de Jonathan Cott (Christian Bourgeois éditeur 2014)
par Roger Chemouni
La dernière interview avec l’auteur de « West Side Story », la plus célèbre comédie musicale américaine fut menée tambour battant d’une seule traite, voire d’une seule nuit. Léonard Bernstein, avare de dialogues avec la presse, se livre comme jamais avec l’intervenant, lui refusant d’office les questions trop conformistes. Ne dira t-il pas de façon désarmante : « je n’ai point d’orchestre préféré, de compositeur préféré, de cuisine préférée, de forme de sexe préférée » ?
Léonard Bernstein (1918-1990) se livre comme rarement le fit un créateur sur son œuvre, dialoguant sur tout et explicitant la genèse de son travail, l’art et la manière de le mener à bout.
Ce petit fils et arrière petit fils de rabbins hassidiques fut un chantre de la musique classique européenne, un diable de musicien et un innovateur hors pair. Il évoque avec un humour déstabilisant et une honnêteté intellectuelle la musique certes, mais aussi la politique, la psychologie et la spiritualité qui l’accompagnèrent lors de son existence
L’homme est habité, il étonne, détonne et chantonne pour accompagner ces propos. Avec ceux-ci il montre la personnalité exceptionnelle de cet esprit épris de musique, de culture juive (il fera la musique d’un ballet « Le Dybbuk ») et d’échanges humains, tout en savourant Houmous et vodka, des mets précieux à ses yeux
Il avouera : « Je suis un amateur de musique fanatique. Je ne peux pas vivre une journée sans entendre, jouer, étudier où penser à la musique » et émaille ses échanges de citations philosophiques d’autrui. Caustique, emporté, taquin, ce pédagogue intuitif se métamorphose à chaque sujet et avec humour épingle la bêtise, la négligence, l’insouciance et l’indifférence ; déjà maux d’une société.
Si ses discours techniques prennent parfois le dessus, l’enthousiasme n’en est pas moindre et l’ensemble, ni la réflexion, pertinente. Nous ressentons au-delà de sa personnalité artistique son charisme renforcé par son engagement humain (défenseur des droits de l’Homme, il fut). Il fallait un interlocuteur de taille pour que cet artiste démontre que son art est bel et bien la réunion d’autres et qu’il découle de la traversée de la vie voire des émotions ressenties durant celle-ci. Jonathan Cott a réussi à nous offrir un regard autre sur ce chef d’orchestre et compositeur on ne peut plus talentueux. Son approche à mille lieues de l’entretien conventionnel nous peint l’un des derniers géants musicaux du XXe siècle qui fait un ultime pied de nez à son époque et à sa musique, lui qui la vénéra tant. Il ne peut avoir meilleure biographie avec cette analyse divertissante, congruente et ô combien, répétons le, captivante. RC♦