Les guillemets de Libération

Un attentat à la voiture bélier et au couteau a tué 4 civils israéliens et blessé plusieurs autres, dont deux gravement, dans la principale ville du sud d’Israël, le 22 mars 2022. C’est l’attentat terroriste le plus mortel dans ce pays depuis 2016.

« Attaque terroriste à Beer Sheva : 4 morts et 2 blessés graves ; l’assaillant abattu »

a titré le Times of Israel.

Notre Libé national a employé presque les mêmes mots, mais pour dire le contraire, grâce à des guillemets. Le Larousse nous rappelle opportunément que ce signe typographique est utilisé, tout comme l’expression orale « entre guillemets », pour indiquer

« qu’on ne reprend pas à son compte une affirmation, qu’on souligne une intention ironique ou un euphémisme (Larousse). »

Libé ne reprend-il pas à son compte le caractère terroriste d’un attentat qui a fait quatre morts ou bien souligne-t-il une intention ironique, voire un euphémisme ?

Lorsque le théâtre de Marioupol, en Ukraine, a été bombardé, faisant un blessé grave, Libération a publié pas moins de huit articles. Les seuls guillemets qu’on y relève sont autour d’une citation du président américian (sic) :

« Joe Biden a qualifié pour la première fois Vladimir Poutine de  »criminel de guerre ».1»

Il existe des journaux d’information

Ils sont différents de ceux qui se consacrent à la propagande et qui se sentent Libérés de toute fidélité aux faits et à l’enchaînement des causes et des effets.

« Les médias israéliens ont rapporté que l’agresseur présumé, Mohammad Ghaleb Abu al-Qian, 34 ans, était un enseignant de la ville de Hura, qui a purgé une peine de trois ans de prison pour appartenance au groupe terroriste État islamique et tentative de recrutement. Il a été libéré en 2019. » Ces faits sont rapportés par le Times of Israel.

Au temps pour « l’humiliation quotidienne », pour « la pauvreté », pour « l’ignorance »… qui sont les excuses dont nos compatriotes ne sont pas avares pour expliquer cette sauvagerie.

Ou plutôt « n’étaient » pas avares. Depuis que le terrorisme a tué, chez nous, des consommateurs de boissons haram à Paris ou les spectateurs d’un feu d’artifice célébrant autre chose que des attentats contre des Juifs, les guillemets ont disparu du ©label rouge sang qui accompagnait le mot « terroriste ».

Le terroriste sans guillemets a été abattu

Un chauffeur de bus qui, derrière son volant, avait assisté à la scène, est allé porter secours aux victimes. Il a tiré sur le terroriste après avoir tenté de le raisonner et il a témoigné après coup :

« C’était une personne… Nous sommes des êtres humains, nous ne sommes pas des animaux . Je ne suis pas habitué à une telle situation, à tirer sur une personne. Je suis désolé pour lui, mais c’est lui qui l’a cherché (Israel National News) » a regretté celui qui est considéré comme un héros dans le monde juif.

Dans le monde musulman, c’est celui d’en face qu’on célèbre en héros. Pour soutenir ce point de vue, aucune réticence côté palestinien. Al-Jazeera, la chaîne qatari, s’en fait le porte-parole :

« Le Hamas, qui gouverne la bande de Gaza occupée2, et le Jihad islamique palestinien ont salué l’attaque. Le porte-parole du Hamas, Abdel-Latif al-Qanou, a déclaré que les « crimes commis par l’occupation » contre le peuple palestinien ne pouvaient être combattus que par de tels « actes héroïques ». Tariq Salmi, porte-parole du Jihad islamique, a déclaré que l’attaque était « une réponse naturelle aux crimes de l’occupation dans le Naqab », ajoutant qu’Israël « se rendra compte une fois de plus que notre peuple ne se rendra pas. » (AlJazeera) »

Dans une démocratie, on vote et on discute

En revanche, la députée de la Liste arabe unie à la Knesset, Aida Touma-Sliman, a condamné :

« Je condamne l’attaque contre des civils innocents à Beer Sheva. J’envoie mes prières pour le rétablissement des blessés et mes condoléances aux familles des personnes tuées. »

Le parti islamiste Raam, qui fait partie du gouvernement, est allé dans le même sens.

« Raam condamne cette attaque méprisable à Beer Sheva et envoie ses condoléances aux familles des personnes assassinées. Raam appelle tous les citoyens à préserver le tissu social commun et fragile, à être responsables et à faire progresser un discours de tolérance en cette heure difficile (Times of Israel)»,

peut-on lire dans son communiqué de presse.

Les journagandistes libérés font semblant de l’ignorer, mais les Israéliens arabes ont des représentants au parlement et même un parti au gouvernement. Ils n’ont donc pas besoin de recourir à des attentats pour s’exprimer ou pour promouvoir leurs revendications.

Au temps, aussi, pour l’excusisme version « absence d’autre moyen de se faire entendre pour des victimes condamnées à recourir à la violence ».

Où sont les guillemets d’antan ?

Dans les mises à jour ultérieures, les guillemets de Libération ont disparu. On aimerait croire à une prise de conscience sur l’amoralité de la première version. Hélas, le bon sens penche plutôt pour une prise de conscience du degré d’information des internautes, à qui on ne peut plus faire prendre les vessies de son militantisme pour la lanterne de l’information, a fortiori pour les Lumières du XXIᵉ siècle.

Ce sont les guillemets qui sont antisémites, pas les journalistes !

L’ambassade d’Israël a protesté. Libé a piteusement expliqué que les coupables étaient les guillemets. Ce n’est pas la première fois que la presse de gauche est agressée par des signes de ponctuation pervers.

Il y a quelques années, quand l’antisionisme, encore mineur, n’avait pas encore acquis le droit de vote, le Nouvel Obs avait lui aussi trébuché sur des guillemets. Cette fois-ci elles avaient sévi par leur absence.

Avant l’ère d’Internet, dans le numéro 1931 du 8-14 novembre 2001 de ce qui se disait encore un hebdo d’information, Sara Daniel, la fille du patron, avait accusé les soldats israéliens de violer des Palestiniennes pour que, une fois rentrées chez elles, elles tombent victimes d’une pittoresque tradition locale : le crime d’honneur. Textuellement, cela donnait :

« de violer intentionnellement les femmes palestiniennes, dans le dessein prémédité de les faire exécuter par leurs propres familles. »

C’était d’autant plus intentionnel

« qu’ils en recevraient l’ordre de leurs supérieurs, en commettant ainsi des crimes de guerre. »

Le 14 novembre 2001, le Crif s’était fendu d’une lettre, qui est toujours visible sur le site du Nouvel Obs, alors que l’article lui-même ne répond plus à l’appel de son lien (Nouvel Obs). En revanche, la réponse est inoubliable :

« Le texte publié, en raison d’un défaut de guillemets et de la suppression de deux phrases dans la transmission, laissait penser que son auteur faisait sienne l’accusation selon laquelle il arrivait à des soldats israéliens de commettre un viol en sachant, de plus, que les femmes violées allaient être tuées. Il n’en était évidemment rien et Sara Daniel déplore très vivement cette erreur qui a gravement dénaturé sa pensée. »

Ben oui, elle avait ramassé, dans un caniveau, les ratiocinations d’une antisémite bourrée, mais le nom de la fille avait mystérieusement disparu avec les guillemets. On ne sait pas laquelle était coupable, de la ponctuation ou de l’ivrogne, mais on sait que la fille à papa était innocente.

De toute façon ni Libé aujourd’hui ni le Nouvel Obs hier ne peuvent être accusés d’antisémitisme : ils sont de gauche, alors que l’antisémitisme est de droite, c’est prouvé par tous les fact-checkers de la planète Antisionus. Donc c’est la faute aux guillemets. CQFD. LM

Liliane Messika, MABATIM.INFO

NB : Une grande partie de cet article est paru sur Causeur le 26 mars 2022


1https://www.liberation.fr/checknews/deux-jours-apres-le-bombardement-du-theatre-de-marioupol-le-flou-demeure-sur-le-bilan-humain-20220318_PDFIACTL2ZDPDH7COU5T62N6HM/# ;
https://www.liberation.fr/checknews/ukraine-que-sait-on-du-bombardement-du-theatre-de-marioupol-20220317_TI7ZJ67USRFMBA7GLOKT3J23GI/ ;
https://www.liberation.fr/international/europe/la-mairie-de-marioupol-affirme-quun-theatre-abritant-des-centaines-de-civils-a-ete-touche-par-une-frappe-russe-20220316_YHARMPMI5NGKJIYAGMLNLLIEAQ/ ;
https://www.liberation.fr/international/europe/le-bombardement-dun-theatre-de-marioupol-souleve-lindignation-darmanin-tente-lapaisement-en-corse-julie-doucet-adoubee-par-le-grand-prix-dangouleme-lactu-ce-jeudi-20220317_6IWEB6YAA5BHFCJPRWAVNYT6FQ/ ;
https://www.liberation.fr/international/europe/a-marioupol-nous-prions-tous-les-jours-20220317_MCY2NPGGBJAF7DW6LBOXA4XAZE/ ;
https://www.liberation.fr/international/europe/guerre-en-ukraine-plus-dun-millier-de-personnes-refugiees-dans-le-theatre-bombarde-de-marioupol-20220317_H4FTJGFL7NHFRJHMZNQ2QLKCJE/

2 « La Bande de Gaza occupée » est un automatisme langagier en usage chez les antisémi-sionistes. En réalité, Israël a quitté la Bande de Gaza en juillet 2005. Cela va faire 17 ans.

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