« La vérité si je mens », version historique

par Michel Bruley
[25 mars 2025]

Depuis Hérodote, présenté comme le père de l’Histoire, qui a initialisé de bonnes pratiques pour écrire l’histoire (méthodes d’enquête, recherches des causes, description du cadre sociétal, volonté de comprendre les partis en lice…), les historiens ont l’ambition d’approcher la vérité historique des faits qu’ils racontent, mais on peut objectivement se demander si l’objectif est souvent atteint. Le récent film sur Napoléon m’a amené à me poser des questions et à rechercher comment l’empereur était perçu en France et à l’étranger.

De la connaissance du passé

Napoléon était préoccupé par la trace qu’il laisserait dans l’Histoire et conscient que son image serait façonnée par les récits des historiens. À ce sujet, il a dit

« les véritables vérités sont bien difficiles à obtenir pour l’historien ».

Il a aussi énoncé l’aphorisme suivant :

« l’Histoire est une suite de mensonges sur lesquels on est d’accord ».

Sans épuiser le sujet, ces deux propos sont des ancrages forts pour toute réflexion sur notre connaissance du passé.

Il semblerait que depuis toujours on voue à la connaissance du passé un culte important et ses relations avec le présent et le futur stimulent les imaginations. Ci-dessous quelques aphorismes sans leur auteur :

  • Passé : le passé est unique, mais ses interprétations sont variées et partielles. C’est putain le passé, ça fond dans la rêvasserie, ça prend des petites mélodies en route qu’on ne lui demandait pas, ça revient tout maquillé de pleurs et de repentirs, ce n’est pas sérieux. Le passé vit aussi nerveusement et imprévisiblement que le présent.
  • Présent : sans se pencher sur le présent, il est impossible de comprendre le passé. À la lumière du passé le présent s’éclaire. Les mille sentiers de l’avenir nous tourmentent, le passé nous retient, c’est pour cela que le présent nous échappe.
  • Futur : l’avenir est une porte, le passé en est la clé. On ne peut pas prédire le futur à partir du passé. En transmettant le passé aux enfants, on leur permet d’inventer leur avenir. C’est le futur qui détermine le présent. La séparation entre le passé, le présent et le futur est une illusion.

Si pour certains, la mémoire c’est l’enfer, force est de constater que l’Histoire rassemble et qu’elle est souvent écrite dans ce but pour pallier les divisions que les groupes divers génèrent par la recherche de leurs intérêts particuliers qui les absorbent et leur rétrécit l’esprit. De plus, il ne faut pas oublier que la réalité, les faits ne pénètrent pas dans le monde des croyances.

Napoléon vu par les Européens

Pour en revenir à Napoléon et à la vision qu’en ont les historiens de certains pays européens, les différences de point de vue sont patentes :

  • Pour les Français : talents militaires, réformes administratives, grandeur nationale… son autoritarisme et ses guerres incessantes sont critiqués, mais généralement minimisés.
  • Pour les Anglais : l’incarnation du mal, un tyran ambitieux… mais un respect pour ses talents militaires.
  • Pour les Italiens : il est admiré comme un génie militaire, un modernisateur et un inspirateur de l’unité nationale.
  • Pour les Allemands : c’est une figure ambivalente, d’un côté, il est reconnu pour avoir modernisé et réformé les territoires allemands sous son contrôle, de l’autre, c’est un conquérant qui a imposé sa domination par la force.
  • Pour les Espagnols : invasion, guerre, résistance et héroïsme ont contribué à l’identité nationale ainsi que les idées des lumières propagées par la France napoléonienne.
  • Pour les Russes : les aristocrates étaient francophiles et l’admiraient, mais avec la campagne de Russie l’hostilité s’est imposée… Aujourd’hui, il est vu comme une grande figure politique, un génie modernisateur, une figure romantique (ascension/fin tragique).

Apports de Napoléon à la France

Comme on l’a vu ci-dessus, Napoléon n’est pas considéré de la même manière d’un pays à l’autre et chaque pays enseigne sa vision, en fonction de son point de vue.

Pour ce qui est de la France, on nous met surtout en avant qu’il l’a organisée et façonnée pour les siècles qui ont suivi :

  • unification du droit,
  • organisation administrative,
  • réforme de l’éducation (lycées, baccalauréat, universités),
  • création de la banque de France,
  • construction d’infrastructures,
  • Légion d’honneur…
  • centralisation du pouvoir,
  • naissance de l’administration française (numérotation des rues…),
  • vente de la Louisiane aux États-Unis…

Pour la France, ces apports comptent beaucoup dans la balance,

…mais les 3 à 6 millions de morts des guerres napoléoniennes ne doivent pas être oubliés, comme le rétablissement de l’esclavage que l’on a ressorti de l’oubli et mis en avant récemment pour un usage politique actuel.

L’Histoire va-t-elle maintenant s’écrire différemment ?

Dans notre monde globalisé, connecté où l’accès à la pensée des autres est largement facilité (internet, IA, traduction en ligne…), l’accord sur un mensonge local privilégiant un point de vue est probablement plus difficile, excepté dans le monde des croyances où la vérité n’a pas cours.

Déjà, depuis quelques décennies, le développement de l’archéologie a apporté à la façon d’écrire l’Histoire :

  • de l’interdisciplinarité ;
  • de nouvelles sources de données, complémentant les sources écrites ;
  • des méthodes scientifiques permettant des vérifications, des précisions par exemple en matière de chronologies historiques ;
  • le dépassement des récits historiques centrés sur les événements politiques ou militaires ;
  • la mise en lumière de la vie quotidienne,
  • des pratiques culturelles,
  • des dynamiques sociales,
  • des migrations, des relations entre les populations, les animaux et les plantes cultivées,
  • sans oublier les maladies anciennes.

Finalement, tout cela amène parfois à corroborer, nuancer ou même contredire les récits historiques basés uniquement sur des textes.

Dans ces conditions,on peut espérer que les nouvelles approches permettent de mieux cerner les vérités historiques et de faire participer plus de monde à l’élaboration du mensonge consensuel.

Cependant, j’ai vu récemment un graffiti à la gloire du romantique Che Guevara, considéré comme un boucher par Fidel Castro, et je me suis dit que la synthèse des points de vue est un exercice de haut vol, comme le montre la chanson de Jean Arnulf « Point de vue » :

MB

Michel Bruley, MABATIM.INFO


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2 commentaires

  1. La plupart des guerres napoléoniennes n’ont pas été déclenchées par Napoléon mais par ses adversaires, dont certains étaient pires que lui et son régime. Exemple : la Prusse. Mais la grande majorité des Français eux-mêmes ne connaissent pas l’Histoire de leur pays puisqu’elle n’est pas enseignée.
    Si tous les siècles connaissent la réécriture et l’instrumentation de l’histoire, l’époque contemporaine bat certainement des records en la matière. De nombreux crimes contre l’humanité, ainsi que la traite arabo-musulmane, ont été occultés des narratif officiel afin de véhiculer les idéologies les plus criminelles. De même, l’UE, dont la nature totalitaire éclate aujourd’hui au grand jour, a été bâtie sur la novlangue, l’endoctrinement et le révisionnisme. Il a par exemple fallu minimiser les crimes de l’Allemagne afin de mettre sur le même plan agresseur et victimes. Évidemment, la plupart des Européens n’ont jamais entendu parler de Mohammed Amin al-Husseini ni de Stepan Bandera _ ce qui explique pourquoi ils sont si perméables à la novlangue ambiante et faciles à manipuler. Le Fascisme prospère sur l’ignorance : jamais Macron et Mélenchon ou leurs équivalents étrangers n’auraient pu percer si des décennies de bourrage de crânes, de novlangue et de complète réécriture de l’Histoire ne leur avaient préparé le terrain.

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  2. Bravo pour la chanson, 1962 j’avais 8 ans, mes parents quittaient l’armée, j’entrais dans l’âge de raison 🙂 Où sont mes 8 ans…

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