« Culture française et immigration » : quel avenir pour la France ?

immigration.jpgLe président Macron a-t-il, entendu l’inquiétude culturelle de 64 % des Français et décidé de ce fait (enfin) ouvrir le débat semé d’embûches de l’immigration et de son contrôle par l’État ?

Rien n’est moins sûr ; les termes du débat qu’il souhaite voir s’ouvrir au Parlement le 30 septembre prochain ne semblent porter que sur un dévoiement du droit d’asile par certains migrants économiques. La question culturelle sera, épouvantail de l’extrême-droite obligeant, soigneusement évitée.

Le président, ce faisant, mais aussi les divers partis politiques « fréquentables » de France, chôment, pour des raisons strictement idéologiques, un problème lancinant qui mène la France et l’Europe dans le mur.

Nous allons donc tenter de clarifier les tenants et aboutissants de la question culturelle telle qu’elle nous semble se poser en France, en choisissant divers phénomènes qui à notre avis font symptôme et devraient être abordés – mais ne le seront selon toute vraisemblance pas, réactivant les ressentiments et risquant du coup de renforcer le camp de Marine Le Pen et de durcir les fractures françaises, issue souhaitée par les islamistes. Rappelons à toutes fins utiles que la loi du 15 mars 2004 sur l’interdiction du port de signes religieux ostensibles dans les établissements scolaires publics avait eu un effet d’apaisement et non de redoublement des revendications sur les élèves musulmanes, ainsi recadrées dans le respect de la neutralité laïque à l’École pour tous et toutes. Au contraire, aujourd’hui, l’évitement du sujet qui fâche ou les démonstrations de souci d’accommodement du président Macron ne font que renforcer les tensions et relancer les peurs.

Culture et avenir collectif.

Je prends ici, tout d’abord, le terme de culture au sens sociologique – et non performatif de Bildung, formation, éducation active de l’esprit et du corps humains par l’exercice concerté et répété de toutes les facultés humaines. La culture au sens sociologique est le résultat plus ou moins abouti et collectif de l’effort de Bildung, au décours de ses réussites et de ses ratés et formant, in fine, un état moyen de culture – ensemble de pratiques et de représentations des membres d’une société avec ses allant de soi, ses tabous, ses problèmes restés en suspens, ses projets pour l’avenir…en bref, des mœurs et de leur légitimation plus ou moins probante selon les questions. C’est évidemment de la pertinence du traitement idéologique ou rationnel de ces problèmes que dépend l’avenir plus ou moins heureux d’une société, chaque société ayant à faire à elle-même mais aussi au monde extérieur et aux idées que les autres se font de son état et de son niveau de culture. D’où les aspects bien souvent défensifs (incluant la bravade et l’étalage d’autosatisfaction, la stigmatisation préventive des autres cultures, les velléités d’intimidation également de ceux qui ne voient pas le fait culturel comme « nous ») des ressortissants des différentes cultures, au mépris et dans l’oubli de la fonction vitale première de toute culture : mettre la société dont elle dépend à l’abri des avanies qui la menacent de toutes parts comme le montre bien le livre de Hans Jonas, Le Principe responsabilité, écrit pour un Occident qui a oublié que l’illimitation dans le développement technologique était un facteur d’autodestruction et non de protection contre les menaces de la nature – ce pourquoi la technique était initialement faite.

Introduire une culture du risque au sein du développement technologique est donc le but des concepts du Principe Responsabilité : peur heuristique ou encore principe de précaution qui nous rappellent que la terre n’est pas une réserve infinie de matières premières mais un écosystème que l’action humaine inconsidérée peut dérégler sans retour arrière possible.

C’est à l’aune de la préservation d’un avenir commun possible qu’il faut regarder le contenu des débats récemment rouverts par la volonté présidentielle de faire un sort aux inquiétudes de nos concitoyens au sujet de l’immigration non ou mal maîtrisée en France.

Ce que dit de la culture française la pénalisation de la phrase de Georges Bensoussan sur l’antisémitisme des familles arabes

Un exemple de fracture française liée à l’évolution culturelle de la France dans le contexte de l’immigration incontrôlée c’est le sort qui a été fait à l’historien Georges Bensoussan par la Justice française ; l’issue finalement positive pour l’historien de ce procès en islamophobie – associant pour la première fois en France les Frères musulmans et les associations antiracistes ! – doit donner à penser, si, toutefois, on se préoccupe de l’avenir de la France, comme pays de droits et de libertés.

Il y a beaucoup à dire à propos de la pénalisation de la remarque…du sociologue Smain Laacher[1] reprise, sinon dans les termes au moins dans l’esprit, à l’identique par Georges Bensoussan[2], un non-musulman et un juif de surcroît. Bien que ces aspects soient restés dans l’ombre le temps du procès, ils étaient d’autant plus tus et à taire qu’ils étaient omniprésents dans les esprits. À les dévoiler, l’accusation de racisme ou plutôt d’antisémitisme aurait vite fait de se retourner…contre le Parquet et les associations dites antiracistes. Mais voilà le plus intéressant : Smain Laacher, lui, n’a jamais été le moins du monde inquiété pour avoir dit la vérité qui ne fait pas plaisir à entendre – dans son cas toutes les associations anti-racistes ont estimé qu’il était dans un registre descriptif et scientifique, alors que dans celui de Bensoussan, la même idée était jugée comme passant du descriptif à l’accusatoire et constituant une essentialisation de type raciste. Le déplacement de l’attention des associations antiracistes et du prétoire de la considération de la vérité ou de la fausseté de l’assertion vers l’identité de celui qui la prononce constitue l’aveu même de l’échec de la culture républicaine, cette philosophie qui prétend, au nom de l’universel, pouvoir passer outre à l’identité culturelle des individus pour ne s’intéresser qu’à leur raison, et, au nom de celle-ci, ne voir en eux que des hommes et des citoyens munis de droits inhérents identiques, dès lors qu’ils acquièrent la nationalité française. Mais ce procès a eu lieu qui nous montre que ce n’est pas le cas ; que les intentions qui se cachent derrière les allégations des uns et des autres sont également et immédiatement prises en compte par les récepteurs au sein des échanges sociaux, ce qui remet en selle les identités particulières vues au prisme des sous-cultures non questionnées des préjugés et des stéréotypes affectant les représentations de la culture des « autres » ; la recherche de la vérité, en matière de culture, ne fait pas l’économie, sous couvert d’universalisme, de la position des locuteurs dans l’espace social, tel qu’on se le représente, si bien que tout discours est un discours d’avance pris dans les rets de ce contexte historico-social idéologisé qui le surplombe et le connote qu’on le veuille ou non.

L’impensé de la culture et ses dommages collatéraux

Cette question est primordiale car c’est d’elle que l’idéologie multiculticulturaliste dont nous avons déjà traité ici pour en dire la dangerosité, tire sa force. C’est de ne pas penser comment l’universalisme rationnel s’articule aux particularismes culturels dans l’effectivité concrète des transactions sociales que toute transcendance aux particularismes se voit niée, pire, jugée oppressive pour les minorités culturelles. Et du coup ce qui passe à l’as c’est la recherche, précisément universaliste, de la vérité en matière des faits et des méfaits de toute culture. Ce qui importe en effet aux citoyens rationnels, ou qui souhaitent tendre vers la rationalité, c’est le fait de recueillir toutes les informations utiles pour le service du Bien commun, de la Res publica et non le fait de se chamailler au nom de l’excellence, soi-disant au-dessus de tout soupçon, de telle ou de telle culture, fût-elle majoritaire ou fût-elle minoritaire. Toute façon passionnelle de débattre des mérites respectifs des cultures est absurde et contre-productive car elle bloque de manière paranoïaque l’examen de ce qui, au sein de chaque culture est ou non un ferment de tissage universaliste, l’universalisme n’étant qu’un effort d’arrachement toujours recommencé – même s’il donne lieu à progrès – à tous les partis pris particularistes. Ainsi qui pourrait nier que l’état actuel de notre sensibilité à la souffrance animale, dans l’optique d’un devoir d’assistance à tout être vivant sensible en situation de vulnérabilité est un progrès par rapport à ce qu’elle était il y a encore cinquante ans ? Idem pour l’abolition de l’esclavage en 1848 ou les progrès réalisés en matière d’égalité entre hommes et femmes après la guerre de 14-18 durant laquelle les femmes montrèrent leur capacité à faire marcher l’économie notamment l’industrie, pendant que leurs maris étaient au front. Même en accordant des aspects positifs à la colonisation, qui contestera que l’indépendance des ex-colonies constitue une avancée en matière de reconnaissance de l’égale dignité des êtres humains, toutes cultures confondues ?

Ces exemples montrent bien que beaucoup de facteurs contingents – guerre mondiale, guerre d’indépendance nationale, transformation des sensibilités à la souffrance animale suite aux progrès de la neurobiologie, etc.- sont à l’origine de l’évolution des cultures, pour peu que celles-ci acceptent de s’en saisir. Le critère de la vérité et de l’universalité d’un fait culturel n’est pas, d’autre part, la réussite de son expansion territoriale, contrairement au préjugé de telle ou telle religion (christianisme hier, islam politique aujourd’hui) visant à la domination terrestre. En effet le seul critère de la valeur d’une science, par exemple, c’est la capacité qu’elle a d’exhiber la portée et les limites de son champ de validité – ce que Karl Popper a désigné sous le terme de falsifiabilité. À l’inverse, les fausses sciences des charlatans valent partout et pour tout et démontrent ainsi leur non-falsifiabilité soit leur irrationalité : mages et astrologues n’en font pas moins leurs choux gras étant donné le besoin de consolation et de rassurance sans fin des humains pris dans la tourmente. Les religions quant à elles ne sont ni vraies ni fausses mais honnêtes ou malhonnêtes selon qu’elles reconnaissent ou non le fait qu’elles ne sont pas des contenus de savoir mais de croyances invérifiables par nature. Ce simple distinguo départage les versions respectables des religions de leurs versions fanatiques et politisées.

Mais ces mêmes sciences et techniques développées en mode anarchique et sans égard à ce que le milieu naturel pouvait en supporter ont contribué à une pollution exponentielle qui menace de transformer la terre en poubelle géante ; nous avons donc sans doute besoin de la spiritualité des peuples premiers qui sacralise la terre-mère en la remerciant pour ses dons et en ne prélevant en elle que le nécessaire pour la préserver des menées humaines. C’est très proche – en tous cas par ses résultats – de ce qu’écrit Hans Jonas dans Le Principe Responsabilité en évoquant la nécessité de cultiver une peur heuristique devant le pouvoir de nuisance humain sur la nature et un principe de précaution dans l’innovation technologique. C’est aussi l’illustration du « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » de notre excellent Montaigne.

Le trait le plus saillant d’un esprit cultivé c’est l’humilité

Humain vient d’humus, la terre, qui donne aussi humilité. L’humilité est la qualité d’un homme qui se souvient de qui et de quoi il est dépendant pour sa construction, que celle-ci soit biologique ou culturelle. C’est un fait que l’Occident orgueilleux ne veut pas voir et qui se rappelle à lui par maints ouragans et autres cataclysmes comme autant d’alertes quant à la finitude de toute manifestation humaine : principe de modestie qui vaut aussi pour la pluralité des cultures qui n’ont, chacune, pas à se glorifier d’être ce qu’elles sont contre les autres, au prétexte qu’elles ont plus apporté ou plus souffert. Car cela ne tient qu’aux circonstances historiques et certes aussi à des mérites individuels et collectifs d’autant plus manifestes qu’ils ne se haussent pas du col pour dénigrer les autres mais savent raison garder en examinant de manière impartiale les contreparties de leur aspects positifs : il y en a toujours, comme on l’a vu avec les formidables avancées technologiques occidentales.

Ainsi les musulmans doivent-ils s’inquiéter de la place encore inférieure réservée aux femmes dans la plupart des cultures islamiques qui privilégient la tradition : qu’une anthropologue iranienne issue du monde chiite comme Chadhortt Djavann le leur explique dans son opuscule Bas les voiles n’est pas outrage mais critique bienvenue pour apprendre et continuer à grandir culturellement parlant. Et dans le même esprit, le jour où les anti-islamophobes et les associations anti-racistes seront capables de remercier Georges Bensoussan, nonobstant sa judéité (!) pour avoir pris le risque de critiquer l’antisémitisme prédominant dans la culture musulmane, alors ils seront de vrais universalistes amis de l’islam, un islam enfin devenu adulte, car rejetant toutes les scléroses d’une tradition figée et transmuée en idole ayant soif de sacrifices humains.

Au contraire c’est hélas d’un philosophe juif, Marx, que les multiculticulturalistes ont appris à idolâtrer le fait minoritaire. Le « d’où tu parles ? » des marxistes des années 60-70 est précisément le symbole de cet esprit de suspicion à l’endroit des intérêts particuliers – de classe dominante dans ce cas – qui motiveraient, consciemment ou non, le locuteur, ainsi interpellé. Le sous-entendu était alors l’angélisme concernant les classes laborieuses, tandis que l’arrivée au pouvoir de leurs porte-parole révéla clairement qu’elles étaient capables d’autant de mensonges et de violence cynique que feues les classes bourgeoises. Transposé en mode multiculticulturaliste, le soupçon porte sur l’intérêt culturel ou religieux du majoritaire ou d’un minoritaire estimé plus favorisé que soi – par exemple du juif dont le cas est aggravé par ce que la doxa imprégnant le prétoire regarde comme constitutif de la judéité, qui active le soupçon de racisme antimusulman porté contre Georges Bensoussan. Ainsi, puisque lui, contrairement à Smain Laacher, a été accusé de racisme pour avoir dit exactement la même chose que Laacher c’est donc qu’il l’a dû non pas au contenu de ce qu’il a dit, mais à sa seule qualité de Juif et/ou en tous cas de non-musulman. Un juge éclairé eût demandé aux plaignants si c’était sa qualité de Juif ou de non-musulman qui portaient le CCIF et ses soutiens à qualifier le propos de Bensoussan de raciste puisqu’il ne faisait que répéter celui de Laacher, et l’affaire en fût restée là.

Ce qui nous intéresse ici, par conséquent, c’est la brèche ouverte par l’incapacité de la République à se doter d’une philosophie qui articule l’un aux autres, l’universel et les particuliers. C’est ce divorce qui aboutit aux impasses sociales et politiques actuelles et ouvre un boulevard à la victimisation et aux diverses instrumentalisations de la République par les chantres multiculticulturalistes, dans un face à face de rivalité mimétique mortifère entre extrémistes de tous bords, ce qui, finalement, rend possible la critique par la famille Le Pen des manquements et des dérives des républicains de gauche et qui lui permet de se construire une nouvelle crédibilité uniquement sur la faillite des républicains historiques.

Comment penser un universalisme qui ne soit pas tiraillé en permanence entre la bonne conscience colonialiste et le sanglot de repentance multiculturaliste de l’homme blanc ? Un universalisme qui n’éradique pas les cultures minoritaires pour en définitive ne reconnaître que la culture majoritaire, une culture également particulière – au prétexte qu’elle a développé l’universalisme mathématico-scientifique ?

L’ethnocentrisme et le racisme sont les premiers réflexes de toutes les cultures et c’est à la culture de les dépasser.

Il faut rendre à César ce qui est à César et cesser de s’évertuer à vouloir être tout et avoir tout appris au monde, simplement parce qu’on est soi.

Or l’ethnocentrisme et le racisme sont les traits que partagent toutes les cultures avant de faire retour sur elles-mêmes ; c’est l’enseignement de Claude Lévi-Strauss dans Race et histoire. Pour en sortir il faut travailler sur ses préjugés et ceux de son milieu : ceux qui n’ont pas fait ce travail restent des racistes, et/ou des antisémites qu’ils se l’avouent ou non.

L’universalisme ne sera plus opposable aux particularismes bunkérisés le jour où on acceptera que chaque peuple et chaque culture ou subdivision de culture a contribué, pour une part – sa part d’universalité – à la culture humaine. Pour la culture arabe je le dis tout de suite : elle traite bien mieux ses anciens que nous, Occidentaux, ne le faisons, nous qui laissons nos « vieux » mourir seuls et abandonnés dans des maisons de retraite ou des hôpitaux sans âme, dans le temps où nous vitupérons les égorgements de moutons dans les baignoires pour l’Aïd El Kébir – ceci ne justifiant pas cela. Les Arabes ont aussi inventé les chiffres du même nom, tout de même plus pratiques que les chiffres romains à rallonge. Et ils furent des véhicules de la logique d’Aristote en Occident au XIIᵉ siècle avec Averroès – Ibn Rushd – grâce notamment aux traductions de l’arabe en latin opérées par des Juifs. Car la culture se moque bien des frontières géographiques et religieuses. La culture c’est quand la raison prime sur les identités. L’universel se moque des egos culturels. En revanche il convient d’observer qu’il n’est pas un contenu parachevé qui serait détenu par les uns ou par les autres. Il est un travail, un arrachement de la raison d’individus culturellement situés à ce qui est admis en vertu de la simple tradition culturelle et des coutumes ancestrales. Arrachement qui est aussi difficile que le retournement d’une coquille d’huître, écrivait Platon. Car il implique de détourner le regard des aveuglantes pseudo – évidences de l’opinion ambiante et d’emprunter des chemins solitaires forcément moins sécurisants. Un proverbe arabe le dit très bien : « Celui qui aime dire la vérité doit avoir un cheval pour fuir. » Mais Socrate est resté, non parce qu’il n’avait pas de moyen de fuir mais par loyauté envers les lois de la démocratie athénienne qui lui avaient permis de batailler pour la vérité et l’intérêt général.

Il est vrai que l’Européen a brillé dans le domaine de la raison philosophico-mathématique, domaine qui lui a, au passage, permis faire émerger les droits individuels et inhérents de l’homme et du citoyen, non pas parce que cet héritage grec est resté isolé mais précisément parce qu’il a croisé et intégré l’héritage sinaïtique de l’égalité d’essence et de dignité de tous les êtres humains créés à l’image et à la ressemblance divines. La culture européenne inclut une remarquable et, bien rare parmi les peuples, curiosité de l’autre ; mais l’Europe fut esclavagiste, génocidaire tandis qu’aujourd’hui elle ne l’est plus mais les musulmans parfois encore. Enfin la culture judéo-chrétienne est une culture de la culpabilité qui rend possible de nombreux progrès moraux, tandis que la culture arabo-musulmane, comme toutes les cultures holistiques, où le groupe prime sur les individus, reste encore majoritairement une culture de la honte, qui stigmatise les critiques qu’on lui fait comme des offenses, des manières de faire perdre la face aux musulmans. Dans ce cas, il n’est pas étonnant qu’elle se laisse atteindre par la sclérose et n’évolue plus. Cet état de choses est néanmoins remédiable, forcément s’agissant d’êtres humains. Encore faut-il que l’Europe cesse de traiter les musulmans en demeurés et s’attache à mieux traiter les promoteurs de modernité des pays musulmans plutôt que de chercher à se concilier les bonnes grâces des plus obscurantistes.

Mais, quelles que soient les qualités et les défauts des uns et des autres, la culture-Bildung est un fait dynamique qui se tourne vers l’universel à partir d’une pluralité d’apports croisés, dans la mesure non pas des identités culturelles mais au contraire du désir et de la capacité des individus ressortissants de ces cultures de transcender les différences ou les ressemblances culturelles pour entrer en dialogue en toute bonne foi avec des pensées étrangères à la leur en vue de grandir en Bildung de part et d’autre. Il y a un devoir de fraternité dans la cohérence et la fermeté des peuples d’Occident vis à vis des immigrés musulmans relativement aux aspects les moins avancés de leurs cultures. Cela non pour les opprimer ou se vanter de leur être essentiellement supérieurs, mais parce que les aspects universalistes de la culture occidentale sont précisément ce qu’ils sont venus chercher en Occident. Et que pour eux, constater que l’Occident ne s’y sent plus si attaché que cela, ne constitue rien de moins qu’une sorte de permis de mépriser cet Occident autrefois si fier de les coloniser au nom de la supériorité de sa civilisation mais désormais juste bon à se faire coloniser à son tour puisqu’il semble ne plus avoir de civilisation à défendre.

Il est usant d’avoir à répéter ces vérités que l’ethnocentrisme rémanent de certains récuse au nom de la susceptibilité identitaire aussi idiote quand elle est minoritaire que quand elle est majoritaire.

Que la rivalité s’installe entre gens adultes et elle deviendra émulation constructive. Bonne compétition. Que les juges comprennent ce qu’est réellement l’intérêt général plutôt que de laisser instrumentaliser la Justice par le ressentiment minoritaire : tout chantage à la victimisation raciste doit être récusé et désigné pour ce qu’il est : un chantage sans doute plus dommageable encore pour ses initiateurs que pour l’inculpé malgré le caractère épuisant du combat que dut mener Georges Bensoussan. En l’occurrence, les associations soi-disant anti-racistes qui se sont élevé contre le propos de Georges Bensoussan – et du coup de Smain Laacher – ont de fait, en validant l’accusation du CCIF, enfermé les musulmans collectivement dans une identité d’impuissants décérébrés face à une critique culturelle. Cachez cet antisémitisme qu’ils ne sauraient voir ! leur a-t-on susurré. Car nous, Occidentaux, nous sommes assez aguerris pour voir les défauts de notre culture. Tandis que vous, pauvres débiles vous n’en avez pas le début de la capacité. Voilà comment le mépris paternaliste de l’ancien colonisateur reprend du service au nom des bons sentiments ! Comment voulez-vous alors prôner une immigration « chance pour la France » ?

Mais me direz-vous alors, mettre en cause collectivement un peuple ou un groupe n’est jamais raciste ? Ne vous faites-vous pas ici l’avocat du diable, en l’occurrence du racisme ?

Mais qu’est-ce que le racisme ? Ce n’est pas la critique d’une culture dans tel ou tel de ses aspects ; c’est d’une part, au sens strict, faire dépendre les tares d’un individu ou d’un peuple de sa biologie et décider que quelle que soit l’éducation reçue la race parle plus fort. « Que Dreyfus soit capable de trahir, je le conclus de sa race » s’écrie Maurice Barrès ; le racisme, en un sens plus large, d’autre part, c’est la légitimation, soit biologique soit culturelle du maintien de catégories ou d’individus au motif de leur infériorité prétendument indépassable sous la domination pérenne d’autres catégories ou individus. C’est le refus de permettre à ces catégories ou à ces individus d’avoir, quels que soient leurs efforts et leurs mérites, un espoir de se hisser au niveau des plus talentueux et des plus reconnus des membres d’une société, et cela quel que soit le bénéfice que celle-ci en tirerait. Le racisme c’est le contraire de la culture.

Le plus terrible c’est sans aucun doute le fait de penser que très peu sont ceux qui ont compris en profondeur l’enjeu du combat anti-raciste.

Pour terminer je vais moi-même faire acte de contrition en reconnaissant que je me suis un temps laissé égarer par le sens généralisant pouvant prêter à suspicion de racisme, au sujet « des » familles arabes dans le propos de Georges Bensoussan. Or écrire comme Jean-François Lyotard : « l’antisémitisme est constitutif de l’Europe »[3] c’est la même idée qu’en ce qui concerne « les » Arabo-musulmans. Si tous ne sont pas antisémites, la culture arabo-musulmane, elle, reste bien entachée d’antisémitisme et d’ailleurs d’antichristianisme via, notamment les sourates de Médine du Coran ce qui, très concrètement, signifie que cet antisémitisme et cet antichristianisme sont véhiculés de façon quasi – naturelle et spontanée dans non pas toutes les familles mais bien dans une majorité d’entre elles et surtout les moins éduquées, exactement comme l’antijudaïsme et l’antisémitisme pour les familles chrétiennes occidentales avant le Concile de Vatican II (1961-1965) et parfois même après. Le phénomène sociologique est celui de ce que Bourdieu appelait un « habitus culturel » et il veut dire exactement cela. Bensoussan l’a redit à la suite de Laacher, cela seul doit être considéré pour pouvoir progresser collectivement quelles que soient les susceptibilités. L’École a encore bien du chemin à faire pour servir comme il se doit les citoyens qui la subventionnent en déconstruisant activement les habitus culturels néfastes plutôt qu’en relayant l’électoralisme politique par des programmes scolaires paternalistes et démagogiques portant au pinacle la civilisation idéalisée d’Al Andalus : ni les Arabes ni l’islam n’ont besoin de pareilles béquilles, sauf à cultiver, avec l’assentiment des Européens, le mensonge et la violence, prodromes du totalitarisme. NL

lamnNadia Lamm, MABATIM.INFO
Philosophe

[1] Voici la phrase textuelle de Smain Laacher « Cet antisémitisme il est déjà déposé dans l’espace domestique. Il est dans l’espace domestique et il est quasi-naturellement déposé sur la langue, déposé dans la langue. Une des insultes des parents à leurs enfants, quand ils veulent les réprimander, il suffit de les traiter de juif. Bon. Mais ça toutes les familles arabes le savent. C’est une hypocrisie monumentale que de ne pas voir que cet antisémitisme il est d’abord domestique. » cf. le film de Georges Benayoun « Profs en territoires perdus de la République ? » diffusé en 2014 sur France 3.
[2] La phrase de Georges Bensoussan le 10 octobre 2015, au micro d’Alain Finkielkraut pour son émission « Répliques » : « C’est une honte que de maintenir ce tabou, à savoir que dans les familles arabes en France, et tout le monde le sait mais personne ne veut le dire, l’antisémitisme on le tète avec le lait de sa mère. » Les idées sont strictement les mêmes dans les deux séquences : 1) L’antisémitisme imprègne culturellement la famille arabe au point qu’il en devient une sorte de quasi-évidence naturelle ; 2) Il est donc possible de juger comme hypocrite/honteux de taire cette réalité. 3) Le sous-entendu commun aux deux affirmations : en France l’antisémitisme n’est pas une opinion mais un délit. Il est donc vital pour la France et les Français de se confronter à ce problème culturel arabe ou encore constitutif du monde arabo-musulman.
[3] Dans un texte paru dans Libération en mai 1990, juste après la profanation du cimetière juif de Carpentras, il [le philosophe Jean-François Lyotard] a déclaré que l’antisémitisme, qu’il distinguait radicalement du racisme, est « constitutif » de l’Europe « qui ne veut ou ne peut rien savoir de ce que représentent les Juifs […] qui n’ont pas de racine dans une nature comme les nations européennes » mais qui « se réclament d’un livre » Joëlle Hansel, « Jean-François Lyotard. Être juif au-delà du Texte » interview de l’une des filles de J.-F Lyotard, Corinne Enaudeau, professeur de Philosophie pour l’Arche, numéro 676, mai-juin 2019, p. 82-83.

2 commentaires

  1. Longue réflexion très intéressante sur les tenants et les aboutissants du multiculturalisme, du colonialisme, la repentance, l’antisémitisme, le deux poids-deux mesures, etc…. Des effets et méfaits de ces sujets.

    Des réponses à chercher et qui n’aboutiraient toujours qu’à du relatif (à l’heure qu’il est, parce que l’on n’est pas au bout du chemin)

    Qui mérite une relecture bien plus attentive, que celle d’un simple passage sur cette page. Copie donc, afin de pouvoir bien le lire à un moment opportun.

    Un grand merci pour cette réflexion claire, qui donne des éléments et le matériel, pour un sujet à très grande réflexion.

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  2. Y a t-il encore beaucoup de gens pour s’intéresser à la France? J’en doute!
    Son avenir est dores et déjà écrit.

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