France, Royaume-Uni et guerres de religions au Proche-Orient

Par Klod Frydman,
[22 mai 2025]

Carte postale de 1895 saluant la Constitution ottomane du 23 novembre 1876, figurant le sultan Abdul-Hamid, les différents Millet de l’empire (Turcs avec les drapeaux rouges, Arabes avec les drapeaux verts, Arméniens, Rum grecs) et la Turquie (non voilée) se relevant de ses chaînes.

Face à l’islamisme conquérant qui nous menace, pourrait-on voir un jour s’ériger en terre d’islam, une fédération des États minoritaires, des États dhimmis1 jusque-là assujettis ? Une telle fédération de ces États qui ont des ennemis communs serait gage de paix. Peut-être trouverait-elle le moyen de faire alliance avec Israël, autre État dhimmi…

MASSACRES DES MINORITÉS EN SYRIE

Quelques mois après la chute du dictateur syrien Bachar el Assad, le spectre de la guerre civile se profile dans la Syrie désormais sous la férule d’Ahmed al-Charaa, ancien dirigeant de l’État Islamique, fondateur de Hayat Tahrir al-Cham2 (HTS).

Sous prétexte de vengeance, les violences, les massacres, les enlèvements et les déplacements de population se multiplient.

Mais la vengeance est-elle la véritable cause ?

Depuis toujours les oppositions religieuses sont fortes en Syrie entre les différentes communautés.

Des milices affiliées au nouveau régime s’en prennent aux minorités, en particulier aux Alaouites, aux Druzes. Les Chrétiens et les Kurdes sont également menacés.

Ces massacres sont de véritables « Saint Barthélémy » exécutées par les partisans d’un islam dominateur contre ceux qu’ils considèrent comme des hérétiques.

Les Alaouites et les Druzes appellent Israël à l’aide.

La France exprime sa « profonde préoccupation » face aux violences en Syrie. Elle condamne officiellement les crimes commis contre les civils, mais simultanément le président Macron reçoit avec les honneurs Ahmed al-Charaa, l’homme fort de la Syrie actuelle.

« Nous avons un rôle historique en Syrie », déclare-t-il.

Après la guerre civile en Syrie responsable de 500 000 morts et des dizaines de milliers de disparus, la France espère obtenir sa part du gâteau dans la reconstruction du pays où elle a exercé un mandat colonial dans la première moitié du 20ᵉ siècle. Les intérêts économiques français sont importants.

Les Millets

Dans l’Empire ottoman3, les « millets » étaient les communautés religieuses ou ethniques non musulmanes « orthodoxes » légalement reconnues. Ils avaient un statut de dhimmis, sous-citoyens considérés comme inférieurs aux musulmans reconnus. En turc moderne « millet » signifie « nation ».

En 1926, Joseph Kessel a décrit la situation syrienne et les relations entre les diverses populations :

« Les alaouites, les hachémites, les maronites, les sunnites, les Grecs orthodoxes, les chiites, etc., – et j’en passe – comment s’y retrouver ? Il y a vingt-sept religions en Syrie, chacune d’elle tient lieu de nationalité4. »

LA SYRIE

Sous l’Empire ottoman, on appelait « Bilâd al-Châm » le vaste territoire devenu la Syrie. Il était divisé en quatre provinces centrées sur les grandes villes : Damas, le Jabal Ariha, la province de Tripoli et celle de Sidon-Acre qui s’étendait jusqu’à Gaza. Les revendications territoriales syriennes, particulièrement sur le Liban et la Palestine, voire sur la république du Hatay en Turquie s’expliquent par l’histoire.

À l’exception d’Alep et de Damas où se concentrait le commerce, la région était pauvre et les habitants, paysans et artisans, écrasés par les impôts que collectaient les notables, riches propriétaires terriens, pour les besoins militaires de l’empire ottoman et le faste de la cour.

Le semi-échec de la campagne d’Égypte menée par Bonaparte en 1798 avait eu des effets collatéraux.

Il avait apporté les idéaux des Lumières, mais il avait aussi, en soutenant les chrétiens maronites, généré des tensions entre les nombreuses communautés dont nous subissons encore les conséquences aujourd’hui.

En 1860, la révolte des Druzes opprimés par les Turcs et les chrétiens maronites fut le prétexte d’une terrible guerre civile. On dénombra une vingtaine de milliers de victimes chrétiennes.

L’intervention d’Abdel Kader sauva dix mille chrétiens dont trois mille qui se réfugièrent dans son palais. L’ingérence des troupes françaises de Napoléon III mit fin à la guerre. Il s’agit là, dit-on, de la première opération humanitaire au monde. Mais la protection des chrétiens par la France s’accompagna d’une mission dite « civilisatrice ».

Napoléon III, sous l’influence de son conseiller Ismaïl Urbain, avait l’ambition de restaurer un empire français tourné vers l’orient. La diplomatie française considérait qu’il existait en Syrie des classes moyennes et des minorités susceptibles de basculer du côté impérial.

L’opposition dressée contre la France donna naissance au nationalisme arabe.

Dans ses velléités de s’implanter au Proche-Orient, le président Macron semble vouloir chausser les bottes de Napoléon III.

Avant Sikes-Picot

Vers 1914, le Proche-Orient sous domination ottomane ne comprenait ni Israël, ni Jordanie, ni Palestine, ni Syrie ni Liban.

Il était administrativement divisé en Vilayets et Sandjaks et peuplé de musulmans Turcs et Arabes et de « millets » principalement Alaouites, Maronites, Juifs, Druzes et Kurdes.

Divisions administratives ottomanes avant les mandats français et anglais.

Démantèlement de l’Empire ottoman

En 1919, la défaite de la Turquie va provoquer le démantèlement de l’Empire ottoman. La Société des Nations, ancêtre de l’ONU, accorda à la Grande-Bretagne et à la France des mandats sur des territoires du Proche-Orient « pour aider les peuples à accéder à l’indépendance et la souveraineté ».

Déjà en 1916, le Royaume-Uni et la France avaient négocié en secret les accords dits Sykes-Picot qui dépeçaient les dépouilles de l’Empire ottoman. La région en fut définitivement déstabilisée.

Les mandats deviendront colonisation.

– Le Royaume-Uni s’empara des territoires qu’il appellera Irak et Palestine, laquelle sera divisée entre Israël et la Jordanie.

– La France prend possession de la Syrie qu’elle divise en micro-États pour mieux la dominer : État alaouite, État druze, Damas, Alep, Liban, et un État peuplé de Kurdes. La « Grande révolte syrienne » de 1925 à 1927 fut réprimée par la France, qui prétendant rétablir l’ordre, rasa Damas tuant 10 000 Syriens,

Les minorités en Syrie

Sur 25 millions d’habitants de Syrie,

  • les Alaouites représentent 4,5 millions,
  • les Druzes sont un million,
  • les chrétiens de différentes obédiences 2,3 millions,
  • les Kurdes deux millions.
  • Il y a aussi cent mille Arméniens.
  • Les Juifs qui étaient encore 30 000 en 1948 ne sont plus que quatre.

Ahmed Al-Sharaa, le chef de HTS et président auto-proclamé de la Syrie, a prononcé un discours à la mosquée des Omeyyades, promettant la « coexistence » et « l’acceptation de la diversité ».

Cependant, dans les mois qui ont suivi, la gouvernance de HTS n’a apporté rien d’autre qu’oppression systématique, tortures, massacres et souffrances aux peuples de Syrie.

Pour les musulmans sunnites5, les Alaouites et les Druzes sont des hérétiques.

On peut lire sur Islamweb :

« Les Druzes et les Alaouites sont des mécréants. L’unanimité des oulémas l’affirme. Il est interdit de manger de leur viande qui n’est pas hallal et d’épouser leurs femmes. Il ne leur est même pas permis de payer la djizya qui ferait d’eux des dhimmis. Ce sont des apostats qui ont renié l’Islam. Ils ne sont ni musulmans, ni juifs, ni chrétiens, ne reconnaissent ni l’obligation des cinq prières, ni l’obligation du jeûne du mois de Ramadan, ni l’obligation du Hadj, ni même l’interdiction de boire de l’alcool. Leur objectif disent-ils est de détruire et d’anéantir l’Islam et pour cela ils s’allient à tous ceux qui envahissent les terres d’Islam. »

HTS accuse les Alaouites les Druzes les Chrétiens et les Kurdes d’être des opposants au régime.

Ceux-ci victimes de massacres, de tortures et d’enlèvements, accusent HTS de perpétrer un génocide.

Une fédération des États dhimmis ?

Dans les archives de Léon Blum6, on a trouvé une lettre de Souleiman el Assad, le grand-père de Bachar de 1936 :

Il prévoyait déjà le massacre des minorités par les musulmans et il souhaitait une alliance avec les Juifs de Palestine.

De tous les nouveaux États qui auraient pu voir le jour au Proche Orient, seuls ont existé Israël, la Jordanie et l’Irak qui dépendaient du mandat britannique.

Du côté du mandat français, Alaouites, Druzes, Maronites et Kurdes se sont vu déposséder des territoires auxquels ils étaient attachés.

Ces peuples qui revendiquent toujours leur autonomie sont agressés par les organisations terroristes de l’Islam conquérant, les djihadistes de Daech, l’État islamique, Al Qaïda, le Hamas et les Frères Musulmans, etc.

On discute de solution à un ou deux États en Israël et Palestine. Ceux qui ont la parole sont ceux qui ne connaissent rien ou ne comprennent rien. Ils se contentent de répéter à l’envi les clichés, les amalgames que répandent les aspirants dictateurs guidés par la volonté d’éliminer les minorités ne partageant pas leur radicalité religieuse.

Des tribus et des clans sont depuis des lustres les habitants de cette région qu’on appelle Proche-Orient. Ils résistent à la dictature des djihadistes. On le voit aujourd’hui au travers des manifestations à Gaza contre le Hamas.

La communauté internationale se mobilise en faveur de l’État palestinien en guerre contre les Juifs.

Elle ferait mieux de rendre justice aux peuples considérés comme dhimmis, spoliés par la colonisation française et persécutés aujourd’hui par l’Islam conquérant.

Si la France, en grande partie responsable de l’instabilité du Proche-Orient, se préoccupait réellement des droits de l’homme,

– elle s’opposerait aux guerres de religion ;

– elle cesserait de soutenir les dictatures ;

– elle tiendrait compte des minorités du Proche-Orient ;

– elle œuvrerait pour obtenir une autonomie des peuples,

… plutôt que de soutenir le Hamas, les Frères Musulmans dont le projet, affirmé dans leur charte, est d’asservir l’Occident, d’imposer la charia et de détruire Israël. KF♦

Klod Frydman, MABATIM.INFO


1 Les dhimmis sont les sujets non musulmans d’un État musulman. Ils ont un statut discriminatoire qui leur impose entre autres de payer un impôt appelé djizya pour avoir le droit de vivre.

2 Hayat Tahrir al-Cham (HTS) est un groupe armé désigné comme organisation terroriste par le Conseil de sécurité des Nations Unies. Il s’est imposé comme la force dominante en Syrie, après avoir provoqué la chute du régime de Bachar Al-Assad. (ONU info)

3 Le terme millet désignait essentiellement les dhimmis, monothéistes tolérés considérés comme les gens du livre.

4 Joseph Kessel, « En Syrie » P.14.

5 https://www.islamweb.net/fr/fatwa/199207/Les-Alaouites-sont-ils-musulmans-

6 Mediapart : https://blogs.mediapart.fr/danyves/blog/290116/une-lettre-du-grand-pere-d-assad-leon-blum-de-1936-prevoyait-déjà-le-massacre-des-minorites-par-les-mus


En savoir plus sur MABATIM.INFO

Abonnez-vous pour recevoir les derniers articles par e-mail.

2 commentaires

Laisser un commentaire. Il sera visible dès sa validation.