
Les lecteurs d’Évelyne Tschirhart ne seront pas déçus par son dernier livre. Ils y retrouveront la capacité d’analyse et de précision d’un auteur qui a scruté les problématiques sociales les plus prégnantes de notre époque : la survie et l’isolement du grand âge avec sa césure générationnelle1 ; le détricotage et le mitage de l’enseignement, pilier d’une civilisation et de son avenir2. Enseignante, artiste et écrivain, Tschirhart sait promener un regard objectif sur les conflits de notre temps
Dans Quand le « Soleil Rouge » les aveuglait, Tschirhart juxtapose des intellectuels de gauche soixante-huitard, bobos des trente glorieuses, révolutionnaires sans causes et grands héros des péroraisons de cafés avec les réalités inhumaines de la Chine communiste. Sa Révolution Culturelle les séduit tant que certains vont travailler en Chine en tant que professeurs et correcteurs de journaux de propagande destinés à la presse en langue étrangère, d’autres se portent volontaires pour participer à des stages en entreprise avec les étudiants, prêts à s’imprégner de la culture révolutionnaire de Mao et d’en diffuser la sagesse. Mais progressivement, à leur corps défendant, ces intellectuels européens découvrent par leurs expériences et leurs déceptions les dures réalités d’une société totalitaire. Par leurs réflexions le lecteur apprend que cet idéal révolutionnaire fige « la pensée dans un bloc d’airain », elle massifie l’individu devenu simple rouage au service d’une cause déshumanisante.
La conception romanesque du livre permet à l’auteur de confronter des thèmes contradictoires dans les discussions des personnages. La révolution maoïste n’a-t-elle pas apporté un bien-être matériel au peuple exploité par les féodaux qui le réduisaient à la famine et à la misère ? Mais, par ailleurs, que vaut une vie robotisée et privée de liberté. Ces réflexions sur les flonflons révolutionnaires, les slogans d’auto-endoctrinement, le culte de la personnalité inhérent au communisme et le dogmatisme sectaire tourmentent les personnages. Certains s’offusquent de la soumission aveugle imposée à tous, du refus de l’argumentation rationnelle remplacée par l’insulte, de la robotisation de l’être humain au service de l’idéologie. Quel est le sens de la culture, de la liberté créatrice ? peut-elle être remplacée par la propagande ?
Des amitiés, des amours impossibles se nouent et au fil de leurs expériences et de leurs digressions, certains observent les disparités entre confucianisme et judaïsme. Chacun découvre les motivations variées à son engouement aveugle pour le maoïsme qui a rassemblé ces intellectuels européens venus à Pékin d’horizons divers. Fuite du passé criminel de l’Europe des années 1939/45 pour certains ? Et pour d’autres, comme Charles, héros du livre et enfant juif rescapé de la Shoah, la recherche dans le communisme du cocon familial exterminé par la mort industrielle dont le règne domina toute l’Europe de l’Ukraine à l’Atlantique. Sur quels critères juger des civilisations si différentes ? Et la notion de Peuple peut-elle remplacer celle de transcendance qui imprègne le judaïsme et confère à l’être humain sa valeur unique et son orientation spirituelle ?
Autre domaine prégnant dans tout le livre : la Chine avec ses paysages infinis, ses villes-fourmilières, sa cuisine inégalée aux saveurs parfumées et délicieuses, ses fonctionnaires hiératiques, ses individus insaisissables et son mystère.
Un livre riche d’expériences vécues, de questionnements, de réflexions sur des problématiques actuelles. Un livre à lire absolument. BY♦

Bat Ye’or, MABATIM.INFO
1 E. Tschirhart, Les Centenaires, éd. de Passy 2019.
2 Ib., L’École du Désastre, éd. de Paris Max Chaleil 2018.
[…] Voir mon dernier livre : « Quand « le soleil rouge » les aveuglait » éditions Balland décembre […]
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Livre très actuel à l’heure où une nouvelle génération d’ intellectuels sont aveuglés par le soleil vert ou rouge-vert.
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