Soft Power et échecs d’Israel

par Richard Prasquier,
[29 mai 2025]

Le décès de Joseph Nye, y a deux semaines, est passé inaperçu dans notre pays. Il était considéré aux États-Unis comme l’un des plus influents politistes de son temps. Il avait théorisé le concept de « soft power », suivant lequel dans le monde moderne la puissance militaire n’était pas tout, car la puissance américaine reposait aussi sur l’attraction qu’exerçaient dans le monde son cinéma, sa musique, ses universités, ses promesses informatiques et ses valeurs démocratiques.

Son livre publié en 1990 ouvrait une décennie d’illusions enchantées, celle de la libération des pays sous tutelle communiste, celle des espoirs de paix au Proche Orient, celle de la fin de l’histoire sous couvert de la toute puissance américaine et son modèle apparemment irrésistible de démocratie libérale.

Nous avons beaucoup déchanté…

C’est au Qatar qu’est aujourd’hui l’adresse du soft power islamiste, ce pays minuscule et richissime qui a su attirer chez lui une coupe du monde aberrante sur le plan éthique et écologique, ce sponsor bienveillant et intéressé de clubs sportifs, de leaders d’opinion, d’agences d’information, d’universités occidentales prestigieuses ou de politiciens parmi lesquels se détache aujourd’hui un Président des États-Unis en personne. Ce pays finance aussi d’innombrables petites mains venant porter sur les campus, les mosquées et les réseaux sociaux la parole des Frères Musulmans, dont le Hamas est aujourd’hui un brillant représentant et dont l’imam Qaradawi, en résidence à Doha et récemment décédé, se distinguait par sa violence antisémite tout en étant largement présenté comme un apôtre du « Vivre ensemble ».

À l’époque des réseaux sociaux, de l’information instantanée et de la post-vérité, le soft power, c’est avant tout la maîtrise du discours.

La bataille que mène Israël contre le Hamas est très difficile. Nous espérons qu’il va la gagner et que ce faisant, il va sauver les otages.

Mais la guerre des mots qui double cette guerre des armes, la guerre du soft power, Israël semble l’avoir perdue et rarement cette défaite a été aussi patente que ces dernières semaines.

La défaite verbale la plus grave, concerne le mot génocide.

Quand, en décembre 2023, l’Afrique du Sud lança à la Cour internationale de Justice une requête prétendant qu’Israël commettait un génocide, cette accusation paraissait grotesque. On a d’ailleurs appris plus tard, par des travaux d’instituts de recherche, que l’Afrique du Sud alors en débâcle économique, avait reçu des aides financières avant le dépôt de sa plainte, qui aurait été coordonnée avec l’Iran et le Qatar. La caractéristique d’intentionnalité, indispensable à la notion juridique de génocide, ne reposait que sur deux ou trois déclarations de responsables israéliens, parmi lesquels le Président Herzog, un modéré peu suspect de nourrir des intentions exterminatrices, des déclarations banales prononcées sous le coup de l’émotion suscitée par les atrocités du 7 octobre.

Mais les juges de la CIJ, nommés en fonction d’équilibres politiques internationaux identiques à ceux de l’ONU, ne voulaient pas paraître se désintéresser des Gazaouis bombardés. Ils ont préféré ne pas rejeter la requête, et ont différé leur jugement à plus tard, en assortissant leur décision de préconisations à Israël pour ne pas rendre plus plausible l’accusation, en particulier de laisser passer une aide alimentaire.

Ce fut fait, mais comme la CIJ n’avait pas explicitement rejeté l’accusation de génocide, celle-ci a pu prospérer et s’est indûment parée de l’autorité de cette instance internationale de référence.

Ceux qui ont été au Rwanda savent ce qu’est un génocide

Mais accuser Israël de génocide, c’est aussi retirer aux Juifs le bénéfice moral d’avoir été les victimes de la Shoah.

Le génocidé génocideur, l’image semble titiller certaines consciences…

Le langage, a écrit Bourdieu, est un champ de luttes et les mots y sont investis d’un capital symbolique.

Même si rien, en dehors de quelques remarques particulièrement débiles et répugnantes de quelques députés de la coalition au pouvoir en Israël, ne vient étayer une volonté de génocide, le mot a fini par se banaliser à l’égard d’Israel. Goebbels avait dit qu’un mensonge suffisamment répété devient une vérité. Israël, est désormais accusé de génocide comme si c’était une évidence et le journaliste Gilles Bouleau qui interroge Emmanuel Macron en est tellement convaincu qu’il s’étonne que celui-ci laisse la réponse aux historiens…

Et pourtant, il s’agit d’un mensonge particulièrement éhonté……

Une autre défaite majeure concerne l’accusation d’affamer les Gazaouis.

Le spectre d’une famine imminente a été lancé à l’ONU dès les premières semaines de la guerre, notamment par le secrétaire général António Guterres. Toute association humanitaire qui aurait apporté des nuances aurait été qualifiée de sioniste, un terme déshonorant qui interdit de faire carrière à l’ONU.

Il y a vingt ans, Agnès Calamard postait un tweet prétendant que Shimon Peres avait reconnu que Israël avait assassiné Arafat. Dans son interview au New York Times, le Président israélien avait dit exactement le contraire. Cette diffamation n’a pas empêché la jeune femme de devenir Secrétaire Générale d’Amnesty International, avec l’objectivité qu’on imagine……

Il y a une semaine, Tom Fletcher, sous-secrétaire général des Nations unies aux affaires humanitaires, déclare à la BBC que

14 000 bébés vont mourir dans les 48 h si l’ONU ne leur apporte pas le lait dont ils ont besoin.

Le rapport sur lequel il s’appuyait faisait état d’un risque de dénutrition mortelle au bout d’un an si la situation alimentaire continuait. Un an, c’est trop long, 48 h, cela imprime plus les esprits.

Il en est de même des photos d’une petite fille turque mourant de faim et d’un enfant palestinien décharné atteint de mucoviscidose circulant comme preuves de la dénutrition à Gaza. C’est probablement ce que à l’époque de l’enfant al-Durra, l’inénarrable Charles Enderlin appelait la vérité du contexte, c’est-à-dire en clair, un mensonge avec de bonnes intentions…

Les services israéliens spécialisés mettent en place un nouveau système de distribution alimentaire qui exclut à peu près les services de l’ONU qui, évidemment, le vitupèrent d’avance. Mais les tares de l’ancien système étaient patentes, les cargaisons étant souvent accaparées soit par le Hamas soit par des gangs locaux et revendues à des prix exorbitants ou simplement stockées. Les quantités alimentaires qu’Israël a laissé entrer jusqu’au 2 mars représentaient environ 1800 tonnes par jour, c’est-à-dire suffisamment de calories pour éviter la famine de la population de Gaza, d’autant que la fourniture de produits précuits permet de surmonter le problème des manques de combustible. Il s’agit d’aliments non diversifiés, céréales, légumineuses et huile, mais la situation est incomparable avec celle qui existe au Soudan et qui ne mobilise aucunement le monde.

No Jews, no news……

Cela ne signifie évidemment pas qu’il n’y a pas eu de cas de détresse alimentaire depuis que le blocus avait été établi, que la situation des Gazaouis n’est pas globalement dramatique et que tous les services israéliens ont mis un enthousiasme débordant à véhiculer l’aide alimentaire. C’est la guerre…

Les images des cérémonies de remise des otages ne montrent cependant pas de participants ressemblant aux prisonniers de Buchenwald et le Hamas, qui a une responsabilité majeure dans les difficultés de distribution alimentaire, n’aurait pas manqué de les diffuser si de telles images existaient.

Il y a encore en Israël de rares appels à continuer à refuser l’aide alimentaire à Gaza tant que les otages ne sont pas rendus, alors que la période de blocus, si elle était prolongée, pourrait entraîner une situation vraiment catastrophique, mais Smotrich lui-même a salué le lancement de cette aide. En tout cas, sur la durée du conflit, on n’a pas le droit de dire qu’Israël a affamé la population de Gaza.

Mais la manipulation narrative, élément clé du soft power, est une arme de guerre redoutable contre laquelle Israël, au long de ces cinquante dernières années, n’a pas su fabriquer de Dôme de Fer efficace…… RP♦

Richard Prasquier, richard.prasquier.com


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3 commentaires

  1. Dans ce conflit, il n’y a évidemment pas génocide si ce n’est une volonté du Hamas de génocider les Juifs israéliens. Il n’y a même pas de massacre à Gaza, uniquement des terroristes tués par Tsahal et des civils gazaouis morts en raison de leur utilisation par le Hamas comme boucliers humains. Israël a livré suffisamment de nourriture à Gaza; si certains en manquent c’ est dû aux accaparements du Hamas. Israël n’a pas perdu la guerre du soft power , ce sont la plupart des politiciens, journalistes, enseignants,…. des pays occidentaux qui ont perdu la tête et qui pour des raisons diverses se font les complices et/ou défenseurs des nazislamistes comme certains de leurs ancêtres ont été complices des nazis hitlériens.

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  2. Cher Monsieur Prasquier,

    Votre article sur le soft power et la guerre des mots est très pertinent et, hélas, très réaliste. Vous avez le grand mérite de mettre le doigt sur une chose ignoble, absolument tragique pour nous, Juifs, à laquelle nous ne pensions quasi plus depuis l’inimaginable enfer de la Shoah auquel nous avions été seulement quelques-uns à échapper, bien que très douloureusement. Après le choc de la découverte en 1945 par les Alliés des squelettes ambulants lors de la libération des camps de concentration allemands (des camps d’extermination, comme Treblinka recouvert de terre et de plantations, il ne restait quasi rien), nous avions été nombreux, dont moi-même, à croire pendant des décennies que l’antisémitisme était désormais en grande partie enterré. Le simple fait d’avoir survécu à l’enfer, même pour les malheureux qui ont dû le subir, était déjà une grande chance. Pour les Juifs du monde occidental, croire vivre de surcroît dans des pays enfin débarrassés d’un obscurantisme meurtrier entretenu pendant près de deux millénaires, c’était vraiment trop de chance.

    En réalité, mais nous ne le savions pas, c’était trop beau pour être vrai. Pour utiliser votre expression mais bien avant 1990, j’avoue que personnellement je me berçais d’illusions enchantées, bien que parfois ce bonheur me soit apparu très injuste en pensant aux dizaines de générations juives précédentes. Mais la revanche des antisémites était en route depuis bien avant 1990 et la plupart d’entre nous ne l’ont pas vue venir. Pire : beaucoup d’entre nous se sont obstinés à ne pas la voir, certains jusqu’à aujourd’hui, malgré des proportions devenues rapidement comparables, peut-être, à celles des armées romaines d’il y a deux mille ans, donc extrêmement dangereuses pour notre survie.

    Le message apporté le 7 octobre 2023 par l’envahisseur palestinien (désolé pour le qualificatif : voulez-vous que je dise martien ?) est clair : Juifs, à juste titre on ne vous a jamais laissés tranquilles dans votre Diaspora, vous ne serez désormais jamais tranquilles non plus dans ce que vous appelez votre Etat, qui n’en a plus pour longtemps. La petite armée israélienne se bat courageusement contre la réincarnation de l’armée allemande (à nouveau désolé pour le qualificatif mais je n’y peux rien) et quasi certainement tous les Juifs d’Israël et de Diaspora espèrent qu’elle va gagner. Il est peut-être impossible d’imaginer pire que les nazis et que les tortionnaires et preneurs d’otages du Hamas, mais le parti-pris de beaucoup de démocraties occidentales de complaisance sinon de soutien à la barbarie la plus extrême est aussi tragique, probablement encore pire.

    La guerre des mots avec l’accusation de commettre un génocide et d’affamer Gaza (une nouvelle « Passion » ?) est, elle, perdue par Israël quels que puissent être les milliers de camions d’approvisionnement. Contre cette abominable calomnie, il n’y a pas de Dôme de Fer et ce n’est pas par manque de compétence. Cette guerre-là, quoi qu’on fasse, il est impossible pour les Juifs de la gagner. Pourquoi ? On ne peut s’empêcher de comparer les douze années du pouvoir nazi avec non pas les douze ans mais les dix-sept siècles de diabolisation et d’enseignement de la haine perpétrés jour après jour par l’institution officielle de l’Eglise, depuis une époque où l’Islam n’existait pas encore.

    Ces presque deux millénaires ont rendu possible la Shoah généralisée en Europe et même brièvement en Afrique du Nord, et ils déterminent pour une part immense ce qui se passe aujourd’hui en Europe et en Amérique du Nord. Ne pas le voir ou fermer carrément les yeux condamne à ne rien comprendre à la situation actuelle des Juifs, de tous les Juifs. Dans l’Etat d’Israël, il faut absolument et de manière urgente que les terribles dissensions actuelles ne mènent pas à la catastrophe juive d’il y a deux mille ans face à l’hyperpuissance romaine, dont nous payons les conséquences jusqu’à nos jours.

    René Pailloucq

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  3. Les Palestiniens et les ONG doivent quitter Israel, y compris les « Territoires OCCUPES » et si les chiens aboient la Caravane passera. surtout si cela ne coûte rien aux Arabes et aux Américains.

    Après avoir nourri les Chiens de Gaza, ceux ci dénoncent l’Occupation de 80 ans en guise de remerciements. Réagir avec retard se paye cher!

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