
Mars 2014
Par le rabbin Yeshaya Dalsace*
La question féminine est devenue au cours des années un enjeu crucial pour le judaïsme contemporain malgré la volonté de certains cadres communautaires d’éluder le problème. En effet, de plus en plus de femmes se sentent en porte-à-faux vis-à-vis d’une tradition patriarcale discriminante à leur égard et qui ne tient pas compte des changements de société. Les femmes juives se retrouvent ainsi contraintes à vivre une sorte de double vie : à la ville et dans leur vie professionnelle, elles sont tout ; mais à la synagogue, elles ne sont plus grand chose…
Dans la tradition, le judaïsme au féminin est limité à des domaines précis : la table (cuisine kasher), le lit (respect de la Nida) et la symbolique lumière du shabbat… Ces domaines sont essentiels pour le maintien de la famille juive dans laquelle la femme tient traditionnellement un rôle clé. Mais en dehors de ces quelques prérogatives, le judaïsme au féminin est bien pauvre… Dans le domaine de l’étude, pourtant essentiel, les femmes n’ont pas leur place. Dans celui de la prière, lui aussi central, la femme est au mieux spectatrice, mais rien de plus. Ne comptant pas pour le Minyane[1], sa présence n’est en rien nécessaire. Ne montant pas à la Tora, sa connaissance des textes et l’apprentissage de l’hébreu deviennent accessoires. D’ailleurs, dans la plupart des synagogues, les femmes sont reléguées à l’écart, soigneusement cachées par une séparation plus ou moins opaque. Elles ne voient donc pas bien ce qui se passe, ne peuvent s’approcher et entendent à peine… Dans de telles conditions, du côté des femmes, la synagogue est plus un lieu de rencontres sociales, de discussions, que d’étude et de spiritualité.
Juridiquement, la femme est considérée comme un être sous influence : son témoignage n’est pas recevable, a fortiori elle ne peut siéger dans un tribunal… Traditionnellement, dans bien des domaines, elle est vue comme un être sous tutelle masculine.
Dans de telles conditions, qu’est-ce que le judaïsme au féminin ? Se taire et écouter ? Préparer des plats kasher ? Poser des questions aux hommes qui détiennent le savoir ? Prier dans son coin en disant des Psaumes ? S’instruire malgré tout en jouant les Yentl ? Etre satisfaite parce que les hommes juifs sont censés respecter leur épouse et adorer leur mère ? Que propose exactement le judaïsme orthodoxe aux femmes d’aujourd’hui ? Des Mitsvot[2], certes, mais toujours moins que pour les hommes. Un monde intérieur parfois très riche, mais un monde de l’ombre.
Dès l’enfance, en séparant les filles de la classe avant la Bar Mitsva[3], en ne les mettant pas face au défi que tout jeune garçon doit relever, en leur faisant faire un simulacre de Bat Mitsva (souvent collective), on leur apprend à se taire, on leur montre leur place, on leur inculque leur passivité.
Même dans le deuil, au moment du kaddish, elles devront se taire et s’il manque un homme, même au milieu de nombreuses femmes, le kaddish ne sera pas dit du tout…
Le judaïsme au féminin reste donc encore à définir et à écrire, par les femmes bien entendu qui doivent oser sortir de leur Égypte.
*Yeshaya Dalsace : Rabbin de la communauté DorVador (Paris 20ème), comédien et metteur en scène. Journaliste à Kol Israël, enseigne à l’Université hébraïque, Master d’études juives. Créateur et rédacteur du site Massorti.Com, collaborateur régulier du site Akadem, conférencier (Alliance Israélite, OSE, Centre communautaire, AJC, colloques et formations universitaires).