ISRAËL serait-elle en voie de « chouratisation » ?

Jean-Pierre Lledo
[8 avril 2025]

La décision du gouvernement, conforme à la loi, de limoger Ronen Bar, le directeur des Services de sécurité intérieure (Shin beth) et la menace que la Cour suprême puisse l’abolir, repose une nouvelle fois le problème posé par la proposition du gouvernement de réforme judiciaire en l’an 2022-2023 : QUEL EST LE VÉRITABLE SOUVERAIN EN ISRAËL ?

La Knesset, élue par le peuple, ou bien quinze Juges choisis par eux-mêmes ?

La Knesset, élue par le peuple, ou bien 15 Juges choisis par eux-mêmes, et de surcroît se positionnant, dans les faits, à gauche pour la majorité d’entre eux, c’est-à-dire dans le camp du « progressisme » plaçant « les valeurs » plus haut que l’existence même d’Israël, plus haut donc que la volonté de la Knesset, et de son exécutif, le gouvernement ?

Cette dérive ordonnancée par l’ex-Juge Aaron Barak en l’an 1990, qui vise à vassaliser la Knesset, si elle n’était pas stoppée, ne pourrait avoir qu’une conséquence : la perte de sa crédibilité et donc la désaffection pour les élections qui ne seraient plus qu’un vernis de démocratie.

Pour un pays comme Israël, menacé chaque jour dans son existence, ce serait une catastrophe, car sa seule chance de survie, est au contraire un haut degré de citoyenneté et d’unité.

Or, déposséder la Knesset de son pouvoir de décider des lois et de les appliquer aura justement pour conséquence de dissoudre la citoyenneté et de fracturer la société qui n’aurait plus d’autres options que la soumission ou la guerre civile dont la « gauche » ne cesse d’agiter la menace (l’ex-Chef de la Cour Suprême, Aaron Barak, le chef d’un parti qui tente de repêcher tous les naufragés de l’extrême-gauche, Yair Golan, et un ex-chef de gouvernement Ehud Barak, ces deux derniers étant des ex-généraux)…

Aujourd’hui ceux qui s’opposent à la primauté de la Knesset sont ceux qui depuis plus de deux décennies perdent régulièrement les élections.

Un hasard ?

La fonction, voire la mission, de la Cour suprême serait-elle de contrebalancer, de réduire, voire d’invalider le choix des électeurs ?

Sous la poussée planétaire de l’islam, la Cour suprême en Israël serait-elle en voie de chouratisation ?

Il faut savoir en effet que dans les pays qui ont la Charia pour constitution, comme par exemple la république islamique d’Iran, le véritable pouvoir n’appartient pas au Parlement, mais à la Choura, qui est une assemblée restreinte de grands Clercs musulmans.

D’un côté la Façade du Parlement pour sacrifier à la modernité et justifier la dénomination de « Républik », et de l’autre, la DGS (Décision des Gens qui Savent).

En Israël, ils se veulent incarner la Voix /Voie de la RAISON, et en Iran celle de DIEU.

Les partisans de la dépossession de l’autorité de la Knesset et de sa transmission à la Cour suprême arguent de la possibilité de défaillance du pouvoir législatif. Nulle autorité n’est en effet infaillible.

Mais en démocratie, l’alternance est justement la garantie pour le peuple de pouvoir sanctionner les partis défaillants, de se tourner vers leurs opposants, et donc de remodifier la composition du Parlement lors d’élections suivantes, régulières ou anticipées.

Or transférer l’essentiel du pouvoir à la Cour suprême, c’est rendre caduque cette alternance, et donc même les élections, comme nous l’avons déjà dit, puisque le Parlement dévitalisé ne serait plus qu’une coquille vide.

Ce débat Parlement / Grands Juges remet sur le tapis la très ancienne question de l’infaillibilité.

Qui peut prétendre la détenir ? En République démocratique, il est convenu d’admettre que nul homme et nulle institution ne sont infaillibles. La Knesset peut donc se tromper en votant telle ou telle loi et le gouvernement en tentant de les appliquer.

Mais la Cour suprême qui s’y opposerait, pareillement !

Où est le critère de la vérité, qui le détient ?

En vérité personne… évidemment si l’on s’en tient au postulat de faillibilité de toute institution d’un pays démocratique.

Mais si le peuple peut corriger l’erreur en votant pour d’autres partis, il n’a aucune prise sur la Cour suprême qui peut se reproduire à l’identique, échappant ainsi à tout contrôle et notamment à celui du peuple !

Mais s’il en est ainsi, si Parlement et Cour suprême peuvent tous deux se tromper, au nom de quoi privilégier une institution qui n’est pas élue, qui n’est en rien responsable de ses erreurs, et qui n’est pas habilitée à en répondre ?

Admettre une telle inégalité face à l’erreur, n’est-ce pas conférer à la Cour suprême un pouvoir justement suprême, équivalent donc à un pouvoir divin ?

Le Dieu infaillible étant représenté en Israël par 15 Juges amovibles par le seul impératif de la retraite, par la direction du Parti dans les régimes autoritaires de type communiste, par la Sécurité militaire dans les régimes autoritaires arabes, et par la Choura en république islamique.

Si Israël veut redevenir une vraie démocratie, elle devra déchouratiser la Cour suprême.

Son rôle, en démocratie, consistant uniquement à donner un avis sur les lois votées par le Parlement, dans le cas où la Cour suprême désapprouverait une décision de la Knesset, cette dernière devrait avoir le choix, soit d’accepter le désaveu de la Cour, soit de le refuser.

Le dernier mot devant TOUJOURS lui revenir.

Le Parlement étant seul souverain, il endosserait ainsi toute sa responsabilité devant le peuple, lequel pourrait le faire chuter, dans le cas où le refus de l’avis de la Cour suprême s’avérait néfaste pour les intérêts de la nation.

La Cour suprême est-elle le conseiller des députés, comme le voudrait la démocratie, ou désire-t-elle s’emparer à peu de frais de leur pouvoir et devenir un organe de décision supérieur au pouvoir du Parlement qui deviendrait de la sorte un Parlement croupion ?

Et alors que chaque jour en Israël apporte son lot de révélations sur les atteintes au droit des citoyens de la part des services de sécurité du Shin beth, sans que cela ne fasse réagir la Cour suprême (ni la soi-disant Conseillère du gouvernement Gali Baharav-Miara), l’examen par cette même Cour suprême, aujourd’hui 8 avril 2025, de la décision du gouvernement de limoger le directeur du Shin beth sera manifestement un test d’importance cardinale.

Soit elle confirmera la décision du gouvernement, soit elle l’invalidera.

Mais dans ce dernier cas, et si la Knesset était forcée de s’incliner cela signifierait qu’Israël est un pays déjà mortellement chouratisé, incapable de faire respecter la souveraineté du peuple, soumise aux « Gens qui Savent »…

Dans le cas contraire, c’est-à-dire pour rester dans le cadre de la démocratie, la Knesset devrait se prononcer en dernière instance et exercer le pouvoir que le peuple lui a conféré.

Et dans le cas d’un conflit ouvert, il ne resterait plus à la Cour dite suprême, pour imposer son jugement, qu’à outrepasser son pouvoir et à dissoudre la Knesset…

Encore faudrait-il qu’elle se dépêche de former ses Gardiens de la Révolution, cette instance militaire qui en Iran permet la survie des Mollahs… Yair Golan et Ehud Barak sont déjà prêts à en prendre la direction.

Il faudrait aussi que Tsahal qui, depuis 1948, s’est toujours soumise à l’autorité du gouvernement, accepte les petits caprices d’un quarteron de généraux depuis longtemps à la retraite. J-PL♦

Jean-Pierre Lledo, MABATIM.INFO
Cinéaste, essayiste


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3 commentaires

  1. Le débat n’est pas la légitimité juridique ou bien celle des urnes. La question est : Existe t il un contre pouvoir pour limiter certaines dérives d’un gouvernement qui enfonce le pays chaque jour un peu plus dans l’abîme ?

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    • cher Mr Drai
      En démocratie il n y a pas de pouvoir superieur a la LOI qui elle meme est l emanation de la plus haute instance : le Parlement.
      Le contre pouvoir a la democratie s appelle la dictature
      Et pour l exemple du moment (Ronen Bar) c est le gouvernement qui agit selon la Loi
      et la Cour dite supreme qui est en pleine  »dérive »
      Voici ce que rappelle un juriste dont vous pouvez lire l article ici chez Mabatim :Israël : Mépris de la hiérarchie des normes juridiques
      Et la même loi précise bien dans son article 3 (c) :
      « Le Gouvernement a la faculté de faire cesser les fonctions du Chef de service avant la fin du délai normal ».
      Le Gouvernement peut donc légitimement, pour des motifs qu’il décide souverainement, prendre cette mesure. Il ne devrait pas là y avoir matière à discussion ou interprétation.
      Bien a vous
      JP Lledo

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  2. attention les juges de la CS israélienne ne sont pas nommés à vie contrairement à ceux de la CS des USA.leur fonction cesse quand ils ont atteint l’âge de la retraite .

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