
Le diable a aujourd’hui la figure des mots. On le brûle tant et plus sur les fagots de la désécriture dite inclusive, c’est-à-dire celle qui exclut l’ancestrale histoire des mots au nom d’une bizarre et projective égalité sexuelle allant jusqu’à proscrire « Les droits de l’homme ».
Tel augurait Walter Benjamin dès 1933 :
« Pauvres, voilà ce que nous sommes devenus. Pièce par pièce, nous avons dispersé l’héritage de l’humanité, nous avons dû laisser ce trésor au mont – de – piété, souvent pour une centième de sa valeur, en échange de la petite monnaie de l’actuel. À la porte se tient la crise économique, derrière elle une ombre, la guerre qui s’apprête1 ».
Le diable a la figure du passé, de la mémoire, de l’histoire. Le diable est celui qui nomme la quincaillerie des dupes de La société du spectacle2 .
Tout individu bien-pensant étroitement lié à cette société de l’oubli, adepte de la cancel culture, se doit donc d’entasser les fagots du bûcher pour y griller le diable et définitivement écraser la tête du serpent. Un monstre séducteur pervers de toute Eve (#Metoo) ayant goûté au fruit défendu de la connaissance.
On alimentera le feu avec du Lepen, qui brûle si bien, et on l’arrosera à coup de louche de populisme rendu bien visqueux.
Au bûcher donc, Christine Kelly, la sorcière en chef de Face à l’info, qui rend pourtant subtilement la monnaie de son discours au Serpent déguisé en Zemmour. Et peu importe les mises au point savantes de Marc Menant, Eric de Riedmatten, Dimitri Pavlenko, Régis Le Sommier peu impressionnés par le tentateur et ses rappels au relativisme historique sous-jacent au champ politique. Chaque séquence fait enseignement sans pour autant forcer l’adhésion.
Et voilà qui sans doute mérite une double peine. Rien de moins que La belle histoire de France – quel culot !— que la sorcière, telle une salamandre insensible au feu ose présenter. Le dialogue passionné et passionnant de Marc Menant et Franck Ferrand nous mène dans les recoins des non-dits sur les plus grands qui ont fait la France. C’est tout le contraire d’une apologie du pouvoir, écrite après coup pour justifier une domination politique, mais à la loupe, l’humain ses vices, ses défauts, ses échecs dont, en fin de compte, nous sommes redevables. Non pas « un passé qui ne passe pas » mais un passé dont même les échecs, les tâtonnements et les ridicules ont forgé le pays.
Trop, c’est trop. Voilà qu’on ne prend plus les téléspectateurs pour des simplets, des abstentionnistes de la pensée.
L’humain, devenu presque clandestin, résiste encore aux sirènes numériques néo-libérales du « en même temps ». MN♦

Marc Nacht, MABATIM.INFO
Psychanalyste, écrivain
1– Cité par Frédéric Pajak, in Manifeste incertain, T.I. Les Éditions noir sur blanc. Lausanne.
2– Guy Debord. Gallimard, Folio, Paris 1992.