Nous assistons avec la crise sanitaire du Covid-19 à certains dérapages qui associent les communautés juives dites ultra-orthodoxes à une généralisation de comportements compris comme déviants, voire délinquants. À cela s’ajoutent de plus en plus de témoignages vidéo via les réseaux sociaux dénonçant souvent ces communautés, les mettant toutes dans le même panier, sans apporter les nuances qui s’imposent. Ces étiquetages peuvent tourner rapidement à la stigmatisation. Ces communautés sont de plus associées aux discours antisémites avec des propos et des caricatures malheureusement très connus sur le plan historique : Les juifs : responsables des épidémies ; ont plus de pouvoir car ils ont plus d’argent ; le complot sioniste, etc. Rappelons-nous seulement que la stigmatisation est un processus d’étiquetage d’un individu ou d’un groupe à travers des indices visibles ou invisibles allant du handicap, la couleur de peau ou l’appartenance à un groupe minoritaire. En ces temps difficiles de stress absolu, pour paraphraser Sonia Lupien, il est crucial de ne pas généraliser cet étiquetage auprès de ces communautés ultra-orthodoxes, voire plus largement dans la communauté juive et dans la société.
Il faut distinguer les sous-groupes radicaux et extrémistes du reste de la communauté. Si les ultra-orthodoxes représentent près de 10 à 12 % de la communauté juive montréalaise, dans la réalité, seule une partie infime de ce pourcentage a pris plus de temps à se conformer aux règles de la Santé Publique. Depuis, les ajustements ont été effectués partout, et ce, avec une collaboration exemplaire avec les instances policières et de santé publique. En contexte de crise sanitaire avec le Covid-19, force est de constater que des dérapages peuvent avoir lieu en dénonçant plus certains groupes sociaux que d’autres. On peut ainsi penser aux Chinois qui seraient les responsables de toute cette crise et tous ces décès à travers le monde. Dans cette même veine, stigmatiser plus les juifs ultra-orthodoxes peut causer plus de tort que de mal si nous ne nuançons pas les propos en lien avec les acteurs en question.
Judaïsme radical vs groupes ultra-orthodoxes
Il est important de distinguer le judaïsme radical des groupes ultra-orthodoxes en général. À titre d’exemple, le mouvement Habad est un groupe ultra-orthodoxe mais plus ouvert à la diversité sociale et culturelle, à la science et au monde moderne. Leurs membres parlent les deux langues officielles et établissent des liens sociaux avec une diversité impressionnante d’individus et de groupes, à travers le monde. De l’autre côté, nous avons les Netouré Karta et le quartier Méa Shéarim à Jérusalem ainsi que la communauté à Bnei Brak près de Tel-Aviv. Ces groupes radicaux s’apparentent à la communauté Tosh de Boisbriand et se situent plus dans le radicalisme. Ils dévalorisent de parler anglais ou français privilégiant plus la langue Yiddish, idem pour la science, l’internet, la diversité sociale et culturelle, etc.
Une des prémisses sur laquelle repose ce judaïsme radical orthodoxe est le fait que l’environnement social extérieur est vu et représenté comme un espace hostile par les membres du groupe. Ce monde, au-delà des frontières, est axé sur des valeurs matérielles telles que le consumérisme, l’individualisme, une certaine débauche, voire une « jungle » dont il faut coûte que coûte se protéger de peur de perdre son identité individuelle et collective. Ainsi compris, l’espace doit donc être sauvegardé de l’intérieur en s’élevant spirituellement et en suivant les préceptes des leaders et du groupe en question. Comme dans tout groupe organisé, il y a des règles à suivre, règles qui sont dictées par ceux qui possèdent un certain pouvoir dans l’organisation du groupe. Principalement, certains Rabbins qui prêchent la philosophie et l’idéologie du repli sur soi au nom de la survie du groupe. Ces regroupements soutiennent alors qu’ils sont les gardiens de la foi perdue qu’il faut travailler à retrouver en recrutant le maximum de membres et en imposant une façon radicale de pratiquer le judaïsme.
Nombrilisme social
Ce qui prévaut avec ces regroupements de juifs radicaux orthodoxes c’est la doctrine du nombrilisme social et de la coupure avec le monde extérieur. Essayez d’entrer en contact et de parler, même en hébreu, avec certains juifs radicaux à Boisbriand ou parfois à Outremont à Montréal, vous expérimenterez le rejet pur et simple car vous n’êtes pas à leurs yeux le prototype du juif, du vrai. Ce n’est pas seulement la distinction physique et vestimentaire qui produit cette division du dehors/dedans et qui se répercute dans l’espace social plus large, il y a aussi l’isolement relationnel dans l’environnement public qui se traduit par une absence quasi totale de liens sociaux. À vouloir à tout prix être trop différent de l’autre, le repli sur soi produit définitivement des effets pervers. Quand l’appartenance n’est plus dictée par la diversité (sources multiples d’intérêt) et l’universalisme (il y a des rabbins universalistes), on ouvre plus les portes à l’exclusion, à la faiblesse des liens sociaux, voire au communautarisme et à la dépendance au groupe.
Cela étant, alors qu’ils ne représentent qu’une infime minorité, le regard extérieur par la société en général a souvent tendance à associer ce sous-groupe radical à la communauté juive dans son ensemble. Cette représentation primaire relève du piège de la classification qui nuit à l’ensemble en produisant une coupure entre les bons normaux et majoritaires et les méchants déviants et minoritaires. Peut-on éviter ces dérapages qui peuvent mener à des caricatures et à des discours antisémites ? La vérité est que le judaïsme est une réalité plurielle avec une diversité extraordinaire inclusive ayant à cœur l’intégration et la réussite avec une participation exemplaire dans tous les domaines de la vie citoyenne. Peut-on faire l’exercice de distinguer le vrai du faux en évitant d’associer tous les juifs à partir d’une observation d’un sous-groupe ? Comparaison n’est pas raison. AS♦
Jacob Amnon Suissa, PhD, MABATIM.INFO
Université du Québec, Montréal
Un peu facile de vouloir detacher la mouvance « radicale » , la dingue, la parano .. de l’ultra orthodoxie , l’aimable et l’eclairee. Ce ne sont pas des voies divergentes mais depuis la base, du simple croyant un montage pyramidal qui nous mene a la radicalite. Et qui sait s’il n’existe pas deja une super-radicalite ?!!
En prenant cette image extreme comme embleme et repoussoir , j’ai bien peur que le monde ne soit pas si loin du compte.
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Détacher la mouvance, non ce n’est pas facile, c’est plutôt complexe. L’objectif de ce court article
(Voir autres articles sur ce sujet dans Mabatim) était double: illustrer la dynamique interne du mouvement radical dans son fonctionnement d’une part et le défi de sensibiliser et prévenir des associations/étiquetages/stigmatisations avec le judaisme dans son ensemble et Israël en particulier, d’autre part. Autrement, vu mon expertise dans le champ des dépendances, ces groupes radicaux et fondamentalistes ne sont pour moi que des sectes et sont loin des valeurs juives universelles.,Shalom.
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