Le Serpent, Aux jeux de la guerre et du destin, Roman

Par Marc Nacht

« Ich freue mich auf meinen Tod1 »

C’est ce « Je me réjouis de ma mort », qui sonna à la tête de Pierre-Marie lorsque, ayant épuisé son sursis, il reçut sa feuille de route pour l’Algérie. Ça lui chantait en allemand, tout naturellement, comme dans son enfance avant la disparition de ses parents si férus de Bach.

« D’où tu viens toi mieux vaut apprendre à se servir d’un fusil mitrailleur », lui avait murmuré avec cynisme un type rencontré dans un café auquel il avait dit sa peur de partir et son dégoût pour cette guerre. Se planquer, inacceptable, une lâcheté. Donc apprendre. Comme les amis communistes qui suivaient la consigne du Parti. Faire la guerre pour la défaire, la belle affaire – En attendant, dans la nuit des casernes les conscrits hurlaient leur peur comme s’ils y étaient : déjà tombés dans l’embuscade de leur cauchemar. Et il y avait de quoi cauchemarder, mais pour lui c’était plutôt de se retrouver héritier des massacres de Sétif ; puis victime expiatoire de la « Toussaint rouge » par laquelle l’ALN en redoublait l’horreur en se haussant sur l’échelle de la terreur par l’assassinat d’hommes de femmes, d’enfants d’Européens comme d’Algériens ; enfin de se trouver marqué au fer de la répression aveugle du pouvoir colonial l’année suivante, Et tout ça évoqué brumeusement boulevard Saint-Germain dans la fumée du Old Navy, dont on savait bien qu’elle ne protégeait en rien des oreilles policières. Pas plus d’ailleurs que du moindre doute sur le FLN qui, déjà de Tunis s’adossait de plus en plus à un Islam foncièrement anti occidental2. Mais les amis de Pierre-Marie comme lui-même étaient peu informés. Ils projetaient sur le FLN l’image de la Résistance et l’ assimilaient à un mouvement anticolonialiste démocratique de gauche, ce qu’il était si peu qu’il élimina progressivement ses propres combattants se réclamant de près ou de loin du marxisme ou de la démocratie. Mais chut cette sonnerie aux morts des vrais perdants de cette guerre ne vibrera qu’au fond des gouffres périlleux de la mémoire

Il partit.

Elle avait encore réussi à se faufiler entre les barbelés. Dans un coin de la cour du poste, elle attendait. Rire d’oiseau sous le vent de sable.

Son ombre, à lui, était très grande à côté d’elle, son ombre grise trouée de l’arc des dents éclatantes de son sourire d’enfant Il se reprochait d’avoir emporté son ombre qui ne pourrait plus la protéger, l’abandonnant derrière le rouleau des barbelés que d’autres viendraient couper au petit jour et puis eux, qui avaient vécu trop près du poste, sous les khaïmas et elle….

Et elle, même pas fille de harki. Mais il n’en savait rien. Il aurait bien voulu la voir rire au fond de la cale du bateau, sous le grondement de la mer.

Une histoire enfouie ne cessait de défaire le présent. Et ce qui avait trop brillé du fond des temps sciait de sa lumière rasante les heures de la vie.

[…]

Marc Nacht


1 J-S Bach. Cantate BWV 82a. Aria

2 Pour mémoire toujours endormie, anesthésiée pour convenance politique avec l’Algérie : le 5 juillet 1962, jour et fête de l’indépendance, sous les yeux de l’armée française aveuglée par le général Katz qui aurait donné l’ordre de ne pas intervenir, environ 700 « pieds noirs » furent massacrés aux cris de « mort aux roumis, mort aux Youdis » beaucoup disparurent dans le charnier dit du « Petit lac » Et cela ne suffisait pas, jusqu’en mars 1963 il y eut de nombreux enlèvements suivis de disparitions. À Perpignan (Monastère des Clarisses) malgré les protestations du MRAP et d’une gauche qui jugeait que ce monument glorifiait le colonialisme, une stèle témoigne de la disparition de 2619 personnes entre 1954 et 63 avec cette inscription : « Ceci est leur premier et dernier tombeau ».
Cf. Gérard Rosenzweig. Requiem pour un massacre oublié. Causeur, 4/07/16.


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2 commentaires

  1. De Gaulle a sauvé l’honneur de la France depuis son appel du 18 juin jusqu’à la présence de notre pays et sa reconnaissance de facto lors de la capitulation allemande.
    Par ailleurs je tente de diffuser la 4ème de couverture de mon ouvrage:

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  2. La honte de la France est la trahison de De gaule, Kollaborateur qui a souillé ce pays pour toujours. Actuellement, une « boutique éphémère » est ouverte pour recruter de nouveaux combattants rue Condorcet, dans le 9 ème.

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