
Par Serge Siksik,
[Tel Aviv le 25 décembre 2025]
Il existe des haines qui ressemblent à des orages d’été : violentes, bruyantes, mais passagères ; l’antisémitisme n’appartient pas à cette catégorie. Il n’est pas une crise morale ponctuelle ; il est un diagnostic permanent de l’état du monde.
Chaque fois qu’une civilisation chancelle, qu’une idéologie vacille, qu’une société perd confiance en elle-même, la haine des Juifs ressurgit. Pas comme un hasard, pas comme un accident, mais comme un révélateur.

L’antisémitisme dit la vérité d’une époque : la difficulté des hommes à supporter une limite à leur puissance.
Pour le comprendre, il faut refuser les explications superficielles, psychologiques ou sociologiques. Il faut en descendre aux fondations morales, spirituelles, symboliques.
Quatre questions structurent sa matrice :
- Depuis quand ?
- Contre quoi vise-t-il vraiment ?
- Pourquoi renaît-il toujours – même après Auschwitz ?
- Pourquoi aujourd’hui se concentre-t-il si puissamment dans le monde islamique ?
1. DEPUIS QUAND ?
Depuis qu’Israël existe comme sujet et non comme décor
L’antisémitisme naît dès que le peuple juif apparaît dans l’Histoire non comme folklore, mais comme sujet.
Dans la Bible, la haine de Pharaon n’est liée à aucune faute juive. Il ne reproche rien aux Hébreux… sinon d’exister comme peuple irréductible.
Le scandale n’est pas leur comportement. Le scandale, c’est leur être.
Tout est déjà là : ce qu’on ne supporte pas, c’est un peuple qui refuse d’être dissous dans le grand Tout de l’Empire.
– Avec la Grèce, le conflit devient intellectuel : le monde grec adore la forme, l’intelligible, la raison close ; Israël introduit une Parole venue d’ailleurs, une Loi qui ne surgit pas de la Cité mais la juge, une altérité qui refuse d’être avalée.
– Puis vient Rome, qui ne digère pas un peuple refusant de diviniser l’État.
– Puis le christianisme :
Israël devient ce témoin gênant d’une alliance que l’on voudrait déclarer caduque alors qu’il continue, vivant, debout, indestructible.
Hannah Arendt dira l’essentiel :
« Les Juifs n’ont pas été haïs pour ce qu’ils faisaient, mais pour ce qu’ils étaient. »
Mais il faut aller encore plus loin, plus profond, plus archaïque, plus existentiel.
Le nœud se situe bien avant l’Europe, bien avant l’Église, bien avant la modernité :
– La rivalité symbolique commence avec Ishmaël et Yitshak.
– Non pas deux frères qui se jalousent, mais deux manières d’habiter Dieu.
– Deux compréhensions de la promesse.
– Deux légitimités en tension.
La question est terrible :
- Qui porte vraiment la bénédiction ?
- Qui incarne la continuité d’Alliance ?
- Qui se tient au cœur de l’Histoire ?
Depuis lors, la haine antijuive est le cri des civilisations qui supportent mal qu’un peuple ose dire :
« Nous ne disparaîtrons pas. Nous ne serons pas avalés. Nous continuerons ! »
2. CONTRE QUOI VISE-T-IL VRAIMENT ? Pas contre les Juifs – contre la limite
Regardons les accusations : elles sont contradictoires jusqu’au grotesque.
Les Juifs seraient :
- Trop riches et trop pauvres ;
- Trop visibles et trop cachés ;
- Trop universels et trop communautaires ;
- Trop révolutionnaires et trop conservateurs.

Sartre conclut donc logiquement : « Si le Juif n’existait pas, l’antisémite l’inventerait. »
Ce n’est pas le Juif réel qui engendre la haine, c’est la haine qui fabrique un « Juif imaginaire » pour se justifier.
Mais Sartre reste à la surface. Il voit la mécanique psychologique, pas la profondeur métaphysique :
Car au fond, ce que l’antisémitisme attaque, ce ne sont pas des individus, c’est une fonction symbolique…
Le judaïsme rappelle au monde qu’il existe une Loi :
- Au-dessus des Empires
- Au-dessus des majorités
- Au-dessus des intérêts
- Au-dessus même de l’Histoire
Levinas l’a dit avec une clarté fulgurante :
« Israël rappelle que l’homme n’est pas seulement ce qu’il est, mais ce qu’il doit être. »
Voilà la pierre d’achoppement :
Ce que l’antisémitisme ne supporte pas, ce n’est pas « le Juif », c’est la limite que le Juif incarne, le refus de l’ivresse totalitaire, le rappel qu’il existe quelque chose au-dessus de l’homme lorsque celui-ci se prend pour Dieu.

L’antisémitisme est donc d’abord une révolte contre la limite, la haine de l’idée même d’un ordre moral supérieur à la volonté humaine.
3. POURQUOI CELA REVIENT-IL TOUJOURS ? Freud : la culpabilité refoulée
Freud, dans Moïse et le monothéisme, ose une intuition vertigineuse :
« …le monothéisme juif introduit une voix intérieure, une exigence morale, un rappel permanent… »
Avec Israël apparaissent dans l’histoire humaine
– une parole qui ne flatte pas, qui ne justifie pas, qui exige ;
– une voix qui ne confirme pas l’homme dans ce qu’il est – mais qui lui rappelle ce qu’il doit être.
Les civilisations chrétiennes, européennes puis modernes, vivent avec cette dette symbolique.
Elles savent – même lorsqu’elles se sécularisent – qu’une part essentielle de leur morale, de leur dignité humaine, de leur conception même de l’homme libre leur vient du judaïsme.

Mais reconnaître une dette, c’est reconnaître une dépendance. Et l’homme déteste devoir quelque chose, surtout spirituellement.
Alors, comme dans tous les mécanismes analysés par Freud, on refoule, etce qui est refoulé… ne disparaît jamais, il revient mais masqué, déformé, chargé de ressentiment et de violence.
Freud écrit cette phrase bouleversante et terrible :
« Les peuples chrétiens n’ont jamais pardonné aux Juifs de leur avoir donné leur Dieu ».Ce n’est pas une provocation, c’est un diagnostic.
Les sociétés occidentales,
– au lieu de dire merci, transforment leur dette en hostilité.
– au lieu de reconnaître la source, lui en veulent ;
– au lieu d’assumer la responsabilité morale née de cette filiation spirituelle, cherchent à supprimer celui qui la rappelle.
Car c’est cela, le cœur du mécanisme : l’antisémitisme est une manière d’éliminer le témoin intérieur.
Le Juif ne rappelle pas seulement une histoire, il rappelle une exigence :
Il rappelle qu’il existe, au-dessus des peuples, des États et des modes, une voix qui dit :« Tu ne peux pas tout. Tu n’es pas ton propre dieu »
Alors la haine devient une stratégie psychique et morale :
– plutôt que d’affronter la vérité… on combat celui qui la porte ;
– plutôt que d’assumer la responsabilité… on détruit le miroir.
Hannah Arendt l’avait parfaitement compris :
« la haine des Juifs est souvent la haine de la responsabilité. »
Levinas ajoute :
« Israël empêche la civilisation de se contempler narcissiquement. »
Il empêche l’humanité de s’adorer elle-même, il la réveille exactement là où elle voudrait dormir.
Freud nous aide donc à comprendre ceci :
« Si l’antisémitisme revient toujours, même après Auschwitz, ce n’est pas parce qu’il serait un “préjugé persistant”. C’est parce qu’il touche à une difficulté structurelle de l’humanité à supporter la présence d’un peuple qui incarne une mémoire, une loi, une exigence.
Et tant que cette difficulté persistera, la tentation de haïr persistera. »
4. LE MONDE MUSULMAN : de la proximité originelle à la blessure symbolique contemporaine
L’Islam n’est pas né dans la haine du Juif. Le Coran lui-même reconnaît l’élection d’Israël.
Mais très vite, une tension théologique s’installe : l’Islam se pense comme accomplissement ultime.
Le judaïsme refuse d’être la religion « avant-dernière ».
Alors s’installe un rapport hiérarchique : le Juif peut exister… tant qu’il est inférieur, protégé, mais dominé.
Puis survient le séisme de 1948, le Juif ne quémande plus protection, Il n’accepte plus d’être minorisé,
Il se tient debout, souverain, armé, libre.

Pour le monde musulman, c’est un choc identitaire, une blessure narcissique, un rappel humiliant d’échecs politiques, militaires, civilisationnels.
Dès lors, la haine devient refuge, exutoire et se nourrit d’une question théologique non résolue : comment accepter un Yitshak vivant, souverain, victorieux ?
Ce n’est pas territorial, ce n’est pas « politique » au sens classique : c’est civilisationnel, c’est biblique.
C’est Ishmaël refusant que Yitshak demeure.
Après Auschwitz : mutation, pas disparition. On a cru naïvement que la Shoah tuerait l’antisémitisme.
Erreur, comme toute pulsion archaïque, il mute.
- Il ne peut plus être racial ? Il se déguise en humanisme
- Il ne peut plus être religieux ? Il devient progressiste
- Il ne peut plus être biologique ? Il devient géopolitique
Aujourd’hui, l’antisémitisme se concentre sur Israël.
Non parce qu’il serait « pire » que d’autres nations, mais parce qu’il est insupportable comme réalité symbolique :
- Un Juif souverain
- Un Juif debout
- Un Juif qui se défend
- Un Juif qui n’implore plus

Le monde adorait le Juif victime, Il supporte mal le Juif vivant.
Ce que révèle la résurgence de la haine en 2025 : l’antisémitisme n’est pas seulement une pathologie morale, Il est un test de civilisation.
Quand il remonte :
- C’est que l’universalisme se fissure
- Que la morale recule
- Que le courage disparaît
- Que l’Histoire cherche un bouc émissaire
Et surtout, il dit moins quelque chose des Juifs… que du monde qui en a besoin.
Car l’antisémitisme n’est pas seulement une haine, c’est une fuite :
Une fuite devant la vérité qu’incarne l’existence juive : il existe une limite à la toute-puissance humaine.
Peut-on conclure ainsi ?
L’antisémitisme islamique contemporain n’est pas né avec Mahomet, il naît lorsque le monde musulman ne supporte plus un Juif souverain.
Le monde supportait le Juif suppliant, il a plus de mal avec le Juif responsable.
Parce que ce Juif-là rappelle une certitude dérangeante :
l’Histoire n’appartient pas aux plus forts, mais aux plus fidèles.
La vraie question n’est donc plus :
« Pourquoi tant de peuples détestent-ils les Juifs ? »
La vraie question est :
« Pourquoi tant de civilisations ont-elles besoin que les Juifs disparaissent pour se croire innocentes ? »

Israël, par sa simple existence, empêche ce mensonge. C’est précisément pour cela qu’il doit demeurer.
Non seulement pour lui-même, mais pour la vérité du monde. SS♦

Serge Siksik, MABATIM.INFO
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La raison est très simple et a été décrite par… un juif: Sigmund Freud. Pour hériter du père il faut le tuer. Le Christianisme et l’Islam sont les fils naturels du Judaïsme qui veulent hériter de sa légitimité. C’est pour ça que l’antisémitisme est occidental, et profond et indéracinable. L’antisémitisme extreme-oriental est juste le produit de l’influence occidentale, il n’est pas inherent. C’est pour ça que pour nous aussi, juifs, l’avenir est à l’est.
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