L’actuelle pandémie coronavirale a rebattu les cartes de la mondialisation heureuse, dogme quasi – théologique des leaders de l’UE, Allemagne et France en tête. Selon Marcel Gauchet (Philomag), c’est le retour du primat du politique auquel, sans risquer de se tromper, Philippe de Villiers ajoute la priorité des nations souveraines sur les nations passoires (Valeurs Actuelles).
Nous allons montrer que c’est aussi le retour de l’économie contre le réductionnisme économiste.
C’est en effet d’une révolution anthropologique, sans laquelle la remise en question radicale de la mondialisation tueuse ne sera qu’un feu de paille, qu’il faut selon nous prendre conscience pour l’accueillir et l’aider à prendre forme.
Le cloître et le monde.
D’abord, pour parler de mondialisation, il faut postuler que chaque citoyen envisage un monde commun possible et désirable. Revenant à l’étymologie de cosmos, je relève que le mot renvoie aux notions d’ordre, d’harmonie et de beauté, des qualités qui, chez les Grecs anciens, étaient toujours couplées à l’idée de mesure, voire d’autarcie.
Or le monde de la mondialisation actuelle est celui de l’illimitation de l’avidité de quelques-uns : ce n’est pas le monde comme cosmos, mais, en quelque sorte celui de l’immonde et de l’immondice, un être dont aucune beauté n’émane puisqu’il correspond à l’accumulation financière placée au-dessus de tout, ce qu’Aristote appelait la chrématistique, le désir d’accumuler l’argent sans autre finalité que d’en faire de plus en plus, pulsion régressive que Freud évaluait comme incapacité à dépasser le stade sadique-anal.
Le mot de confinement auquel nous sommes aujourd’hui confrontés contient la notion de limite – finis en latin – comme un utile signal d’alerte pour nos velléités de dépassement de ce qu’autorise la condition humaine, condition finie, qui a besoin qu’on l’accepte pour ce qu’elle est, avec ses limites structurantes : condition mortelle, sexuée et pas seulement genrée, même si le genre veut signaler, à juste titre, que nous vivons forcément notre sexe biologique au sein de la culture ambiante, celle des Grecs vantant les charmes de l’homosexualité tandis que l’hétérosexualité était réservée à la procréation, au contraire de la culture judéo-chrétienne. Pour autant le VIH n’a pas manqué de terrasser, en notre temps de brassages humains, beaucoup d’homosexuels. Ce n’est pas un jugement c’est un constat.
L’épidémie est souvent liée à des usages inconsidérés du monde : qui est plus proche de celui-ci ? Socrate, disant dans le Phèdre : « pour philosopher je me suis mis à l’écart du monde » ou le trader pressé qui sillonne le monde sans le voir passant d’aéroport en aéroport, de duty-free en duty-free ?
La nonne cloîtrée en son monastère et rompue aux découvertes en eaux profondes d’une vie de ferveur, ou le citadin bobo qui égrène ses lieux communs de terrasse en apéro sans avoir rien pensé ou ressenti personnellement avant d’en bavarder avec ses voisins ? Et si être connecté au monde dans sa réalité propre était conditionné par un travail sur soi-même pour se détacher des apparences premières ? Alors notre confinement ne nous ferait réellement progresser qu’à la condition de nous faire faire l’expérience du retour à l’essentiel, c’est-à-dire à l’économie de nos faux besoins, de notre fuite en avant transhumaniste pour oublier que nous ne sommes que poussière et que nous ne pouvons pas continuellement défier les lois de notre vie sur terre sans entraîner un retour de boomerang.
Le monde pas l’immonde.
Reprendre pied sur terre, ce serait accepter d’être arrêtés dans notre course folle vers une illusoire victoire sur toutes les limites de la condition humaine.
Ainsi on ne peut réaliser de vie terrienne heureuse en décrétant que les cultures les plus diverses pourraient cohabiter n’importe où, n’importe comment, sans préjudices réciproques. Déjà on voit l’inflation de ressentiment générée par l’invitation illimitée des migrants économiques dans nos économies ravagées par les délocalisations industrielles – notamment pharmacologiques – et agricoles. A qui devons-nous réellement nous en prendre : à « eux » ou à nous ? À nous, bien sûr. Les hommes et les cultures ne sont pas des chiffres sur une calculette de financier aux profits astronomiques, ils ont leurs propres tempos, leurs propres logiques de « progrès ». À les méconnaître on n’en récolte que mépris et violence. L’économie ne tient pas lieu de culture, ni de sociologie comme l’avait bien montré Auguste Comte, sauf pour un réductionnisme de pacotille. La science dont on nous bassine en ce moment pour faire taire toutes les velléités de critiques vis-à-vis de la gestion étatique de cette pandémie, la science, donc, est bel et bien méprisée par les apôtres de la mondialisation heureuse. L’épreuve que nous traversons rendra-t-elle à nos gouvernants une claire conscience des limites de notre condition humaine et de l’importance de savoir distinguer la politique de ses succédanés : « gouvernance » et autres gadgets à la mode, qui visent à substituer à l’action responsable des hommes au pouvoir, une simple gestion technocratique ?
Cultiver la terre entière comme notre jardin.
C’est aussi à cette sagesse des limites que pensait Voltaire face à Pangloss, l’ubiquitaire qui se félicitait de l’harmonisation providentielle des événements du monde sans que l’homme n’ait à s’en inquiéter. Dans son « cultivons notre jardin » prononcé par Candide à la fin du conte éponyme, Voltaire insiste sur l’effort que chacun, à sa place, est obligé de fournir pour qu’il y ait un monde, au sens vrai de ce mot. Et aujourd’hui on le voit ô combien, avec le besoin dans lequel nous sommes de personnel médical dévoué, et plus largement de l’investissement de chacun, à sa place, qui est simultanément devenu un poste à responsabilité – celle de ne pas propager le virus – pour que le monde reste – c’est le cas de le dire – respirable et vivable. Et si les personnels médicaux sont applaudis soir après soir, c’est bien qu’ils prennent, eux, des risques parfois héroïques en travaillant avec des patients infectés et trop peu de masques, parfois contraints de choisir les patients à soigner et ceux à laisser mourir : la mondialisation heureuse montre ici son vrai et hideux visage, celui de la schizophrénie de notre culture partagée entre le serment d’Hippocrate et la pratique des sacrifices humains.
Revenir à nous-mêmes, renaître au monde.
C’est cet équilibre fragile qui relie le global au local qui doit être préservé pour qu’il y ait monde. On pourrait dire que cette pandémie nous remet au monde en tant qu’humains – de humus – la terre qui donne « humble ».
Si nous voulons réellement partager des éléments privilégiés de notre habitat commun, être hospitaliers les uns envers les autres, il nous faut nous relier à notre bien singulier : notre patrie – ce mot dit que chaque nation a une âme[1] – nos paysages, nos ressources naturelles à préserver, nos cultures à hériter, en vénérant quelque peu nos pères qui, les premiers ont mis en valeur ce qu’on appelle si bien un patrimoine.
Reconnaître que celui qui dit : « il n’y a pas de culture française » est un sombre plouc et un zombie qui menace non seulement les siens, mais justement l’harmonie d’ensemble du tout, fait de chacune de ses parties, pour peu qu’elle soit protégée et rayonne de sa beauté pour les autres. Qui doivent aussi avoir droit à leur propre spécificité. Un universaliste de pacotille, un Schmock et pas un Mensch, dénigre sa patrie parce qu’il n’en aime aucune, contrairement à l’affirmation de Jaurès : « j’aime ma patrie parce que j’aime toutes les patries ».
Dans l’humaine condition, celui qui veut dépasser certaines limites anthropologiques, qui ont pour nom passé commun, richesses locales cultivées et intégrées lentement dans nos âmes et dans nos esprits, est un terminator qui nous met en danger de mort. Cela maintenant se voit et se sait. Il faut revenir à nous, habiter la terre, non la planète morte de Midas qui ne porte le nom de « mondialisation » qu’abusivement puisqu’elle interdit à notre espèce toute relation à un monde commun digne de ce nom.
Cultivons notre jardin, notre intelligence locale et spécifique et notre monde sera beau. Foin des misanthropes qui nous spolient des longues durées qui font les interpénétrations culturelles à l’aune de ce qui peut se marier, et non des chocs programmés de civilisations !
La culture comme la vie prend son temps.
Les êtres humains, sont des êtres de culture et l’économie ne déroge pas à cette définition : elle s’appuie sur la mise en valeur d’un donné fait de ressources locales vivrières et de savoir-faire industriels, bref de l’aménagement de notre territoire national.
Le reste relève du suicide. NL♦
Nadia Lamm, MABATIM.INFO
[1] Sur l’âme, lire le beau livre de François Cheng, De l’âme (2016) éd. Albin Michel. On peut aussi réécouter François Cheng, parlant à La Grande Librairie de ce livre.
Intelligent, sensible, sensé… Merci !
J’aimeJ’aime
Belle réflexion : Aller à l’essentiel.
Cultiver son jardin n’empêche nullement d’être hospitaliers les uns envers les autres.
Cette aberration d’un désir mondialiste, ne génère que des attitudes individualistes. Jaurès l’exprime bien : « j’aime ma patrie parce que j’aime toutes les patries ».
Pourquoi tout ceci paraît évident à de simples personnes (pas simplettes pour autant) et au contraire ne semble pas être compris par ceux que l’on dit « experts » ?
Eh oui la réponse est : l’avidité !
Sont ils si nombreux ceux qui cherchent à combler des manques qui n’existent pas ?
Est-ce pathologique ?
Oui bien sur pour le progrès, celui qui est nécessaire et non superflu.
J’aimeJ’aime
Excellent article, dont la teneur philosophique s’accorde bien avec l’époque que nous vivons et remet un peu de sagesse dans notre appréhension de la vie. Il est urgent, en effet de quitter cette mondialisation malheureuse et de cultiver notre jardin.
J’aimeJ’aime