A.B. Yehoshua, Amos Oz et le mensonge du « camp de la paix »

A.B Yehoshua et Amos Oz

L’écrivain israélien A.B. Yehoshua est décédé alors que s’ouvrait en Israël la « semaine du livre », la manifestation littéraire qui est aussi une grande « fête du livre », qui vient clore le cycle des fêtes du printemps israélien. Il est aussi mort avant le shabbat où nous lisons la paracha Chelakh-Lekha, qui relate la faute des explorateurs. À certains égards, Yehoshua faisait partie, avec ses collègues Amos Oz et David Grossman, des « modernes explorateurs » que sont ces intellectuels israéliens qui n’ont eu de cesse, depuis cinquante-cinq ans, de mettre en garde leur pays et ses dirigeants contre les dangers d’une « corruption morale » et de multiples catastrophes dont l’unique cause serait, selon eux, « l’occupation des territoires. »

Disons d’emblée qu’A. B. Yehoshua fut le seul des trois (à ce jour) à accepter de remettre en cause la rhétorique apocalyptique et moralisante de « La Paix Maintenant », dont ils étaient devenus tous trois, à des degrés différents, les porte-parole patentés. En acceptant de se remettre en question pour rejeter la logique des « deux États » et de la création d’un « État palestinien » en Judée-Samarie, Yehoshua a fait preuve à la fois d’une tardive lucidité et d’une forme de courage, inhabituelles dans les sphères de la gauche israélienne. Il était en effet bien plus facile de répéter comme un mantra les slogans éculés de La Paix Maintenant et de gagner ainsi la sympathie des médias – en Israël comme à l’étranger – et le statut confortable et lucratif d’écrivains du « camp de la paix ».

« Camp de la paix » ?

L’expression ferait sourire, si elle ne rappelait de sinistres souvenirs. Elle remonte – rappel historique pour les nouvelles générations nées après l’effondrement du Mur de Berlin – à l’Union soviétique et à ses satellites. Le « Mouvement de la paix » était dans l’après-guerre (pendant la guerre froide dont on a oublié aujourd’hui la signification) la courroie de transmission du PCUS et du communisme stalinien au sein des pays occidentaux et de leur intelligentsia, qui était déjà à l’époque le « ventre mou » de l’Occident. L’expression est donc un héritage empoisonné du communisme stalinien et elle est tout aussi mensongère à l’égard d’Israël aujourd’hui, qu’elle l’était concernant l’Occident alors.

2.

Le livre que vient de publier Nili Oz1, veuve de l’écrivain Amos Oz, sur son mari, intitulé Amos sheli, est d’une lecture agréable et instructive à la fois. On y découvre un jeune homme sensible et sûr de lui, qui a connu le succès dès son premier livre et a apostrophé publiquement tous les dirigeants israéliens, depuis David Ben Gourion jusqu’à Benyamin Netanyahou. Oz – né Klausner – est issu d’une famille bien connue de l’aristocratie sioniste de droite (son oncle était l’historien Yossef Klausner). Son départ au kibboutz Houlda, après le décès tragique de sa mère, fut l’occasion pour lui de « réévaluer » toutes les valeurs dans lesquelles il avait élevé.

En rejetant le monde intellectuel de la famille Klausner, il ne s’éloigna pas seulement de son père (dont il avait rejeté jusqu’au nom de famille). Il fit surtout cause commune avec ses professeurs de l’université hébraïque, Hugo Shmuel Bergman, fondateur avec Martin Buber de « l’Alliance pour la paix »,

qui prônait « une fraternité sentimentale entre Juifs et Arabes et le renoncement au rêve d’un État hébreu afin que les Arabes nous permettent de vivre ici, à leur botte…»2, rêve utopique que ses parents considéraient comme totalement coupé du réel et défaitiste.

Dans son livre, Nili Oz qui fut la fidèle compagne d’Amos pendant soixante ans, se flatte que son mari ait été le premier à dénoncer « l’occupation » des territoires libérés en 1967, « avant Yeshayahou Leibowitz ». Effectivement, avec la ‘houtspa qui le caractérisait, le jeune Amos – âgé de moins de 30 ans – publia dans le quotidien Davar une tribune adressée au ministre de la Défense Moshé Dayan, pleine de verve et de fiel, affirmant que

« nous n’avons pas libéré Hébron et Ramallah… nous les avons conquises ».

Et il poursuivait : « l’occupation corrompt » (expression devenue un slogan de la gauche israélienne après 1967), « même l’occupation éclairée et humaine est une occupation ».

3.

Ad repetita…

Manifestation de « la paix maintenant »

Aujourd’hui comme jadis, lors des débuts de notre histoire nationale et de la première conquête d’Eretz-Israël au temps de Josué (livre de la Bible qu’une ministre de la Culture prétendit bannir à l’époque des accords d’Oslo), une poignée de membres de l’élite de notre peuple se sont érigés en donneurs de leçons, en « nouveaux égarés du désert », comme l’écrivait le regretté André Neher en 1969. Avoir donné au terme biblique de « Kibboush » une connotation péjorative n’est pas le moindre péché de ces modernes explorateurs, qui ont instillé la peur dans l’esprit des Israéliens et les ont fait douter de la justesse de notre présence sur cette terre.

Ironie de l’histoire : l’Israël d’avant 1967 était lui aussi le fruit d’une (re)conquête et d’une victoire militaire – celle de 1948 – et la plupart des kibboutzim de l’extrême-gauche, de l’Hashomer Hatzair et du Mapam, étaient bâtis sur les ruines de villages arabes, comme Amos Oz le rappelle sans sourciller, en évoquant le kibboutz Houlda de sa jeunesse. Les pionniers de Judée-Samarie après 1967, eux, n’ont détruit aucun village arabe pour construire leurs maisons.

Si « l’occupation corrompt », alors pourquoi s’arrêter à celle de 1967 et ne pas remonter jusqu’à 1948 ?

Les plus conséquents parmi les chantres du pacifisme israélien, comme Martin Buber, ont poussé leur funeste logique jusqu’à l’absurde, en affirmant que l’idée même d’un État national juif en Eretz-Israël était immorale. En réalité, comme le rappelait Jabotinsky il y a cent ans, en répondant aux pacifistes de son temps,

« La paix avec les Arabes est certes nécessaire, et il est vain de mener une campagne de propagande à cet effet parmi les Juifs. Nous aspirons tous, sans aucune exception, à la paix ».

Toutefois, comme il l’écrivait dans son fameux article « Le mur de fer », la question d’un règlement pacifique du conflit dépend exclusivement de l’attitude arabe. Propos qui demeurent d’une brûlante actualité jusqu’à ce jour. PL

Pierre Lurçat, Vu de Jérusalem


Le quatrième volume de la Bibliothèque sioniste, consacré aux textes de Jabotinsky sur la question arabe en Israël et intitulé Le mur de fer. Les Arabes et nous, paraîtra dans les prochaines semaines.

1 Nili Oz, Amos Sheli, Keter 2022.

2 Amos Oz, Une histoire d’amour et de ténèbres, traduction de Sylvie Cohen, Gallimard 2004, p. 21.

5 commentaires

  1. Si le nationalisme juif s affirme fortement et brutalement , nous aurons la paix avec les arabes qui admettrons nos droits , si la gauche galoutique maintient son emprise sur la pensée globale des juifs d Israel comme c est le cas aujourdhui , nous n obtiendrons ni paix ni meme reconnaissance .
    Les arabes n ont que mepris pour des faibles qui admettent leurs ennemis au parlement , et je les comprend car ils ont raison .

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  2. Excellent article qui rappelle que les intellectuels de gauche, aussi brillants soient-ils se trompent lourdement et surtout trompent les autres. Il est pourtant évident (et le mot est faible) que si les Arabes avaient voulu la paix ils l’auraient eue depuis 1947 /48 en acceptant le partage de la Palestine. Ce refus obstiné (soutenu par les les Européens et l’ONU ) nous démontre, si nous avons un peu étudié l’islam qu’ils ne s’agit pas de partage de territoires mais de reconquête visant à éliminer le peuple israélien. Ces intellectuels avaient les facultés de comprendre l’origine du conflit mais, leur haine de soi, de leur culture, de leurs capacités à construire un Etat digne de ce nom en un temps record les a aveuglés sur les intentions réelles des Arabes. En choisissant le camp du « bien », « La paix maintenant », ils se sont engouffrés dans la certitude que les « droits de l’homme » étaient la panacée. Mais la nécessaire analyse politique montre le contraire. Plus on cède à l’adversaire, plus il revendique des « droits » infinis car leur projet n’est pas la paix et ils ne manquent pas de le faire savoir. Pourquoi beaucoup d’intellectuels n’arrivent pas à l’ entendre et à le prendre en compte ? En Europe et en France en particulier, nous connaissons le même problème et nous voyons le résultat !

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  3. Cet article est nécessaire et devrait être publié souvent , jusqu à que les « nouveaux explorateurs « comprennent qu ils ont tout faux .On les prend pour de grands esprits mais ils ont vite oublié les progroms et pour couronner le tout la shoah.Pourtant ils n ont aucune excuses ,C était proche de leur generation.Aujourd hui encore nous voyons ressurgir partout dans le monde l antisemitisme. Mais les intellectuels tiennent à leurs théories valorisantes.Pourtant ceux de la génération précédente qui soutenaient sans conditions le communisme Ont eu la preuve qu ils s étaient lourdement trompés mais la plupart n ont pas eu le courage de reconnaître leur erreur y compris JP Sartre qui , en plus, connaissait depuis longtemps l horreur du Goulag, mais n en parlait pas pour « ne pas désespérer Billancourt. Alors je veux bien que les grands esprits naviguent dans les hautes sphères mais ils ne devraient pas s occuper de choses qu ils n appréhendent pas. En plus n importe quel histrion qui chante ou qui est artiste , reprend ces idées par opportunisme pour continuer à remplir si possible les salles .Cela fait parti de leur fond de commerce. J ajouterai que de tout temps l ennemi le plus important d Israël se trouve dans son sein et il n y a pas que de doux reveurs.
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