La frontière libanaise, ou la réalité vue d’en bas

Hezbollah

Par Amiyad Cohen, Directeur du fond Keren Tikva,

Congrès de l’Institut Argaman1

[4 mars 2024]

Verbatim

Je viens de finir une période de quatre mois et demi de réserve, en tant qu’officier du rang dans la 9ᵉ brigade2. Cette expérience du terrain, qui est à l’opposé de mon travail au Keren Tikva (« Fond d’Espoir »), où je mène une réflexion sur les problèmes stratégiques d’Israël, m’a permis d’appréhender la réalité « vue d’en bas ».

J’ai pu mesurer, à quel point l’absence d’une réflexion stratégique de nos généraux, handicape la réalisation d’objectifs tactiques sur le champ de bataille.

Ces quatre mois et demi m’ont donné le sentiment d’un grand loupé, car l’armée israélienne n’a pas rempli sa mission, à savoir, ramener la sécurité aux habitants du nord d’Israël. Le Hezbollah a tiré et tire toujours, quand il le veut, où il le veut et autant qu’il le veut. Il est vrai, qu’on lui a tué quelques dizaines ou centaines de terroristes, mais cette organisation n’en a cure. Bref, l’armée d’Israël a subi un échec, concernant les agglomérations sur la frontière libanaise. C’est tellement désolant de parler d’échec, alors que tant d’efforts ont été demandés aux citoyens. Des gens ont bouleversé leur vie, quitté leur travail et leurs familles. Moi-même, j’ai laissé ma femme et mes six enfants à la maison.

Lors de conversations avec les soldats et officiers, s’est dégagée une certitude, qu’à un moment ou un autre, nous serons obligés de repartir en guerre contre le Hezbollah, quel qu’en soit le prix.

Cette guerre contre un ennemi, qui possède des capacités tactiques, autrement plus puissantes que celles du Hamas, sera infiniment plus dure qu’à Gaza.

Il faut bien comprendre qui est l’ennemi en face de nous.

Il est déterminé, fanatique religieux, disposant de moyens balistiques puissants et des commandos aguerris. Des missiles de précision du Hezbollah sont capables de perturber gravement le fonctionnement de la plupart des services de l’État. Il ne faut pas sous estimer un autre front de cette guerre, à savoir l’environnement international.

Celui qui n’a pas compris, que malheureusement, pour assumer notre défense, nous avons besoin de fournisseurs extérieurs, n’a rien compris.

Par exemple et ce n’est pas un grand secret, nous sommes tributaires de l’étranger pour des munitions de petit calibre, de pièces de rechange de chars, d’obus, de bombes… et j’en passe. Cette guerre n’est pas uniquement compliquée sur le champ de bataille, le défi sur le plan diplomatique international ne l’est pas moins.

Mais il y a aussi un défi sur le plan intérieur. Il faut changer le narratif de notre situation dans les médias et modifier le logiciel de gouvernance de nos dirigeants. La funeste décision de ne pas stocker suffisamment de munitions, pour agir simultanément sur deux fronts et de devenir dépendants des autres, était uniquement notre décision.

C’est là que je voudrais présenter ma vision de la situation.

Devant Israël il y a deux possibilités :

-Troisième guerre du Liban

– ou la dernière guerre du Liban.

Ceux qui ont vu l’excellent film des années quatre-vingt « Un jour sans fin » comprendront aisément, où je veux en venir. Le héros de ce film se réveille chaque matin et revit la même journée que la veille.

C’est exactement ce qui nous arrive avec Gaza. Nous avons fait l’opération « Plomb durci » en décembre 2008, puis « Pilier de défense » en 2012, « Bordure protectrice » en 2014, « Bouclier du nord » en 2018, « Ceinture noire » en 2019, « Gardien du mur » en 2021, et la guerre en cours « Épées de fer ».

Et à chaque fois, nous revivions presque la même opération, qui nous ramène au point de départ. Il y a juste un petit changement. Ils nous tirent dessus, on répond avec des moyens améliorés. À leur tour ils s’améliorent en augmentant la portée de leurs missiles, alors nous répondons avec des armes plus sophistiquées.

Bref, c’est un cercle vicieux, car notre stratégie est erronée et courtermiste. Nous n’avons jamais osé renverser la table pour casser cet équilibre néfaste. Ou plutôt, nous n’avons pas voulu renverser la table, autrement dit nous n’avons pas voulu, infliger à l’ennemi une défaite complète.

Que veut dire défaite complète ?

Cela veut dire que les ennemis sortent les mains levées, le slip sur les chevilles et le drapeau blanc, bien au-dessus de leurs têtes. Si Israël continue dans sa volonté de ne pas vaincre sans appel ses ennemis, la prochaine guerre du Liban sera la troisième, puis il y aura la quatrième et le cercle vicieux que nous avons connu avec le Hamas se répétera avec le Hezbollah.

Sans changement de notre doctrine militaire, ce scénario est tout à fait possible, sauf si on examine le scénario de « la dernière guerre du Liban ».

Que faudrait-il faire, pour éviter le cercle vicieux des conflits relativement courts et qui reviennent périodiquement sur eux-mêmes et qui seront de plus en plus destructifs ?

L’un de nos grands problèmes, c’est que nous ne sommes pas capables d’imaginer le jour où nous aurons vaincu notre ennemi, aussi bien à Gaza qu’au Liban.

Que ferons-nous le« jour d’après »avec les populations qui resteront sur place, après notre victoire ?

Comme a dit Ygal Allon3, après la guerre de Six Jours en 1967 :

« Nous voulons la dot sans la mariée ».

Cette obsession du « jour d’après » nous empêche de voir au-delà de ce jour.

Il faut inverser notre manière de penser.

D’abord il faut penser comment vaincre l’ennemi et seulement une fois la victoire obtenue, penser au « jour d’après ». De cette façon le rapport de forces d’une future négociation sera en notre faveur, car c’est nous qui serons vainqueurs.

Essayons de comprendre la manière de réfléchir des musulmans.

Dans une guerre asymétrique, pour le Palestinien ou le musulman en général, ni la perte de vies humaines, ni du matériel, ni même de dirigeants, ne constitue une défaite.

Pour qu’un musulman se considère comme vaincu, il faut qu’il perde deux éléments constitutifs de sa mentalité, qui sont : des territoires et l’honneur.

Il est primordial que l’ennemi paie un prix fort. Nos déclarations qu’en cas d’attaque du Hezbollah, nous renverrons le Liban à l’âge de pierre, n’impressionnent pas le Hezbollah, pour la simple raison que les islamistes s’en moquent. Cela ne les dérange pas de vivre à l’âge de pierre. Ils ont tout leur temps, même s’ils mettent cent ans à se relever, alors ils jetteront les juifs à la mer dans un siècle.

Toutefois, il faut qu’ils comprennent :

« Si vous commencez avec nous vous risquez de perdre les territoires et l’honneur. »

Celui qui nous a appris à comprendre les notions de territoires et de l’honneur, chez les musulmans, était le chef d’état-major égyptien, du temps de Sadate, le maréchal Chazli. L’Égypte a déclenché la guerre de Kippour, car Sadate voulait redonner aux Égyptiens l’honneur et les territoires (le Sinaï) perdus dans la défaite humiliante de la guerre de Six jours. Mais les Israéliens, avec leur mentalité occidentale n’ont pas compris le degré d’humiliation des arabes, qu’il leur fallait absolument laver leur dignité et honneur dans le sang.

Pour des raisons évidentes, le Hamas savait très bien, qu’il n’est pas en état de vaincre Israël.

Il voulait nous infliger une petite défaite sur notre sol.

Pour mettre Israël dans un état de sidération et d’humiliation, son action devait être la plus inhumaine possible.

D’où les viols, décapitations, éventrations… Il a réussi au-delà de ses espérances, car outre le pogrom, il a emmené avec lui des otages, hommes, femmes et le comble de l’horreur, des enfants et des bébés. De cette façon, il est en position de force dans des négociations pour la libération des otages, et depuis cinq mois, c’est lui qui dicte ses exigences.

Le fait qu’en Israël on manifeste contre le gouvernement, pour qu’il fasse revenir les otages à tout prix, ne fait qu’augmenter les exigences du Hamas.

De son point de vue, le Hamas, a obtenu une victoire sur Israël, puisqu’il est en position de force face à Israël.

EXEX Par conséquent, pour que le Hamas comprenne qu’il n’a pas vaincu Israël, il faut qu’il perde et le territoire de Gaza et la souveraineté sur ce territoire.

Israël doit éradiquer toute trace du pouvoir du Hamas, en éliminant sa force militaire et sa direction militaire ainsi que toute représentation « politique » de l’organisation terroriste, car aucune négociation ne peut être menée avec les « politiques » du Hamas. Ce sera donc « le jour d’après » et à partir de la il faudra réfléchir au futur de Gaza.

Face au Hezbollah, il faut employer la même stratégie. Le priver du territoire du sud Liban et de son honneur, sauf que là, la tache sera autrement plus difficile. Il est interdit à Israël de s’illusionner sur une éventuelle négociation avec le Hezbollah. L’injonction de la résolution 1701 de l’ONU, qui oblige le Hezbollah à se retirer derrière la rivière Litani, soit 30 km au nord de la frontière, ne sera jamais appliquée par Hassan Nasrallah qui répète dans tous ses discours :

« Il sera plus facile d’amener le Litani sur la frontière israélo-libanaise, qu’amener le Hezbollah sur le Litani ».

Que ce soit par l’action militaire ou par le biais de négociations, la rivière Litani doit être, pour Israël, la ligne la plus méridionale où le Hezbollah puisse être toléré.

Entre le Litani et la frontière internationale libano-israélienne doit être instaurée une zone tampon démilitarisée et sécurisée. La mise en œuvre pratique de cette zone, ne sera entreprise qu’après « le jour d’après ».

Suivant la manière qu’Israël résoudra la problématique du Hezbollah – Liban, nous n’aurons que deux options.

– Deux années faiblesse et de tranquillité, puis quarante années de guerre

– ou alors deux années de guerre, puis quarante années de tranquillité.

AC♦

Amiyad Cohen, Institut Argeman


Traduction et adaptation par Édouard Gris, MABATIM.INFO

1 L’Institut Argaman, vise à former une nouvelle génération d’intellectuels sionistes.

2 9ᵉ brigade ou brigade Oded est une brigade d’infanterie de réserve, faisant partie de la division régionale du commandement d’Israël Nord.

3 Membre de la Haganah, général (1948), député en 1954, Allon fut ministre du Travail (1961-1967) puis vice-Premier ministre (1967-1977), fonction qu’il cumula avec celles de ministre de l’Éducation et de la Culture (1969-1974) et de ministre des Affaires étrangères (1974-1977).

Un commentaire

  1. allemands et japonais ont ecrit dans leurs livres d histoire le prix exorbitant d une defaite totale .
    Israel a peur de vaincre car ses chefs pensent comme des sçandinaves au milieu d une region de barbarie moyennageuse .
    reduire gaza en poussiere et eliminer physiquement 100% des hommes du hamas est imperatif .
    meme les prisonniers sont dangereux car des attentats suivront pour les faire liberer , le hamas de gaza et du qatar doit se retrouver uniquement dans les livres d histoire .

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