fièrement affiché derrière le présentateur et son hôte tout au long de l’émission première de la saison des « étoiles ».
    Dans l’une des dernières émissions de Zayzafuna – magazine pour enfants de l’Autorité Palestinienne : Dans son rêve une ado-lescente interroge avec admiration Adolf Hitler : « Vous êtes celui qui a tué les juifs… » Et Hitler lui répond « Oui, je les ai tués pour que vous sachiez que c’est une nation qui répand la destruction sur le monde entier. »
    Zayzafuna est sponsorisé par l’Unesco parisien et l’OMD Acheivement Fund, une autre fondation de l’ONU financée par le gouvernement espagnol. »
    Mon conseil – est-ce le besoin de protéger l’existence d’un état une dictature?
    Bonne fin de semaine,
    Thérèse

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