Israël : la guerre intérieure

Par Yves Mamou,
[6 novembre 2025]

En Israël, le pouvoir, le vrai, n’est pas dans le bureau du Premier ministre. Il est dans l’armée et dans la magistrature. Mais cela est en train de changer.

Quand le Hamas a attaqué Israël, le 7 octobre 2023, Benjamin Netanyahou, premier ministre, était déjà sur la défensive. L’armée et la magistrature s’étaient liguées contre lui.
S’ajoutait maintenant un autre problème plus existentiel encore, défaire le Hamas, le Hezbollah et l’Iran.

Deux ans après, en novembre 2025, le Hamas est toujours là, mais les positions politiques de l’armée et de la justice sont – au plan intérieur – singulièrement affaiblies.

Netanyahou reprend la main sur l’armée

Début 2023, quand le gouvernement Netanyahou a entrepris de voter des lois destinées à recadrer le pouvoir proliférant de la Cour suprême, de violentes manifestations ont éclaté.

Semaine après semaine, des mois durant, la gauche a envahi la rue, entretenant un climat quasi insurrectionnel contre le gouvernement qu’elle cherchait à renverser, l’accusant d’être aux mains des ultra-religieux et de l’extrême droite.

Parmi les manifestants figuraient des milliers de réservistes qui estimaient la « démocratie » en danger. Ces militaires de réserve ne voulaient plus, disaient-ils, « servir un régime dictatorial » :

« Si l’État manque à ses obligations, alors les réservistes ne se sentiront pas tenus de respecter les leurs. »

En principe, la hiérarchie militaire aurait dû sévir. Comme l’explique l’Institut d’études de sécurité nationale (INSS) :

« les Forces de défense israéliennes sont soumises au pouvoir politique et n’ont pas vocation à jouer les gardiennes de la démocratie ; […] l’armée ne définit ni la démocratie ni les valeurs de la nation ; celles-ci sont déterminées par les citoyens, par l’intermédiaire de leurs représentants élus lors d’élections libres et équitables à la Knesset. »

Mais la hiérarchie militaire n’a pas bougé le petit doigt ni rappelé les réservistes à l’ordre.

Lorsque le Hamas a lancé son attaque meurtrière sur Israël, le 7 octobre 2023, cette armée toute puissante au plan intérieur a failli. Elle n’était pas sur le terrain. Elle a mis des heures à se mobiliser pour repousser les assaillants – nul ne sait encore pourquoi –. Et les services de renseignement civils et militaires, eux aussi tout-puissants au plan intérieur, et eux aussi hostiles au gouvernement, se sont retrouvés sur la sellette. Pourquoi n’ont-ils rien vu venir ?

Dans l’urgence de lutter contre le Hamas, mais aussi le Hezbollah et l’Iran, Benjamin Netanyahou s’est focalisé sur la guerre. Il a laissé les dirigeants militaires en place. Mais progressivement, au cours de ces deux années de guerre, il a modifié les organigrammes :

— En avril 2024, Aharon Haliva, chef des renseignements militaires, a été limogé. Il a reconnu sa responsabilité dans le désastre du 7 octobre ;

— En mai 2024, Yoram Hémo, membre du Conseil national de sécurité, a quitté ses fonctions. Il s’était montré critique sur la gestion de la guerre contre le Hamas ;

— En juin 2024, Netanyahou a dissous le cabinet de guerre après le départ de Benny Gantz et Gaby Eizenkot, deux généraux d’opposition. Leur départ a rendu la structure inutile et surtout lui a laissé les mains libres ;

— En juillet 2024, Yehuda Fuchs, commandant de la région Centre, a quitté ses fonctions. Il était connu pour s’être opposé violemment aux implantations juives en Judée-Samarie ;

— En novembre 2024, le ministre de la Défense Yoav Gallant est limogé. Cet ex-militaire s’était opposé publiquement à Netanyahou au moment de la réforme judiciaire. Puis, après le déclenchement de la guerre contre le Hamas, Gallant, alors ministre de la Défense, s’est fait le porte-parole de l’état-major : il a réclamé un plan pour l’après-guerre (que Netanyahou ne voulait pas donner) et s’est opposé publiquement « à tout contrôle militaire et civil israélien » sur la bande de Gaza. La coupe était pleine : Netanyahou l’a exclu du gouvernement ;

— En mars 2025, Herzi Halévy, chef des armées et opposant notoire à Netanyahou, a quitté ses fonctions. Il a cédé son poste à Eyal Zamir, une militaire moins hostile à Netanyahou ;

— En mars 2025, Eyal Zamir a lui-même mis un terme aux fonctions de Daniel Hagari, porte-parole de l’armée. Ce dernier n’a pas été promu général comme prévu et a même dû quitter l’armée. Daniel Hagari avait déclaré publiquement que le but de guerre de Netanyahou – détruire le Hamas – était « de la poudre aux yeux […]. Le Hamas est une idéologie, nous ne pouvons pas éliminer une idéologie. » Un mois auparavant, le même Hagari avait déclaré que « pour éliminer le Hamas, il fallait une alternative » ;

— En mars 2025, Benjamin Netanyahou a fait voter la révocation de Ronen Bar, chef du Shin Bet, des services de renseignement intérieurs. Motif : « manque de confiance ». Ce dernier, opposé à la politique de Netanyahou, portait la responsabilité de n’avoir pas anticipé la guerre déclenchée par le Hamas, le 7 octobre. Mais la Cour suprême a suspendu la décision et interdit au Premier ministre de nommer un successeur. Après des semaines de tension entre l’exécutif et le judiciaire, fin avril, Ronen Bar a annonce sa « démission » ;

— En octobre 2025, Tzachi Hanegbi, chef du Conseil national de sécurité, a été limogé. C’est un proche de Netanyahou qui lui succède ;

— En octobre 2025, il apparaît que le ministre de la Défense, Israël Katz, a retardé les nominations au sein de l’armée. Traditionnellement, Tsahal nomme ses propres chefs. Désormais, le pouvoir politique montre qu’il n’entend pas laisser des coteries et des clans se mettre en place au sein de l’armée.

Il n’est pas interdit de penser que
Tsahal a cessé d’être un État dans l’État.

Affaire Sde Teiman ou la trahison des élites

L’affaire Sde Teiman offre à Benjamin Netanyahou une occasion en or de réduire le pouvoir de cet autre État dans l’État qu’est la magistrature.

À l’été 2024, Yifat Tomer-Yerushalmi, procureur militaire, met en examen des soldats de Tsahal qu’elle accuse de violences et même de viol sur un détenu palestinien à la prison de Sde Teiman. Les soldats sont incarcérés en attente de leur jugement. Quelques jours après, le journaliste Guy Peleg diffuse sur la chaîne de télévision israélienne 12 une vidéo, tout droit sortie du dossier d’instruction. Ce montage vidéo, qui ne montre rien de ce qu’il est censé montrer – notamment le viol d’un détenu du Hamas par des gardiens israéliens – provoque cependant un scandale national et international. Israël, qui accusait le Hamas d’être un organisme tortionnaire, se retrouve lui aussi cloué au pilori.

Mais les soldats incriminés nient les accusations portées contre eux. Et leurs avocats réclament à cor et à cri une enquête sur la fuite de la vidéo. La presse de droite s’y met aussi. Comme le fait remarquer Maître Mangeclous, un avocat israélien francophone très suivi sur X (ex-Twitter) :

« Tous les jours, elle (la presse de droite) répète la même question :qui a transmis à Guy Peleg ce film qui a fait tant de mal à l’image d’Israël ? ».

Yifat Tomer-Yerushalmi, procureur militaire qui a mis les soldats en examen, affirme mener l’enquête. Son adjoint a expliqué aux députés qu’une enquête poussée n’avait pas permis de déterminer l’origine de la fuite. Le coupable demeurait introuvable !

Mais début novembre, patatras !!! Une juriste du bureau de la procureure militaire a reconnu, après passage au détecteur de mensonges, qu’elle était à l’origine de la fuite de la vidéo. Pire, elle a aussi expliqué avoir agi ainsi à la demande de la procureure militaire Yifat Tomer-Yerushalmi, la même qui avait juré, la main sur le cœur – notamment devant les juges de la Cour suprême – qu’elle ignorait l’origine de la fuite.

Mise en demeure de démissionner, Tomer-Yerushalmi est aujourd’hui mise en examen. Laissée en liberté, elle a eu le temps d’égarer son portable, lequel aurait peut-être permis d’incriminer Gali Baharav-Miara, conseillère juridique du gouvernement, qui est en guerre ouverte elle aussi, avec le Premier ministre d’Israël.

Entre-temps, le prisonnier palestinien « violé » a été renvoyé à Gaza dans le cadre d’un échange de prisonniers. Autrement dit, le « délit » a disparu, et ce dossier judiciaire monté contre les soldats pourrait être rapidement abandonné.

Cette affaire Sde Teiman a provoqué une onde de choc au sein de la population israélienne. Voir des généraux et des procureurs monter des coups tordus, mentir, se couvrir les uns les autres pour mieux persécuter des soldats en pleine guerre, a provoqué une violente colère.

Du coup, aujourd’hui, le Hamas apparaît s’en sortir mieux face à Netanyahou que l’armée et l’appareil judiciaire. Le gouvernement, qui avait échoué, le 4 août 2025, à se débarrasser de la conseillère juridique du gouvernement, Gali Baharav-Miara, dispose désormais d’une fenêtre de tir plus favorable. En effet, s’il apparaît qu’elle a couvert l’affaire Sde Teiman, alors le gouvernement aura une raison supplémentaire de plaider la défiance.

La vraie guerre d’Israël commence maintenant

/… YM

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2 commentaires

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