Pièce de Francine Christophe Au Lucernaire du 5 mars au 26 avril 2014 à 18h 30 du mardi au samedi
Par Roger Chemouni
Une femme se raconte étape par étape : elle a six ans quand son père part au front en 1939. L’année suivante il est fait prisonnier. Il était officier cela prend un sens quand elle Francine sera arrêtée avec sa mère en juillet 42 (mois de rafle du Vel d’Hiv), retenue dans des camps : Poitiers, Drancy puis Pithiviers, Beaune la Rolande. Car elle fait partie des (ô ironie) « Privilégiés » appellation donnée par la convention de Genève aux femmes et enfants d’officiers prisonniers de guerre français. Cet « avantage » ne l’empêchera point d’être, elle et sa mère, déportées à Bergen–Belsen avant leur libération avec leurs coreligionnaires par les troupes soviétiques en 1945. Francine va se réadapter certes avec difficultés, va réapprendre à vivre normalement, étudier, professer (décoratrice), se marier et cinquante ans plus tard, écrire son histoire, parcourir sans reprendre haleine, écoles, universités, conférences réunions et rencontres de victimes d’autres drames. Son livre sortira en 1996 et sera le début d’une carrière d’écrivain. Elle a aujourd’hui quatre-vingts ans et préside l’Amicale des Anciens de Bergen-Belsen.
La pièce ne peut être dès lors que bouleversante. Jouée par une unique actrice (Magali Hélias persuasive et remarquable) dans un décor gris qui traduit le côté sombre et abject de l’enfermement, de l’exclusion. Elle raconte la rupture de l’enfance, la peur, la mort et l’espoir aussi.
L’interprète, voire son personnage, se montre tour à tour décontenancée, appauvrie physiquement et moralement, pathétique, pessimiste et combattive et révoltée, tous ces sentiments que pouvaient traverser les concentrationnaires.
La comédienne sera Francine l’enfant meurtrie, ballotée d’un endroit à un autre, témoin d’un enfer douloureux, Francine Christophe qui adulte interpelle son vécu (deux ans dans les prisons et les camps, un an à Bergen Belsen, le retour) et l’Histoire (La France occupée, le gouvernement de Vichy, la Shoah).
L’ultime réplique résonne encore à nos oreilles : « Ecoutez ! Gardiens de camps qui vivez encore ! Entendez ! Je l’ai ma victoire : j’ai des enfants et des petits enfants ! [1]» pour faire un ultime pied de nez à l’Histoire, à son enfance, sa vie contrecarrée.
[1] Le soir de la représentation de ladite pièce, Françoise Christophe est partie rejoindre la comédienne à la fin du spectacle pour dire au public « Une chose qu’elle ne vous a pas dite est que je suis aussi arrière grand-mère » rendant plus émouvant cette histoire hélas commune.