La Guerre de Rafah aura-t-elle lieu ?

Ni l’Orient, ni l’Occident n’ont envie que le Hamas disparaisse

Par Yves Mamou
[28 avril 2024]

Le monde – et les États-Unis en particulier – n’a pas réellement envie que le Hamas soit éliminé par Israël.

Ce constat est à priori absurde. Pourquoi Washington voterait-il un soutien en armes et en munitions à Israël (17 milliards de dollars tout de même), si c’est pour empêcher ce pays de s’en servir contre le Hamas ?

Pourquoi Joe Biden proclamerait-il que l’alliance entre Israël et les États-Unis est « ironclad » (“à toute épreuve”) (« notre engagement en faveur de la sécurité d’Israël contre ces menaces de l’Iran et de ses mandataires est à toute épreuve – permettez-moi de le répéter, à toute épreuve », a déclaré M. Biden), si c’est pour préserver son ennemi ?

Pourtant, depuis le début de la guerre contre le Hamas, le président américain ne cesse d’opposer la question « humanitaire » à la guerre contre le Hamas. Qui va nourrir la population de Gaza ? Qui va chauffer la population de Gaza ? Qui va donner du pétrole et du gaz à la population de Gaza ? Que fait Israël pour protéger la population de Gaza ? On a même entendu Anthony Blinken, secrétaire d’État, affirmer que le « premier devoir » de Tsahal était de protéger la population palestinienne ?

Ces États-Unis, si préoccupés d’humanitaire, auraient pu demander à l’allié égyptien d’ouvrir sa frontière avec Gaza pour accueillir temporairement un ou deux millions de Gazaouis.

L’Égypte aurait regimbé naturellement, mais un bakchich d’un ou deux milliards de dollars aurait arrangé l’affaire. Mais les États-Unis n’ont rien demandé à l’Égypte. Il aurait été également facile aux États Unis de faire pression sur le Qatar, financier du Hamas et pays hôte de la direction politique du Hamas, pour accélérer la libération des otages. Mais bizarrement, cela ne leur est même pas venu à l’idée.

Israël a dû se débrouiller tout seul pour faire la guerre contre un ennemi caché à quarante mètres sous terre, en prenant garde de ne pas égratigner deux millions de civils en position de bouclier humain. Le principe du bouclier humain est qu’une armée se protège derrière sa population et même sacrifie cette population aux coups de l’ennemi en espérant que dans le camp adverse, une clameur humanitaire (« pas touche au Palestinien innocent ! ») surgira, assez forte pour obliger à l’arrêt des combats.

Depuis le 7 octobre, les États-Unis sont en position de « clameur humanitaire ».

Mezzo Voce tout d’abord, puis de plus en plus fort aujourd’hui, ils obligent Tsahal à se préoccuper des Gazaouis d’abord.

Des Gazaouis d’abord, et non pas des otages, des Gazaouis d’abord et non pas de l’élimination du Hamas.

Le test de Rafah

N’importe quelle armée soumise à une injonction aussi contradictoire (faire la guerre au Hamas, mais protéger la population placée en position de bouclier humain) aurait mis les pouces depuis longtemps : soit parce que ses pertes se seraient avérées trop élevées, soit parce que les pertes au sein de la population civile auraient été trop élevées.

Mais Tsahal a réussi ce miracle de réduire ses pertes, d’endommager sérieusement l’appareil militaire du Hamas tout en réduisant autant que faire se peut, les pertes civiles au sein de la population ennemie. En effet, chaque commentateur honnête sait que le comptage des victimes par le Hamas est bidonné.

Rien ne s’oppose donc à priori à la liquidation des derniers bataillons du Hamas qui seraient, selon Tsahal, réfugiés à Rafah, dernière ville de Gaza avant la frontière égyptienne.

Et pourtant, au fur et à mesure que l’heure de l’invasion finale approche, les obstacles (humanitaires) semblent se multiplier. En provenance des États-Unis tout d’abord.

Barbara Leaf, secrétaire d’État adjointe chargée des affaires du Proche-Orient, « a réitéré l’opposition du gouvernement américain à une opération militaire israélienne.

« Nous n’avons pas donné le feu vert à une opération militaire. Je veux être très claire sur ce point. Il semble y avoir un malentendu largement répandu à ce sujet » a-t-elle dit aux journalistes.

Malentendu, dit-elle ? Revirement plutôt !

Après l’attaque iranienne du 13 avril contre Israël (300 missiles et drones envoyés contre Israël), les États-Unis avaient donné leur feu vert au déclenchement de l’opération à Rafah. Mais dix jours plus tard, le 24 avril, ils semblent être revenus sur leur décision. Et Barbara Leaf d’invoquer le million de civils gazaouis dont le bien-être représente un obstacle à la guerre.

En sus de l’opposition américaine, un charnier (voir Mabatim.info, NDLR) vient d’être opportunément découvert près de l’hôpital Nasser à Gaza. Ces morts surgissent à pic dans l’actualité pour rappeler qu’Israël est un État « génocidaire ». Tsahal s’est vigoureusement défendu d’être à l’origine de ce charnier, mais la même Barbara Leaf, secrétaire d’État, a affirmé « enquêter » et suivre l’affaire de très près. Une menace potentielle donc.

Le 21 avril, l’administration Biden a aussi fait savoir qu’elle avait l’intention de sanctionner le bataillon Netzah Yehuda des Forces de défense israéliennes pour des violations présumées des droits humains contre des Palestiniens. Ce bataillon d’élite de Tsahal composé de juifs orthodoxes a été accusé d’atteintes graves aux droits de l’homme (l’« humanitaire » toujours). Le gouvernement israélien a vivement critiqué le projet de sanction des États-Unis.

« À l’heure où nos soldats combattent des monstres terroristes, imposer une sanction à une unité de Tsahal est le comble de l’absurdité et une atteinte morale », a déclaré le Premier ministre. « Le gouvernement que je dirige agira par tous les moyens contre ces mesures. »

L’indignation a payé puisque Anthony Blinken a retiré le projet de sanction.

Le Hamas non plus n’a guère envie d’une opération militaire sur Rafah.

Alors que l’armée israélienne annonce qu’elle attend le feu vert du gouvernement pour passer à l’action, voilà que resurgissent des propositions d’accord sur la libération des otages. 20 ou 22 libérations contre une trêve de 20 ou 22 jours ? Et bien sûr, cette éventuelle libération a pour conséquence de reporter l’entrée de Tsahal dans Rafah, confirme le ministre israélien des affaires étrangères.

Et pour être bien sûr que Tsahal n’entrera pas tout de suite à Rafah, comme par hasard, des vidéos d’otages (ici également) ont été rendues publiques le 24 et 26 avril, par le Hamas.

Pourquoi ces images ? Parce que le Hamas sait qu’une frange active de la population israélienne va utiliser ces vidéos pour manifester, bloquer l’autoroute ou l’aéroport, afin d’obliger Benjamin Netanyahou, premier ministre, à entrer dans d’interminables négociations qui auront pour conséquence de reporter l’invasion de Rafah.

L’offensive pour sauver la peau du Hamas s’est internationalisée : l’extrême gauche américaine alliée aux islamistes américains sème le trouble sur l’ensemble des campus des plus grandes universités américaines : Harvard, Yale, Berkeley, Columbia, Ohio State University, Emory (Georgia)…

Une agitation permanente est menée pour criminaliser Israël et victimiser le Hamas.

À Paris, Sciences Po est envahie par des hordes de militants pro palestiniens, qui eux aussi, accusent Israël de « génocide ». Le New York Post affirme que ces manifestations n’ont rien de naturel.

George Soros et ses acolytes d’extrême gauche payent des agitateurs pour alimenter les manifestations radicales anti-Israël dans les universités à travers tout le pays… Mais des éditorialistes comme Kat Rosenfeld voient surtout dans ces manifestations des rituels de jeunesse et d’intégration auxquels s’ajoute le sens de la fête dû à l’arrivée du printemps. Il est probable que le NYP et Kat Rosenfeld ont raison tous les deux.

Mais l’agitation et la pression que ces boutonneux exercent sur l’exécutif américain ont pour but de renforcer la pression que le gouvernement américain exerce sur Israël afin de l’empêcher d’en finir avec le Hamas.

Les Européens ne semblent pas non plus avoir envie que le Hamas disparaisse.

Voilà qu’après six mois de guerre, les dirigeants de 18 pays se sont associés pour réclamer dans un texte commun la libération des otages détenus par le Hamas.

N’auraient-ils pas pu agir plus tôt ? Pensaient-ils eux aussi qu’Israël allait s’enliser à Gaza et manger son chapeau ?

Et si cette trêve qu’ils réclament en faveur d’otages dont ils ne se sont jamais souciés, avait pour but de donner du temps au Hamas et empêcher sa disparition ?

Ne parlons même pas de l’Égypte.

En principe, le Caire aurait intérêt à la disparition du Hamas, – le maréchal Al Sissi, président égyptien, n’a-t-il pas éradiqué le mouvement des Frères Musulmans auquel le Hamas appartient ?

Mais ce même Al Sissi multiplie les obstacles à l’entrée de Tsahal dans Rafah. Il affirme craindre que les Gazaouis ne profitent de l’opération militaire pour forcer la frontière et pénétrer en Égypte. Belle solidarité arabe.

Mais il n’est pas exclu que l’armée égyptienne retarde autant que possible l’entrée de Tsahal à Rafah afin que se perpétuent les juteux trafics en tous genres entre l’Égypte et le Hamas (armes, matériaux de construction, marchandises diverses).

Les raisons

Les raisons qu’ont les États-Unis et les Européens de préserver le Hamas sont (dans le désordre) de trois ordres.

– La première est de préserver la fiction usée que la « paix au Proche Orient » passe par l’établissement d’un État palestinien. Dans cette perspective, le Hamas ferait donc partie de la solution.

La seconde est de donner des gages à leurs électeurs musulmans tant en Europe qu’aux États-Unis, inquiets de voir disparaître le Hamas comme outil d’unité de l’Oumma.

Et enfin et surtout, Américains et Européens craignent un embrasement généralisé au Moyen-Orient qui les obligerait à guerroyer aux côtés d’Israël.

Il ne faut pas oublier en effet que le Hamas est un outil clé de la « diplomatie » iranienne. Il est l’incarnation de la « cause palestinienne » qui mobilise la rue arabe à volonté. On ne laisse pas disparaître la « cause palestinienne » sans la défendre. Par ailleurs, laisser disparaître une milice aussi importante sans rien tenter pour la défendre aurait un effet dévastateur sur les autres milices iraniennes. Comment demeurer engagé au service de Téhéran, si à chaque minute, on court le risque d’être abandonné ?

Pour ne pas avoir à courir le risque d’une guerre élargie, Européens et Américains se sont donc donné le mot pour convaincre Israël de renoncer au combat le plus existentiel de son histoire. YM

© Yves Mamou, Dreuz.info.

2 commentaires

  1. N’étant qu’un minuscule grain de sable, je me contenterai d’un petit détail. A ma connaissance, UNRWA n’est toujours pas combattu, éliminé, interdit.
    Pour le reste, j’approuve sans réserve cet article!

    J’aime

  2. Ce qu’Israel est en train de toucher du doigt en ce moment c’est la nature de l’impérialisme. Peu importe que le locataire de la MB s’appelle Biden ou Trump, ou même Blinken, ils ne sont que des serviteurs de l’empire. Un empire, ça n’a pas d’alliés mais des vassaux. Ceux qui ne comprennent pas ça et qui sont encore aveuglés et en train de détailler la couleur des grains n’ont rien compris au film. Je les plains, ils ne seront jamais heureux.

    Aimé par 1 personne

Laisser un commentaire. Il sera visible dès sa validation.