Terra Nova : l’ivresse décime

cible euro.jpgLe 108 du boulevard du Montparnasse abrite les locaux de la fondation Terra Nova, un think tank, comme on dit dans les réunions de gens importants à leurs propres yeux, « un groupe de réflexion de gauche » quand on veut être compris du plus grand nombre.

Du haut de leur Olympe, Léonie Brugère, Prosper Enfantin, Guillaume Hannezo et Thierry Pech, plumes de ce « think tank progressiste indépendant ayant pour but de produire et diffuser des solutions politiques innovantes en France et en Europe (voir site web) », ont publié sur leur site, le 4 janvier 2019, une note intitulée : Réformer l’impôt sur les successions, dont la synthèse affirme : « L’ambition de cette note est de formuler des propositions permettant d’augmenter de 25 % le rendement de la fiscalité des successions. (…) Ces mesures permettraient de générer 3 Md€ de recettes fiscales supplémentaires par an, soit l’équivalent de ce qui a été perdu sur l’ISF. Si l’on veut aller plus loin, nous proposons également de revisiter l’avantage fiscal lié à l’assurance-vie, laquelle jouit aujourd’hui d’un régime largement dérogatoire. »

Demain on rase gratis en taxant les morts

Terra Nova veut lutter contre « une société de rentiers à la fois socialement injuste et économiquement sclérosante conduisant à une répartition des richesses toujours plus inégale et plus concentrée dans les mains de populations âgées peu disposées à investir et à consommer.(ibid) »

Il s’agit donc de se refaire la cerise sur le dos des petits vieux et de leurs héritiers. Les premiers encore économiquement vivants et bientôt fiscalement morts et les seconds parce qu’ils auront été récipiendaires d’immobilier, d’assurances vies et autres livrets.

Quelle injustice ! estime Terra Nova : les seniors au fort pouvoir d’achat ne consomment pas et n’investissent plus. Les services marketing de nombreux secteurs ont également flairé le filon, qui multiplient les sollicitations et ne savent plus quoi inventer pour les faire succomber aux croisières de rêve, tables étoilées, berlines premium, immobilier avec défiscalisation et autres portefeuilles d’actions…

Et si certains succombent, parce qu’ils ont « enfin l’occasion de profiter de la vie », la plupart est coincée entre les enfants qui gagnent moins qu’eux au même âge et les parents qui sont encore là bien après l’âge où leurs propres parents ont trépassé.

Du coup, nos seniors soutiennent financièrement leurs enfants au chômage, (chaque mois ou occasionnellement), payent les études des petits-enfants et les vacances de toute la famille. Et combien de fratries assument tout ou partie de la facture mensuelle de l’EHPAD pour les plus-que-seniors ?

Équation piège à c…

Vocabulaire : DMTG = droits de mutation à titre gratuit.

Équation à plusieurs milliers d’inconnues : Si DMTG + 25% = 3 Md€, où sont les riches ?

Augmenter d’un quart cette recette fiscale et n’en espérer que 3 Md€, c’est admettre que les grandes fortunes sont déjà parties sous d’autres cieux, fiscalement plus cléments, où n’existent ni ISF, ni IFI, ni droit de succession.

L’article de Jean Nouailhac, publié le 28 janvier 2019, sur le site du Point, démontre parfaitement les effets pervers d’un impôt considéré comme confiscatoire par les contribuables. « En moyenne, entre 2002 et 2015, c’est 3,04 milliards d’euros qui sont sortis de France chaque année. En attribuant à ces milliards envolés le rendement moyen de la Bourse de Paris pendant la période d’application de l’ISF, soit 3% par an, l’iFRAP obtient à la fin de l’année 2017 un total de 143 milliards d’euros en ajoutant 62 milliards d’intérêts aux 81 milliards de capitaux nets sortis de France pendant les trente-quatre années de l’ISF.»

Autrement dit, l’ISF a déjà fait perdre à l’État 143 milliards d’euros et Terra Nova, espérant en récupérer 3 à 4, réussira à faire fuir les quelques contribuables « privilégiés » sur lesquels le Think Tank compte pour alimenter les caisses…

En France, le taux d’imposition marginal sur les successions entre parents et enfants s’élève à 45%, le plus élevé de l’Union européenne. À titre de comparaison, il est de 30% en Allemagne, 15% au Danemark et 4% en Italie. C’est aussi le troisième taux le plus élevé du monde, après celui du Japon (55 %) et de la Corée du Sud (50 %).

On n’impose pas à partir du premier sou légué : il y a un seuil en dessous duquel le droit de mutation est égal à zéro. Mais celui de la France est l’un des plus bas au monde : 100.000€. En Italie, c’est 1 million d’euros et aux Etats-Unis, depuis l’élection de Trump, 11,2 millions de dollars.

Et on ne parle que de la ligne directe entre parents et enfants. Les autres héritiers peuvent être taxés jusqu’à 55 % s’ils font partie de la famille et jusqu’à 60 %, sans abattement, s’ils n’en font pas partie (Figarovox).

Il n’y a pas de paradis fiscal sans enfers fiscaux

L’enfer fiscal est pavé de droits de successions, de nombreux pays l’ont déjà compris : le Portugal les a supprimés en 2004, la Russie et la Suède en 2005, l’Autriche en 2008 et la Tchéquie et la Norvège en 2014.

Sur les 50 États américains, seuls 21 et le District fédéral (Washington) taxent les successions ou le transfert de patrimoine (Wikipedia).

N’oublions pas ceux chez qui cette notion n’existe pas ou plus : Australie, Canada, Israël, Malte, Maurice, Pays-Bas et d’autres…

De nombreux pays du centre et de l’est de l’Europe ne connaissent pas les droits de succession, ou, quand ils les connaissent, ils ont mis en place des systèmes d’exonération tels qu’ils les ont quasiment réduits à néant. L’Italie ou l’Allemagne ont instauré des régimes de franchise ou d’abattement tellement élevés que la plupart des successions « normales » ne sont plus frappées par l’impôt (Taxworld).

Comment planer si haut et voler si bas ?

« L’impôt sur les successions génère beaucoup moins de délocalisations fiscales que l’ISF », explique, en titre le chapitre 4.2 de la note de Terra Nova.

En effet, vu les montants en jeu, les grandes fortunes ont su et pu, à coups (à coût) de holding et de montages financiers, s’exiler fiscalement de manière licite. Ceux qui sont restés ont jugé que les honoraires d’avocats fiscalistes et autres frais ne valaient pas la peine d’être dépensés au regard du montant et du type patrimoine possédé, quand il est principalement constitué de biens immobiliers (résidence principale, secondaire et/ou locative). L’immobilier est éventuellement complété par des placements de bon père de famille (assurances vie, livret A, LDD, …) qui sont tous, presque exclusivement, investis sur des fonds en Euros.

C’est cette population qui est devenue captive et la cible privilégiée à ponctionner. Mais attention à ne pas la désespérer, comme le font remarquer judicieusement les auteurs de cette note : « Il ne s’agit bien sûr pas de remettre à zéro les compteurs à chaque génération : non seulement des solutions aussi radicales se heurteraient à un veto de l’opinion, mais elles risqueraient de décourager le travail et l’épargne en vue de la transmission. »

Défense de rire ! Ces captifs (par leur enracinement immobilier) n’iront pas jusqu’au Hara-Kiri de l’exil pour cause de rébellion fiscale.

En revanche, comme leurs livrets ne leur rapportent quasiment plus rien et seront fortement taxés lors de la transmission à leur descendance, ils préfèreront réorienter leur épargne vers plus de générosité intergénérationnelle immédiate.

« Puisque l’État nous piquera toutes nos économies, autant que nous et nos enfants en profitions tout de suite… ce sera toujours ça que le fisc n’aura pas » raisonneront-ils avec sagesse. Et hop ! On ferme les assurances vie et on tape dans les livrets !

Un regain de consommation et son corollaire de TVA sont envisageables. Mais ce sera un gain inespéré, un coup de billard à trois bandes auquel les plumes terra-novelassiennes n’avaient probablement pas pensé.

Décrochage et descente en piqué

Ces taxonautes avaient-ils envisagé les autres répercussions sur le budget de la Nation ?

Plus de 80% des assurances vie souscrites par des particuliers en France, soit autour de 1.350 milliards d’euros, sont en fonds euros. C’est cet encours qui permet à la France d’emprunter (cBanque). C’est cet encours que les Français préféreront dépenser plutôt que de le conserver dans un bas de laine troué. Une fois qu’il n’existera plus, comment l’État empruntera-t-il pour boucler un budget perpétuellement déficitaire, au service d’un modèle social que tout le monde nous envie, mais que personne ne veut imiter ?

Et ce n’est pas tout : « Le financement du logement social en France est assuré par un dispositif dans lequel la Caisse des dépôts et consignations (CDC) occupe une place centrale, puisqu’elle concourt à hauteur d’environ 70 % du financement, grâce aux sommes déposées par les Français sur leurs livrets d’épargne réglementée (livret A, Livret de développement durable et solidaire, Livret d’épargne populaire) (La Croix).»

Moins de financement public pour la construction de logements sociaux, c’est embêtant ça !

Mais non camarade, suffit d’inciter les particuliers à investir dans l’immobilier locatif en créant encore d’autres niches fiscales ! Sauf, cher commissaire du peuple, que plus personne ne voudra toucher à l’immobilier à cause de l’IFI et des taxes sur les droits de succession !

Tout ça pour ça ?

Toujours dans leur note, les plumitifs précisent : « Il est évidemment très probable que les 3 à 4 Mds€ de recettes fiscales issus d’une éventuelle réforme de la fiscalité des successions iraient directement au budget général de l’État. Ce choix pourrait être justifié non seulement au nom des règles européennes du Pacte de stabilité et de croissance, mais aussi au nom de l’équité sociale. » Et on arrive enfin à la partie qui les émoustille : « À quoi ces sommes pourraient-elles être utilisées ? »

Et un !

« La première piste concerne la prise en charge de la dépendance. Affecter une partie des recettes supplémentaires générées par ces réformes à la prise en charge du risque dépendance reviendrait à organiser une forme de solidarité entre les personnes âgées qui viennent de décéder et possèdent suffisamment de patrimoine pour être taxables et les personnes âgées qui, au contraire, ne disposent pas de moyens suffisants ni en termes de revenu ni en termes de patrimoine, pour financer leur prise en charge. Ce faisant, ce financement permettrait d’améliorer la prise en charge de la dépendance (relèvement des plafonds d’aide à domicile, hausse de la qualité de prise en charge en Ehpad, diminution des restes à charge des résidents). »

Et deux !

« La deuxième piste concerne le financement d’une politique d’égalité des chances en direction des plus jeunes générations. Elle vise à compléter la réduction des inégalités de patrimoine permise par la taxation des transmissions les plus élevées par une redistribution des recettes ainsi dégagées au bénéfice des jeunes les plus défavorisés. »

Et trois zéros…

« Deux options peuvent être envisagées : dans la première, on considère que c’est au moment de l’entrée dans la vie active qu’il convient de soutenir les jeunes les plus défavorisés, soit en leur apportant un soutien monétaire en cas d’absence de revenu (le RSA ne leur étant aujourd’hui ouvert qu’à partir de 25 ans), soit en leur ouvrant une dotation en patrimoine, qui pourrait être versée à tout jeune à sa majorité. Dans la deuxième, on considère qu’il est nécessaire d’intervenir dès les premières années de la vie pour assurer l’égalité des chances, en offrant à tous les enfants un droit à l’accès à un accueil de qualité dès leur premier anniversaire.

Champions du monde !

Récapitulons : on va toucher 3 à 4 milliards d’euros qu’on va proposer à l’État de diviser entre les vieux dépendants et les jeunes.

En prenant l’hypothèse haute de 4Md€ de recettes à répartir en deux parts égales cela donnerait théoriquement un ordre de grandeur.

Pour la dépendance :

  • 1,4 millions de personnes bénéficiaient en 2015 des aides sociales liées à la dépendance (spbfamily). On peut raisonnablement supposer le chiffre de 1,5million fin 2018. En conséquence chaque personne dépendante percevrait 1333€ par an soit environ 111€ par mois.

Pour le pré RSA ou la dotation en patrimoine :

  • Sur la base des 767000 naissances en 2017 (Le Figaro), chaque jeune se verrait pourvu le jour de ses 18 ans d’un pactole de 2607,56 €… Même pas le quart d’un scooter TMax. Ho bouffon !

« La bureaucratie est un système d’organisation incapable de se corriger en fonction de ses erreurs et dont les dysfonctionnements sont devenus un des éléments essentiels de l’équilibre ». (Michel Crozier)

SkrobackiSS♦

Serge Skrobacki, mabatim.info

6 commentaires

  1. Excellent article et très bon travail, Serge Skrobacki.

    MAIS s’il n’y avait que Terranova… Hélas en voyant le contexte ce n’est que la pointe avouable de l’iceberg ; l’essentiel est moins visible et moins défendable.

    Dans un texte précédent de ma modeste plume intitulé « de la jaunisse » dans ces mêmes colonnes j’attribuais la problématique française surtout à des mythes fondateurs issus de «…l’idolâtrie révolutionnaire incrustée dans l’ADN de la France ».
    Dont, évidemment l’égalitude que Terranova et ses semblables prennent, par un automatisme pavlovien inoculé aux petits français dès la naissance avec piqure de rappel tous les quatorze juillet, pour une finalité irréfragable.

    Sauf que, grâce à ce cher Newton, nous connaissons l’existence de la gravitation. Et nous savons que les choses tombent toutes seules, mais ne se hissent que difficilement et provisoirement.
    L’idéal de l’égalité, qui vise à nous mettre tous au même niveau, s’obtient donc facilement par l’abaissement de ce qui est élevé ; mais difficilement par l’élévation de ce qui est bas.

    L’égalitude sera donc toujours in fine un nivellement par le bas.

    C’est facilement observable en analysant l’échec généralisé de toutes les utopies égalitaires.
    La France est, ces jours-ci, en train de payer l’addition de cette illusion et on est loin d’avoir tout vu.

    Or, aucun politicien voulant se faire (ré)élire ne peut se permettre de prononcer cette vérité.
    Pas en France ; pas dans un pays au crâne aussi bourré par le mythe révolutionnaire, ayant par conséquence une population politiquement immature, éruptive, prompte à jouer à la révolte adolescente.

    La roublardise de la classe politique française reflète donc la naïveté puérile de la populace ; il faut mentir aux Français, ils ne sont pas mûrs pour la vérité.
    Le Général connaissait bien son engeance, en 1958 à Alger, en gratifiant la foule abrutie d’un « je vous ai compris ».

    D’où les Diafoirus genre Terranova qui ont tout lu et rien compris.
    N’oublions jamais que c’est la fine fleur des savants qui a failli faire brûler Galileo.

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  2. Ce monde devient un cauchemar façon « Soleil vert ». Tout ce qui ne fait pas tourner la machine productive doit être broyé et recyclé, puis réinjecté dans les « forces vives » sans la moindre efficacité. Mais c’est normal que ces Think Tanks pensent ainsi. Ils ressemblent malheureusement au monde qui les a sécrétés. Un jour, pas si lointain, c’est une IA qui gérera les flux financiers et les prélèvements, sans avoir besoin d’intervention humaine.

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  3. Bon alors il
    Va falloir bien
    Calculer avant de laisser quoique ce soit à nos
    Enfants … quelle
    France !!!

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  4. Une analyse claire et sans langue de bois des délires fiscaux de « crânes d’oeuf » qui mettent un véritable point d’honneur à vouloir appauvrir sans cesse les habitants de ce pays. Toujours plus d’impôts, à payer par de moins en moins de gens. Une politique qui tue l’épargne et l’investissement, tout comme la géniale invention des 35 heures a ruiné l’emploi.
    En France, on n’a pas de pétrole, mais on a des idées, toujours plus inconséquentes et ruineuses économiquement et socialement.

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