Helena Rubinstein : les guerres d’Helena 3/4

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Une longue vie au service de la beauté 1/4
La self-made-woman 2/4

En 1914 à l’annonce de la guerre, les époux décidèrent de quitter l’Europe pour les États-Unis, d’autant plus que toute la famille avait la nationalité américaine. Ce départ était bien plus difficile que celui pour Londres, des années auparavant. Elle était alors seule, son aventure n’engageait qu’elle. Mais elle était mariée, avait des enfants, des affaires florissantes à Londres et à Paris, des amis, des biens, des collections…

Ce déménagement prendra du temps. Pour commencer, Helena devait partir toute seule tandis qu’Edward avec les garçons devait la rejoindre plus tard. Encore une fois, l’échec ou la réussite ne dépendaient que d’elle.

Elle arriva à New York en octobre 1914. Sur le bateau, la plupart des passagers étaient des Américains qui regagnaient le pays à cause de la guerre ; on peut dire qu’elle aussi en faisait partie, car grâce à son mariage elle était Américaine depuis 1908. Mais elle avait aussi des handicaps à surmonter : être une femme qui a réussi grâce à son travail pouvait être considéré à l’époque comme une chose incongrue. De plus, elle était juive, et l’antisémitisme restait virulent parmi l’élite blanche, anglo-saxonne et protestante. Elle aurait pu changer son nom à l’instar de son mari, mais visiblement cette idée ne l’effleura pas. Sans être croyante, elle tenait à ses racines.

Comme autrefois en Australie et en Grande-Bretagne, elle voulait se faire une idée du pays qu’elle souhaitait conquérir. Grâce au chemin de fer, elle le traversa d’est en ouest. Elle arriva à établir des contacts, constata que tout y restait à faire dans son domaine, surtout en dehors des grandes villes comme New York, Boston ou Chicago. Le marché américain des cosmétiques était immense, et pour l’instant presque inoccupé. Presque… Elle apprendra vite qu’elle a une concurrente qui sera sa rivale pendant des années. Il s’agissait d’Elisabeth Arden, une Canadienne de naissance qui symbolisait à perfection l’esprit wasp1.

Elizabeth Arden : la concurrente

Helena suivit son plan et put respecter les délais fixés ; en avril 1915, Edward et les garçons arrivèrent et un mois plus tard elle inaugurait son premier institut à New York qui, dès le début, sera un grand succès ! Edward trouva immédiatement ses marques au Greenwich Village où il croisait souvent des artistes parisiens comme Duchamp, Matisse, Picabia. Il eut même l’idée d’acheter une maison de campagne, dans le Connecticut. C’était un endroit où leurs fils habitaient toute l’année, les parents les rejoignaient pour le week-end ; il s’agissait de rares moments où la famille était réunie. Ces moments paisibles ont fait long feu, car Helena apprit encore une fois les infidélités de son époux. Elle demanda alors la séparation de leurs biens. Mais la brouille n’ira pas jusqu’au divorce, pas encore …

Leur séjour aux États-Unis prit fin avec la guerre, mais ces quatre ans furent essentiels pour le développement de la marque HR qui devient une importante multinationale présente sur la plupart des continents. Le changement de la situation sociale des femmes qui travaillent de plus en plus, en acquérant une indépendance financière de plus en plus significative, favorise la croissance rapide de l’industrie des produits cosmétiques. Le cœur de la production se trouvait dans l’usine de Long Island où Helena, toujours très rigoureuse et méticuleuse dans le choix des matières premières, passait beaucoup de temps. Sa production est chère, car basée sur les meilleurs composants et résumée par son concept préféré : La Science au service de la Beauté ! Avant Helena Rubinstein des activités liées aux soins et l’embellissement corporels tenaient plutôt de l’artisanat. Avec son arrivée, elles se transforment en industrie.

Elle développe un vrai maillage du territoire, ouvre plusieurs salons. Parallèlement, ses produits se vendent dans les grands magasins, ce qui n’était pas le cas en Europe. Mais le passage à l’industrialisation entraîne aussi une démocratisation, et évidemment le chiffre d’affaires augmente d’une manière très significative.

Prévoyant son retour en Europe, Helena fit venir en 1917 de Cracovie sa sœur Manka qui s’occupera des activités de la marque jusqu’aux années 1930. Ensuite elle sera remplacée par sa nièce préférée Mala qui jouera un rôle très important dans la direction de l’entreprise pendant de très longues années, même après la mort de la fondatrice.

Effectivement dès la fin de la guerre, pendant que des diplomates s’acharnent à organiser la paix qu’ils rêvent « éternelle » et qui durera à peine vingt ans, Helena et Edward reviennent à Paris. Encore sur le bateau qui les ramenait en Europe, Madame repéra une vieille annonce de vente d’un local au 126, rue du Faubourg-Saint-Honoré, tout près de son salon de beauté. Elle l’achète dès son arrivée et demande à son vieil ami Paul Poiret de superviser la décoration intérieure. Elle y exposera ses tableaux, ses sculptures, ses statuettes africaines.

Edward semblait être très heureux à Paris ; il devient alors un collectionneur d’art avisé et un éditeur assez hardi ; on peut signaler que le fameux et scandaleux roman L’amant de lady Chatterley de H.D Lawrence était édité en 1929 par sa maison d’édition Black Manikin Press.

Hôtel d’Hesselin en 1899

Elle se sent aussi très bien à Paris où en 1932 elle acheta au 24, quai de Béthune, dans l’île St Louis, l’hôtel d’Hesselin, bâti au XVIIᵉ siècle. Il sera complètement rénové et modernisé par l’architecte Louis Süe. La maison possédait une terrasse de 300 m² où Helena aimait organiser des grandes fêtes. Le cercle de ses invités est époustouflant. Nous y trouvons D.H. Lawrence à qui Helena reprocha sa nouvelle « The Sun », car elle disait toujours « qu’il n’y a pas de pire ennemi pour les femmes que le soleil ». Elle aimait bien William Faulkner, souvent mélancolique car il avait « le mal du pays », James Joyce lui proposa même d’écrire des textes publicitaires dans le style d’ « Ulysse » ; elle déclina poliment cette offre.Elle trouvait Ernest Hemingway très beau et viril tandis que Scott Fitzgerald et sa femme Zelda étaient vus comme « des charmants jeunes gens qui profitaient bien des « années folles ». Elle aimait bien la compagnie de Coco Chanel qui avait souvent la dent dure, mais elle sentait en elle une âme sœur, un monstre sacré ; capable aussi de bâtir un empire par son travail. AS

Ada Shlaen, MABATIM.INFO

À suivre :
La guerrière ne connaît jamais de repos 4/4


1 Wasp =White Anglo-Saxon Protestant (pouvant se traduire en français par protestant blanc anglo-saxon) est un terme sociologique désignant les Américains blancs protestants. Ils descendent des premiers colons britanniques et plus largement ouest et nord-européens.


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4 commentaires

  1. Il me semble, dans mes souvenirs, que c’est plutôt « L’amant de lady Chattertley »de H.D Lawrence qu’il faille lire, dans l’article, non ? :o))

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    • Je suis très fière d’avoir des lecteurs aussi cultivés. J’avoue que je ne suis pas une inconditionnelle du roman de H. D. Lawrence par contre je suis beaucoup plus sensible au personnage de Thomas Chatterton avec sa vie si courte, devenue une vraie légende.

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