Psychanalyse d’une mauvaise blague

par Catherine Stora

[15 mai 2024]

Les comiques ou prétendus tels ont-ils droit aux coups en dessous de la ceinture ? Vaste question. En attendant, y’en a un qui vient d’être suspendu en attendant d’être licencié.

« C’est juste de l’outrance, j’ai bien fait mon travail, je vais demander une augmentation ! » déclare, tout guilleret, l’invité de la journaliste de Blast qui l’interroge1.

Ainsi se défend Guillaume Meurice, d’un ton jovial, très content de lui après la « tempête médiatique » déclenchée par ce qu’il qualifie de « blagounette ». Il a qualifié Bibi, le 29 octobre 2023, de « nazi sans prépuce » sur la radio de service public France-Inter, un radeau de la Méduse qui, depuis une trentaine d’années, n’en finit plus de sombrer.

Évidemment, cette « blagounette » n’est pas très bien passée. L’intéressé fait mine de continuer à s’en étonner. Dit qu’il ne comprend toujours pas. Convoqué par la direction de Radio-France puis par la police judiciaire, il s’estime victime de « la fachosphère qui aime bien regarder CNews ». Il raconte son aventure d’un ton faussement enjoué, dont il ne se départit pas pendant tout l’entretien qu’il vient d’accorder à Blast, une chaîne privée, prétendument d’info, à laquelle je ne ferai aucune publicité étant donné son orientation.

Il a écrit tout un bouquin pour se défendre. Un « témoignage ». Dont les droits, précise-t-il, iront à Médecins du monde, petit détail qui a son importance.

Il a refusé de s’excuser, comme le lui demandait sa direction.

« Vous mettez de l’huile sur le feu » lui a dit Laurence Bloch, la directrice.

Loin de vouloir s’excuser, le zozo a persisté. Et il a même récidivé ensuite, le 28 avril dernier, ce qui lui a valu d’être suspendu « pour faute grave » en attendant son licenciement : il n’a pas craint d’insister lourdement,

« je peux même dire nazi sans prépuce, le juge il a dit que c’est bon, nazi sans prépuce ».

Sic. (Goldnadel a porté plainte mais l’affaire a été classée sans suite).

Il ne doute de rien, et n’envisage même pas d’avoir fait un lapsus antisémite de manière inconsciente. D’avoir mal estimé les conséquences de son « bon mot ».

Errare humanum est, perseverare diabolicum.

Il y a quelque chose de diabolique, dans cet entêtement. Certains sites tournent l’affaire en dérision et parlent de « prépucegate ». Pourtant, il risque gros : injure publique et provocation à la haine raciale. C’est la condamnation à laquelle il s’expose, pour cette blague polémique qui a suscité une vague d’indignation et lui a valu, selon ses dires, des menaces de mort, son numéro ayant fuité sur les réseaux sociaux.

Analyse

Lors de cette mémorable chronique, l’humoriste ou prétendu tel, amène sa blague ainsi : à l’approche de la fête de Halloween2 les enfants doivent choisir un déguisement :

« Il y a le déguisement Nétanyahou qui marche bien, il fait très peur, c’est une sorte de nazi mais sans prépuce. »

Première remarque :

Le déguisement Nétanyahou serait-il un costume de nudiste ? Un déguisement minimaliste, alors. Très minimaliste, même. Un anti-déguisement, donc. Car le propre du déguisement c’est de permettre de n’être pas reconnu, de masquer son aspect habituel de manière à passer pour quelqu’un d’autre, non ? Or le fait de révéler son absence de prépuce suppose que l’on soit nu. Sans slip, en tout cas.

Bonjour le déguisement ! Depuis quand offre-t-on aux enfants des costumes de monsieurs tout nus ?

La blague révèle un désir de faire baisser son froc au Premier Ministre d’Israël. De l’humilier. Un peu comme ont fait les nazis aux Juifs pendant la Shoah. Quand ils en attrapaient un, ils lui ordonnaient de montrer son zgueg : les nazis exigeaient de reluquer le pénis des hommes qu’ils arrêtaient, pour voir si le suspect de juiverie était circoncis. S’il l’était, après inspection en bonne forme, le suspect était bon pour le départ en camp d’extermination, où il partait sur le champ.

Deuxième remarque :

Les mots Israël et nazis ont constamment reliés, par les manifesteurs de haine anti-israélienne.

On voit depuis des années les défenseurs de la Palestine, symbole de l’innocence persécutée, arborer dans les cortèges l’étoile de David et la svastika, reliées ensemble par le signe « égale ». Qualifier le Premier Ministre de l’État d’Israël de nazi n’est pas faire de l’humour mais du militantisme : « Israël nazi » est un slogan qu’on entend tellement souvent.

Et, évidemment, il n’est pas recevable de salarier quelqu’un qui utilise son temps d’antenne sur une radio de service public pour y assouvir sa haine d’Israël et y étaler ses convictions palestinistes ferventes.

Nazi sans prépuce revient à juxtaposer les signes Juif et nazi. Une condensation, la formule condensée étant pour Freud propre au rêve et au mot d’esprit.

A ce que l’on comprend en l’écoutant se justifier, il se considère comme victime de l’extrême-droite et de la Macronie, évoquant complaisamment la traditionnelle question, mille fois rebattue, des relations entre le rire et le pouvoir. Il « essaie d’analyser » dit-il, « tiens, pourquoi les gens réagissent comme ça », si si, c’est ce qu’il dit, texto, bin je sais pas, la bêtise ou le manque d’empathie, ou les deux, à son avis « les gens paniquent ».

Comme s’il ne voyait pas l’énormité, traiter un pays de nazi, en tout cas, son Premier ministre, alors que certains de ses citoyens ont vécu la Shoah.

Qu’ils viennent de subir une attaque inqualifiable qui a rouvert les plaies, les traumatismes de ceux qui y ont survécu. Alors que les Juifs subissent en France comme partout une hausse des actes antisémites.

Sur les accusations de mettre de l’huile sur le feu, il cite pour se défendre une ancienne une de Charlie, un dessin montrant un comique versant de l’huile sur le feu.

Mais le directeur de Charlie Hebdo pour une fois et ô surprise, se montre un peu plus digne que d’habitude et il ne le soutient pas.

Ce dont le comique ne se remet pas. Il attaque Riss de manière frontale en l’accusant de vouloir lui donner des leçons de morale, amer et agressif en évoquant ce manque de soutien. Ce que l’on pourrait résumer spirituellement et dans le même ordre d’idées par une formule condensée, elle aussi, en disant que le patronyme du comique autoproclamé sonne comme un souhait de mort… Guillaume : – Meurs, Riss !

Un bon mot

Le triste sort du sieur Meurice peut faire penser à la mésaventure d’un personnage de Ridicule, ce film extraordinaire de Patrice Lecomte, que dis-je, ce chef-d’œuvre absolu, avec la merveilleuse Fanny Ardant, et aussi Charles Berling et Bernard Giraudeau, que je revois de temps en temps parce que je l’adore3. Il y a une scène emblématique dans laquelle un abbé, favori du roi, est désavoué publiquement et même menacé de mort. Mis au rencard par le roi et la cour après avoir voulu faire un bon mot : à la fin d’une brillante démonstration sur l’existence de Dieu, copieusement applaudie, le personnage en question, un genre de faux dévot, ne s’arrête pas là. Au lieu de se retirer, après un brillant exercice de style qui ravit son auditoire, il salue respectueusement le roi et ajoute qu’il vient de faire la preuve ici devant lui et toute la cour que Dieu existe, mais qu’il aurait pu, avec le même art, démontrer qu’Il n’existe pas ! « Demain matin s’il plaît à monseigneur » ajoute-t-il avec une profonde révérence.

Les applaudissements cessent. Silence glacé, le roi se lève et tourne le dos au brillant causeur, ainsi que toute la cour. Le bouffon du roi se retrouve seul et décontenancé sur scène, dans la grande salle vide, abandonné du public qui riait et s’émerveillait de son esprit, comprenant trop tard qu’il s’est totalement décrédibilisé. Il tombe en disgrâce. C’est à mon avis ce qui attend Meu-Meu, comme tous ceux qui n’ont pas compris jusqu’où ne pas aller trop loin.

Blagounette sur une zigounette

Nazi sans prépuce, zizi sans prépuce… Entre nazi et zizi, une homophonie évidente, le second mot pouvant se lire comme la répétition de la deuxième syllabe du premier. Une blague pipi-caca, niveau maternelle première année, (à l’âge où l’on fait sciences pot) un stade anal dans lequel certains restent bloqués.

Il reste à suggérer à ce monsieur de lire le livre de FreudLe mot d’esprit et ses rapports avec l’inconscient. Il y a d’ailleurs un appendice à la fin du livre, sur l’humour. Il devrait le lire. Un pavé, certes, mais puisque le sujet le passionne… C’est un livre passionnant ! Freud y explique notamment un mécanisme intéressant, celui de la condensation, identique à celui qui intervient dans le rêve, et qui est à l’œuvre, dans tout mot d’esprit. Par exemple, il résume son voyage avec quelqu’un qu’il n’aime pas en disant qu’il a « voyagé en tête-à-bête ». Condensation. Il y a plein d’autres exemples marrants dans ce livre. Je ne l’ai pas à la maison, mais je me rappelle qu’il y a une kyrielle d’exemples de bons mots issus de ce procédé de condensation. Fous rires garantis.

Je voudrais dire pour finir que je trouve regrettable que tant de gens, en France, soutiennent ce triste sire.

Incroyable qu’autant de gens prennent pour de l’humour la haine antijuive d’un quidam qui la jette à la figure des auditeurs depuis une radio de service public.

Et que ce qui est étonnant, c’est qu’il ne soit suspendu que six mois après sa « blague pourrie ». (Sophie Aram)

Car il est évident que c’est pas de l’humour. C’est de la haine. Une haine qui vise sous la ceinture. Un coup bas. En plus Bibi, c’est une ambulance… Tout le monde lui tire dessus, les gauchistes, ici en Israël, les centristes, les familles des soldats, les familles des otages… Il reçoit depuis des mois des tombereaux d’insultes. Rien qu’en Israël, il passe pour l’ennemi public numéro 1. Alors je vous dis pas dans les campus des facs de France et de Navarre, d’Europe et d’Amérique…

Meurice a trouvé marrant de taper sur un type qui prend des coups du monde entier, et pas que depuis le 7 octobre, il s’est dit moi aussi je peux. Sauf que le rôle du comique et de l’artiste en général ça n’est pas de taper là où tout le monde tape. Ça n’est pas de chercher le consensus. Un artiste fût-il simple comique se doit d’être un minimum, un peu original, non ? Franchement, reprendre un poncif ressassé tous les jours des millions de fois, y compris et surtout dans les médias, c’est pas terrible, au point de vue originalité. Surtout pour quelqu’un qui se veut subversif.

Et d’abord comment tu le sais, Meumeu, (Meumeu, tu permets ? moi aussi je suis une marrante) que mon Premier ministre il a pas d’prépuce ?

Tu lui a baissé son pantalon pour vérifier ? Tu voudrais qu’il montre sa bite brit’ devant tout le monde ? La brit’ chez nous c’est le Signe de l’Alliance, la circoncision.

Mais qu’est-ce que ça veut dire ? Tu veux que je vienne baisser le slip de ton Président ? Pour vérifier s’il a des couilles ?

Comique de mes fesses ! Dis à ta mère qu’elle te termine, parce que visiblement t’es pas fini ! Tu sais ce qu’on se dit quand on te voit ? Quand on t’entend ? Que gros niqueur à France-Inter, ça te va très bien, France-Inter, la radio où tous les coups sont permis. Et passent pour de l’humour.

Mais cette fois ils vont te virer, c’est sûr. En attendant, essaie de penser à autre chose qu’à cet éléphant dans ta tête, le prépuce absent de mon Premier ministre.

Franchement, faudrait qu’tu meurisses un peu. CS

Catherine Stora, Alma Médoubar


1 je ne vous mets pas le lien de l’interview parce que, je le redis, je ne veux pas leur faire de pub.

2 Cette chronique a été diffusée trois semaines après l’attaque sadique, barbare, inhumaine, des kibboutzim en bordure de Gaza et du festival Nova à Ré’im.

3 Cadeau ! Ridicule, de Patrice Leconte (1996)


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5 commentaires

  1. Bonjour,
    Je suis d’accord avec presque tout ce que vous écrivez. On aurait pu citer Wilhelm Reich et les psychanalystes de l’antisémitisme qui montrent qu’il y a un lien entre antisémitisme et obsession sur l’organe sexuel des Juifs . Je signale que dans l’édition électronique du Figaro de ce jeudi 15 mai il y a un entretien avec Philippe Val .Il raconte que lorsqu’il était directeur de France Inter , Guillaume Meurice faisait sans cesse des  » blagues  » sur B-H L et Finlielkraut et qu’il lui avait dit : » tu ne pourrais par parler d’autre chose ».
    Ma seule réserve porte sur ce que vous écrivez sur Riss ,le directeur de Charlie-Hebdo . Vous écrivez  » Riss , pour une fois bien inspiré. » Vous ne devez pas lire ses éditoriaux . Ses éditoriaux sont toujours très intelligents et humanistes. Il ne transige pas avec le fanatisme islamiste.

    Aimé par 1 personne

    • Vous plaisantez ! Riss est un propalo virulent et je le lis depuis longtemps ! Ça coûtait 10 balles au kiosque, je l’achetais tous les mercredis ! Il change pas ! Mais contrairement à Meurice il cautionne quand même pas le terrorisme.

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  2. Merci pour ce papier. J’ai vu passer une pétition de soutien à ce type, que je n’ai pas signé mais sans savoir de qui il s’agissait: les comiques, il y a longtemps qu’il ne me font plus rire. J’aime bien la fin de votre article qui m’a bien fait rire, elle. Stora, c’était le nom de mon prof de théorie quantique des champs 🙂

    Aimé par 1 personne

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