L’autre voie du Proche-Orient : quand les rails défient les missiles

Par Simone Rodan,
[29 août 2025]

Septembre 2023. Quelques semaines avant que le Proche-Orient ne replonge dans la nuit du 7 octobre, une poignée de dirigeants se réunissait. L’Inde, les États-Unis, l’Arabie saoudite, les Émirats, Israël, la France, l’Allemagne, l’Italie et l’Union européenne annonçaient un projet démesuré :
Le corridor économique Inde–Moyen-Orient–Europe, IMEC.

6 400 kilomètres d’infrastructures, mais surtout une idée : dessiner un autre avenir que celui des guerres et des ressentiments.

– Des rails traversant la péninsule arabique.

– Des ports modernisés du Golfe à la Méditerranée.

– Des câbles pour transporter données et électricité.

– Des pipelines pour l’hydrogène.

– Une route maritime reliant l’Indo-Pacifique à l’Europe.

IMEC promettait de réduire de 40 % les délais d’acheminement, d’économiser des milliards, de diversifier les chaînes logistiques mondiales, d’offrir une alternative au canal de Suez. Bref : un antidote au chaos.

Puis le 7 octobre est arrivé. Gaza en flammes, missiles du Liban, commerce paralysé en mer Rouge par les Houthis.

Le Moyen-Orient ramené à sa caricature : exporter la mort. Beaucoup ont enterré IMEC avec les victimes israéliennes.

Erreur de diagnostic. Dans cette région, le scepticisme est toujours le prélude à la transformation.

Souvenons-nous des Accords d’Abraham.

Avant 2020, les chancelleries européennes les balayaient d’un haussement d’épaules. On répétait, comme une prière mécanique, qu’aucune paix n’était possible sans Ramallah.

On ne voyait pas venir l’impensable : des Émiratis à Tel-Aviv, des Israéliens en vacances à Dubaï, des milliards échangés, des étudiants voyageant d’un pays à l’autre.

L’Europe n’a rien vu venir. Les sceptiques se sont trompés. Les réalistes ont été ridiculisés.

IMEC pourrait répéter ce scénario. Mais avec une différence : cette fois, l’Europe ne regarde pas ailleurs. Elle s’implique.

Des envoyés spéciaux ont été nommés. Bruxelles a intégré IMEC dans son grand réseau trans européen de transport. Les ports de Marseille, Trieste, Le Pirée se préparent à devenir les nouvelles portes de l’Indo-Pacifique.

Contrairement aux Accords d’Abraham, méprisés comme une curiosité, IMEC est perçu comme vital.

Et il l’est.

Pour l’Inde, c’est la chance d’arracher une part de souveraineté logistique face à la Chine.

Pour les États du Golfe, une diversification enfin concrète, au-delà du pétrole.

Pour Israël, la preuve que malgré le Hamas et le Hezbollah, malgré Téhéran, l’intégration régionale est possible.

Pour l’Europe, une urgence : sécuriser ses approvisionnements, desserrer l’étau des dépendances autoritaires, aligner transition verte et numérique sur un projet continental.

Ce n’est pas une utopie. Les chiffres sont là : plus d’un million et demi de conteneurs pourraient transiter chaque année par IMEC, deux fois plus à terme. Les temps de trajet seraient réduits de douze jours. Les économies se chiffreraient en milliards. Le coût minimal pour mettre la machine en route : cinq milliards – une goutte d’eau comparée à l’enjeu.

IMEC, ce sont aussi des câbles sous-marins, des réseaux électriques intégrés, des data centers connectés entre Inde, Golfe et Europe.

Une alternative claire aux routes chinoises, centralisées, opaques, souvent synonymes d’endettement. Ici, au contraire, un projet ouvert, divers, porté par plusieurs nations.

Rien n’est gagné. Les obstacles sont connus : lenteurs administratives, barrières douanières, risques politiques.

Mais la condition du succès est limpide : créer une gouvernance solide, mêlant volonté politique et implication du privé.

Les États-Unis, qui présideront le G20 en 2026, ont un rôle clé. L’Europe doit s’en saisir au G7.

Parce qu’IMEC n’est pas qu’une infrastructure. C’est un récit.

– Un récit qui dit que le Moyen-Orient n’est pas condamné à n’être qu’un champ de ruines.

– Qu’il peut devenir un réseau de ponts plutôt qu’un patchwork de murs.

– Qu’il est possible de transporter non seulement des marchandises mais des idées, de la confiance, de l’avenir.

C’est précisément pour cela que les ennemis de la paix veulent l’enterrer.

Hamas, Téhéran, les extrémistes savent qu’un corridor, une ligne de chemin de fer, un port modernisé, sont autant de menaces pour leur pouvoir. Ils vivent du chaos. Ils craignent la normalisation, parce qu’elle prouve que la coopération est plus rentable que la haine.

À l’inverse, certains en Occident, si prompts à brandir la reconnaissance d’un État palestinien sans contenu, devraient méditer cette leçon :

La paix ne se construit pas avec des symboles creux. Elle se construit avec des projets qui transforment les vies.

En 2025, les signataires d’IMEC devront se revoir. Pas pour une photo. Pour un engagement :

Continuer malgré les bombes. Prouver qu’au cœur du chaos, on peut encore choisir la vie.

Les Accords d’Abraham ont démontré que la normalisation paye en commerce, en énergie, en emplois, en échanges humains. IMEC peut porter cet esprit à l’échelle de trois continents.

Le Moyen-Orient a trop longtemps incarné l’immobilisme et la haine. IMEC offre un autre récit :

Celui des corridors plutôt que des barbelés, de l’intégration plutôt que de l’isolement, de la prospérité plutôt que du désespoir. SR

Simone Rodan, Simone’s substack

Managing Director, American Jewish Committee Europe


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2 commentaires

  1. IMEC sera un concurrent du Canal de Suez ; cela explique sans doute la livraison d’armes au Hamas via l’Egypte.

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  2. la region a ete une plate forme d echange avec les routes des caravanes , il est possible de visiter en Israel les traces de ces voies ancestrales qui reliaient l egypte a l inde .

    pourquoi pas demain ?

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