par Roger Chemouni
« L’ATTENTAT » de Ziad Doueri 2012
Sortie Dvd Septembre 2013 (*)

Déc 2013
Voilà un film franco libano belge qui se passe en Israël avec des acteurs israéliens et palestiniens. Coproduction multiple et contradictoire sur laquelle nous reviendrons qui donne un film quelque déroutant qui eut et aura moult polémiques.
Amin Jaafari (Ali Suliman) est un docteur israélien d’origine arabe qui reçoit dans la Terre sainte, un prix. D’ailleurs l’intéressé stipule que c’est la première fois qu’un arabe reçoit ce prix, réception qui se fait sans la présence de Siham (Reymond Amsalem ) son épouse. Celle-ci est accusée d’être le kamikaze dont la bombe vient de faire à Tel Aviv dix-sept-victimes, dont des enfants. Le récipiendaire est appelé et interrogé en pleine nuit pour, outre reconnaitre le corps de Siham, savoir sa participation à cet attentat meurtrier, dont il est étranger.
L’homme innocent va être la cible d’accusations, de représailles et de mise en quarantaine. il décide de se rendre à Naplouse pour comprendre ce geste irraisonné à ses yeux, trouver ses commanditaires et comment sa femme, qu’il semble méconnaitre, a accepté d’être l’envoyé de la mort. Ce parcours va automatiquement changer son existence.
Nous sommes devant un dilemme : le film est il une vision sensible du conflit israélo palestinien où la peinture désespérée d’une histoire d’amour défaillante, d’une intégration avortée . Les héros sont ils des pions et les terroristes des manipulateurs innés ; regard qui ne remet point en cause que l’acte meurtrier soit injustifié.
Ladite kamikaze présentée comme une femme heureuse et comblée ne répond pas au portrait classique ; elle est chrétienne, bourgeoise et intégrée à la société israélienne, contrairement au livre dont s’inspirent Joëlle Touma et Ziad Doueiri. Celui-ci, publié en 2005, signé de Yasmina Khadra ( pseudonyme d’un écrivain algérien que Alexandre Arcady en 2012 fit connaitre avec son film « Ce que le jour doit à la nuit » ) avait fait de Shiram une arabe palestinienne et proposé un destin dramatique au mari.
Un autre élément atypique demeure l’interprétation, non par le jeu des acteurs, au demeurant sans faute voire crédible, mais par la participation d’acteurs des deux bords. Ali Suliman, comme son personnage, est arabe israélien, il a tourné aussi bien avec des cinéastes israéliens : Eran Riklis (Les citronniers 20080 ) qu’avec des palestiniens : Elia Suleiman (« Chronique d’une disparition » 1996-« Le temps qu’il reste » 2009). Reymond Amsalem est juive israélienne ( nous l’avons aimé dans « Mon âme, mon âme » (2005) de Haïm Bouzaglo et dans Lebanon (2009) de Samuel Maoz) (1) comme ses collègues du film : Evgenia Dodena, Dvir Benedek et Uri Gavriel. Les autres interprètes sont des acteurs palestiniens.
Le réalisateur libanais, à l’approche sincère et peut être candide, voulait selon ses dires (2) narrer une romance forte sur un fond politique qui ne l’est pas moins, où la victime, l’occupant, est l’autre. Le héros de l’histoire – héros qui tombera de son piédestal – est un être préoccupé par sa réussite sociale, un médecin qui sauve des vies et n’a pas pu sauver celle de son épouse. Il accuse les palestiniens d’être des manipulateurs d’un côté et refuse, de l’autre, de fournir les renseignements recueillis lors de sa visite dans les territoires , à la police israélienne, au risque de perdre Kim (Evgenia Dodena ) son ultime amie juive.
Il n’est guère sympathique, sa neutralité est aussi nuisible que l’acte regrettable de sa moitié ; elle sera la fin de son parcours social, voire son annihilation. Ziad Doueiri ne veut pas dans son approche téméraire, être partisan, ni être le porte drapeau d’une cause . Il demeure le seul cinéaste libanais à tourner en Terre Sainte, grâce à son passeport américain, avec une équipe israélienne et palestinienne en Israël, et une européenne et palestinienne, dans les territoires occupés.
Le réalisateur signe un film soigné, prenant, avec une atmosphère plus sensorielle que polémique, filmant avec délicatesse le silence, la solitude, l’absence de l’autre . S’il se veut apolitique, son film ne peut l’être dès qu’il dégage un point de vue, fut-il tolérant ou non. L’attentat est évoqué, jamais montré dans son horreur, seules des images d’enfants festoyant avant le drame, nous sont proposées.
La coproduction est assez symptomatique du malaise qu’accompagne ce film et de l’atmosphère contradictoire qu’elle traduit. les Usa se sont investis dans le projet avant de se retirer, le Qatar a payé pour voir son nom retiré du générique, une compagnie française dont Jean Brehat et Rachid Bouchareb participèrent au financement, ainsi qu’une belge . En outre le film fut critiqué par certains palestiniens, le trouvant pro israélien accompagné d’une réticence de l’auteur. De surcroit, le gouvernement libanais a tenté d’en interdire la projection, malgré des récompenses glanées par ci, par là (Festival de Marrakech et de San Sébastien )
Le film n’en reste pas moins sincère et capital pour comprendre qu’une censure existe belle et bien, et que des cinéastes tentent de comprendre ce XXI siècle dans cette région conflictuelle, et que ces approches sont peu évidentes, car problématiques. le réalisateur avoue de pas être sorti indemne de cette aventure palpitante qui apportera encore et encore des contradicteurs.
(1) Reymond Amsalem qui a suivi des cours d’arabe s’est mise en danger au mépris des lois israéliennes en tournant à Naplouse
(2) Selon son interview dans le bonus du DVD