par Richard Prasquier,
[18 décembre 2025]

De Medellín où nous nous trouvons avec une grande partie de la famille la plus proche – France, Israël, États-Unis – pour célébrer la joie du mariage d’un de nos fils, j’avais la ferme intention de ne pas écrire ma chronique hebdomadaire. Je voulais être présent à ma famille et sortir du prisme de notre actualité pour connaître la Colombie, ce grand pays latino-américain qui dans le grand public n’évoque en général que le mot de cocaïne.
Mais l’allumage du premier soir de Hanoukka avait lieu ici presque 24 heures après celui de Sydney, chacun connaissait les nouvelles et il ne suffisait pas de rappeler la symbolique de la lumière, le miracle de la fiole et les exploits des Macchabées contre les troupes d’Antiochus, ce roi séleucide qui porte le même nom que la grande province colombienne de Antioquia dont Medellín est la capitale.
L’actualité s’imposait massivement
Beaucoup des lecteurs de cette chronique ont suivi le massacre de Bondi avec une plus grande minutie que moi. Beaucoup, comme moi, n’en ont probablement pas été surpris. La haine contre les Juifs est devenue dans le monde une addiction puissante et c’est peut-être de trafic de drogue qu’on devrait accuser ceux qui, tel Anthony Albanese, le Premier Ministre australien, l’ont laissée se développer impunément.
J’ai un souvenir très fort d’un voyage effectué il y a une dizaine d’années sur la demande du Keren Hayessod auprès de la communauté juive australienne. Il s’agissait de leur expliquer la situation en France et la réémergence violente d’un antisémitisme que certains Juifs australiens, originaires d’Europe centrale, avaient fui après la guerre pour s’éloigner le plus loin possible de ses sources. Ils n’arrivaient pas à comprendre. ce qui se passait en France. Les Juifs australiens semblaient la synthèse même d’un judaïsme assumé, d’un sionisme sans équivoque et d’une intégration parfaite dans un pays qui était sur la scène internationale l’un des plus fermes soutiens d’Israel.
Le libéral John Howard, le travailliste Kevin Rudd, la travailliste Julia Gillard, le libéral Tony Abbott, le.libéral Malcolm Turnbull, le libéral Scott Morrison : ce sont les Premiers mInistres australiens de 1996 jusqu’en 2022.
Ils ont tous, de façon variable, mais pour certains de façon très explicite, été des alliés en lesquels Israël avait toute confiance.
Tous, exemple unique dans le monde, ont signé au lendemain du 7 octobre un communiqué appelant à lutter contre l’antisémitisme.
En mai 2022, le parti travailliste a remporté les élections législatives aux dépens de la coalition libérale nationale, avec un programme axé sur le climat et sur le coût de la vie. Son chef, Anthony Albanese (aucun lien familial avec la sinistre Francesca), appartenant à l’aile gauche du parti, est devenu Premier Ministre :
Il a immédiatement infléchi l’orientation pro-israélienne de son prédécesseur Scott Morrisonet après octobre 2023 sans manifester lui-même de débordement antisémite à la Corbyn, a favorisé dans son pays ce que la sociologue Eva Illouz a appelé« une haine vertueuse » contre Israël.
Dans ce pays que j’avais trouvé exemplaire quelques années auparavant les manifestations antisémites ont commencé immédiatement après le 7 octobre alors que l’armée israélienne n’avait pas mis un pied à Gaza. Le 9 octobre 2023 une manifestation à Sydney où on entend « Fuck the Jews » et « Globalize the Intifada », le maître mot de la situation actuelle dans le monde.
Ensuite les actes antisémites explosent, attaques contre les lieux juifs, harcèlements, discours de haine sur les campus. Les Juifs se plaignent de la surdité du gouvernement et d’une protection policière insuffisante. Invitée elle aussi par la communauté juive d’Australie, la journaliste britannique Melanie Philipps, pourtant habituée à Londres aux manifestations contre Israël, est stupéfaite de rencontrer une communauté en état de siège.
Y a-t-il chez les jeunes Australiens, car comme partout l’élément générationnel est prédominant, un ethos particulier qui facilite cette dérive ? Peut-être. Dans ce pays énorme sans voisins hostiles, éloigné géographiquement des conflits du monde, l’histoire et ses leçons ne sont pas autant à l’ordre du jour que celles de la nature omniprésente. Anthony Albanese et le parti travailliste sont arrivés en 2022 au pouvoir à la suite des « élections du climat » où la mauvaise gestion des incendies massifs par le gouvernement de Scott Morrison (un grand ami d’Israel), a joué un rôle central. Les clones de Greta Thunberg abondent en Australie et on ne peut que se demander pourquoi l’alliance entre les objectifs sociaux des travaillistes et les objectifs climatiques des écologistes produit presque immanquablement en Occident une profonde détestation d’Israel.
Comme si dans le combat pour la nature l’incarnation de l’ennemi par des firmes internationales n’était pas assez mobilisateur et qu’il faille se fabriquer un épouvantail plus prestigieux. Au bourreau fantasmé fait face la victime sacralisée. Les Juifs sont là pour endosser le premier rôle, qu’ils connaissent de longue date, cette fois-ci sous l’avatar sioniste qui ne supprime d’ailleurs pas les précédents déguisements, et les Palestiniens jouent le second, soutenus par une propagande distillée entre autres par les canaux qataris, l’état le moins écologique de la planète. Il y a de plus en Australie dans la défense des Palestiniens comme une façon de se dédouaner de la mauvaise conscience à propos des peuples aborigènes.
Mais la vraie leçon australienne est qu’il suffit d’un changement de majorité, d’une inflexion politique provoquée par des événements qui n’ont rien à voir avec la situation en Israël pour que s’ouvre la boite de Pandore et saute le verrou qui mettait l’antisémitisme à distance…
L’« indolence – pour ne pas dire plus – de M. Albanese à l’égard de la flambée antisémite qui parcourt son pays depuis plus de deux ans est un fait indiscutable et il porte une très lourde responsabilité dans le déclenchement de cette haine. La reconnaissance de la Palestine par le gouvernement australien est-elle pour autant le déclencheur de la tuerie de Bondi ? Évidemment non, quoi qu’en dise Benjamin Netanyahu, pour des raisons purement politiques. Messieurs Akram père et fils se moquaient de cette reconnaissance. Ils ont tiré dans une foule parce qu’ils savaient qu’ils y tueraient beaucoup de Juifs.
Les nouveaux nazis de l’islamisme radical qui ont assassiné entre autres Alex Kleytman, un homme de 87 ans qui avait survécu à la Shoah en Pologne, glaçant symbole de l’évolution du monde, avaient moins à faire des gesticulations politiciennes que des carences sécuritaires qui paraissent indiscutables et dont M. Albanese est in fine le responsable ultime.
Ce qui m’a frappé et que Yves Mamou a parfaitement analysé, c’est que l’origine islamiste du massacre de Juifs a été tue aussi longtemps que possible par de nombreux organes de presse (toujours les mêmes…).
On a su très vite que l’homme, d’un immense courage, qui a désarmé un des tueurs était un musulman. Il avait devant lui le spectacle de la commémoration et savait forcément que les cibles étaient des Juifs. Nous lui devons une immense reconnaissance. Je suis heureux que cet homme soit musulman, car c’est un signe d’espoir pour notre commune humanité. Mais si les tueurs avaient échappé, j’imagine la marée de commentaires qui auraient présenté le massacre comme l’œuvre de nazis contre lesquels un musulman s’était levé pour sauver des Juifs. On a appris plus tard que parmi les victimes il y avait aussi Boris et Sofia Gourman, un couple héroïque de Juifs d’origine russe qui malgré leur âge dépassant la soixantaine ont essayé de désarmer un terroriste et qui furent abattus par lui.
Ce que cet épisode tragique nous confirme, ceux qui ont réfléchi sur les Justes des Nations le savent, c’est qu’il faut toujours dire « des » et jamais « les » en parlant des hommes. Il n’en est pas de même pour les idées.
Certaines peuvent être critiquées mais le nazisme et l’islamisme radical ne relèvent pas du débat d’interprétation et doivent être combattus par tous les moyens.

Mettre le sionisme, mouvement de libération nationale des Juifs, dans la même catégorie relève d’une machiavélique manipulation ou d’une abyssale ignorance.
Des vidéos confirment que Naveed Akram, le terroriste survivant, qu’on a présenté comme un jeune homme discret et timide, fuyant la politique, était un militant islamiste actif. J’ignore si lui et son père étaient manipulés par une puissance étrangère ou s’ils ont décidé d’eux-mêmes de tuer des Juifs pour aller plus vite au Paradis ou pour donner l’exemple à d’autres pour des massacres de Juifs généralisés.
Grande fut la tentation d’attribuer de tels actes à des « loups solitaires » dont il devenait tentant de dire qu’ils n’avaient « rien à voir avec l’Islam ». Ce type d’analyse qui parait aujourd’hui un peu daté a été encore mobilisé pour les derniers assassinats islamistes en France. Les liens entre les assassins de Bondi et Daech ont été dénoncés par les autorités australiennes elles-mêmes, une façon aussi de restreindre la réprobation à une entité unanimement considérée en Occident comme un ennemi à abattre et peut-être de mettre aussi le tapis par contraste sous les mouvements aux conséquences analogues, mais de férocité idéologique moins explicite, tels les Frères Musulmans dans toutes leurs variantes. Quant à l’intervention d’États eux-mêmes, on a déjà oublié que l’Iran est un grand responsable d’attentats dont certains furent particulièrement sanglants.
Ce massacre ouvrira-t-il les yeux sur la dangerosité du terrorisme islamique et sur la nécessité de le combattre sans réserve ? Les exemples passés ne prêtent pas à l’optimisme. Au-delà des paroles martiales, l’histoire de ces cinquante dernières années est remplie de compromissions et de lâchetés, dont la première fut peut-être la mise à l’abri de Abou Daoud, le planificateur des attentats de Munich, dont la France de Giscard refusa l’extradition en Allemagne en 1977.
Il est vraisemblable que la tuerie de Bondi engendrera chez nos concitoyens un sentiment d’écœurement.
– Certains vont tenter de le dissoudre dans une réprobation généralisée, naïve ou complaisante, de tous les actes « racistes ».
– D’autres, plus rares, vont le glorifier de façon plus ou moins codée ou même en attribuer la responsabilité aux « sionistes » eux-mêmes.
Nous connaissons tout cela depuis les attentats du 11 septembre et un nouveau Thierry Meyssan est peut-être déjà en train d’écrire le livre qui en fera l’idole de ceux qui ne « s’en laissent pas conter »…
Mais le risque essentiel est peut-être ailleurs. Lorsqu’une organisation ou un État sont à l’œuvre dans des attentats de cette sorte, leur objectif essentiel est de faire peur à la population tout entière. Or si la peur est parfois mauvaise conseillère quand elle entraîne des réactions extrêmes, elle l’est souvent de façon plus subreptice quand elle conduit au silence, qui peut devenir une forme de collusion.
Lorsque à Medellín, j’ai visité le mémorial aux victimes de la « violencia », cette période de vingt ans qui a fait de cette ville la plus dangereuse du monde jusqu’à la mort de Pablo Escobar en 1993, j’ai été effaré par le nombre et la variété des lieux d’attentats. Pourquoi faire sauter de façon apparemment aveugle des pharmacies, des écoles ou des clubs de sport ?
C’est que les gangs savaient que quand une personne avait publiquement émis des critiques contre eux, même au cours d’une banale conversation, il fallait frapper de façon diffuse les lieux publics que fréquentaient cette personne ou sa famille.
Le but n’était pas de punir, mais de prévenir. Il s’agissait de pointer la personne qui avait émis ces critiques comme responsable en fin de compte de l’attentat qui frappait d’autres personnes, qui « n’y étaient pour rien ».
Raymond Barre avait dit des « Français innocents ». Ce fut probablement un lapsus, mais un lapsus bien signifiant…
C’est là le sens profond de l’expression « généraliser l’Intifada ». Aucun Juif n’est innocent puisqu’il est suspect de soutenir Israël.
Et bientôt chaque non-juif prenant la défense des Juifs sera lui aussi présumé coupable et mis au mieux à l’index.
Le mécanisme a été appliqué dans bien des pays, et pas uniquement contre les Juifs. Les pays totalitaires en ont fait un outil de répression aussi invisible qu’efficace qui a conduit des familles à se désagréger de peur à ne pas être considérées comme complices. Nous voyons peut-être aujourd’hui chez nous les linéaments de cette stratégie dans la hantise de certains à ne pas être considérés comme trop proches des sionistes réprouvés… RP♦

Richard Prasquier, richardprasquier.com
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