
« Dans le brouillard de la guerre, la culture est un phare »
Général Patrick Collet, à Saint-Cyr Coëtquidan
Européens, nous descendons des survivants de la seconde guerre mondiale. Et l’ombre de la Shoah plane encore sur les Juifs. Par escroquerie factuelle d’une mémoire travaillée par son inconsciente culpabilité collaborationniste, les Israéliens sont criminalisés quoi qu’ils fassent. Ces Juifs dont Chateaubriand décrivait la misère à Jérusalem1, sont accusés d’avoir recouvré leur terre ancestrale – réduite à la portion congrue en 1948 – et fait fructifier sa désolation décrite par Mark Twain 2.
De froide que la guerre était devenue, opposant la rivalité armée de l’Amérique et de l’URSS, nous avions la certitude que jamais plus elle ne brûlerait sous nos latitudes après la chute du mur de Berlin en 1989 et l’éclatement de l’URSS deux ans plus tard.
Seul Israël, minuscule et cerné de toutes parts par ses voisins arabes, qui par trois fois3 s’allièrent pour le détruire, vivait sous les armes et ignorait la paix. Cette paix que les Occidentaux pensaient irréfragable, tels les hobbits du romancier Tolkien, ignorant la menace de la guerre de l’Anneau qui allait fondre sur eux.
Avec Georges Bensoussan, « Il faut réfléchir au fil ténu qui sépare l’anomie des sociétés modernes de la barbarie. Un accident historique suffit pour basculer de l’une dans l’autre.4»
La voici surgie du fond des temps :
L’Ukraine bombardée, ses terres ravagées, son peuple assassiné, ses soldats torturés. Le soleil se lèvera-t-il un jour sur les ruines où d’entre la pierraille s’élèveront les fleurs de la paix retrouvée ?
Il n’y a que l’espoir, une paillette dans la nuit d’incertitudes.
Le monde, que l’on nommait libre, arme toujours plus les combattants ukrainiens. La Russie, dupe du rêve ivanesque de Poutine, fourbit ses armes redoutables jusqu’à la grimace nucléaire.
Que cela soit pour se défendre de l’attaque, ce qui se justifie sans réserve, où à l’opposé détruire le pays qui se refuse à l’invasion, le militarisme sature toute réflexion. Et l’absolutisme de Poutine rend caduque le célèbre principe énoncé par Clausewitz, car sa guerre cesse d’être le prolongement de la politique par d’autres moyens pour aboutir à une négociation. La pratique de la « terre brûlée » a pour but de rendre inhabitable l’Ukraine et de déporter sa population en Russie.
Nous sommes loin de la configuration, par accumulation de rivalités économiques et stratégiques, des nations qui, au siècle dernier, ne pensaient pas en arriver au conflit armé. L’assassinat par un terroriste serbe de l’archiduc François-Ferdinand, héritier de l’Empire austro-hongrois, et de son épouse, ayant mis le feu aux poudres. Seule l’Allemagne s’était préparée à la guerre de matériel, en avance sur les alliés, notamment les Français au pantalon garance chargeant sabre au clair les mitrailleuses germaniques.
Loin de ce qui faisait avouer au chef du Grand état-major allemand, dans une lettre à sa femme, après un mois de guerre : « j’ai l’impression que je suis responsable de toutes ces horreurs et pourtant je ne pouvais agir autrement. 5» Que Poutine après six mois de massacres en fasse l’aveu est peu vraisemblable.
Avec l’historien Arnold J. Toynbee6, remontons aux fondements des avatars du militarisme et à ses échecs civilisationnels. Toute domination par les armes et la croyance en leur perfectionnement aboutit à un échec. Sparte s’effondre ; l’Assyrie si longtemps victorieuse et socialement militarisée succombe sous le poids de ses marches ; la domination islamique explose entraînée par ses rivalités internes ; les légions romaines et leurs invincibles cohortes cèdent devant la diversité des Barbares. La liste n’est pas close.
Il n’y a pas d’exemple de peuples soumis par leurs dirigeants au militarisme au prix d’une démesure sociale, telle au zénith de l’horreur ce que fut l’institution dévoratrice et meurtrière des « égaux » du système de Lycurgue à Sparte7. Pas d’exemple de survie de ce qui était voué à la mort dans son ambition d’éternité. Une éternité que Freud avait pensée comme le retour régressif à l’inanimé, but de la pulsion de mort lorsque cette dernière se trouve dissociée des pulsions de vie.
Pour Arnold J. Toynbee, qui rejoint à sa manière le réalisme freudien, la paix n’est qu’un intermède, une pause entre la série inéluctable des guerres occidentales qui se succédèrent avec un degré croissant d’intensité « jusqu’à ce que ce processus d’intensification des horreurs de la guerre se termine un jour par l’autodestruction de la société8. » Ce qui fut écrit en 1950 – cinq ans après la conférence de Yalta sur « le droit de tous les peuples à choisir leur gouvernement », et la création de l’ONU – résonne aujourd’hui avec une intensité d’autant plus impressionnante que Yalta, petit paradis balnéaire sur les rives de la mer noire en Crimée, qui se rattachait à l’Ukraine, fut annexée à la Russie en 2014, après la révolte libertaire sanglante de la Grand place de Kiev (Maïdan), (épaulée disent certains par la CIA) qui renversa Victor Ianoukovitch, le président affilié à la Russie. Un arrangement aurait encore été possible avec Poutine en 2015 sur un partage du Donbass, peuplé pour moitié d’Ukrainiens pro-russes, si Kiev ne s’était pas insurgée contre la militarisation de la région.
Il peut paraître naïf de croire que la vie triomphe toujours de la mort alors que nous nous savons mortels. Illusoire de ne pas croire en la supériorité des armes pour gagner une guerre. C’est pourtant à vaincre cette croyance nourrie d’effroi que David armé de son intelligence et d’une simple fronde tua Goliath. Un caillou eut raison du gigantesque hoplite philistin et de son énorme lance tout bardé qu’il était des mailles d’une lourde cataphracte. Les tankistes russes ne démentiront pas que leurs blindages ne les protègent pas du tir d’un RPG perfectionné manié par un civil devenu soldat par patriotisme.
Guerre et civilisation :
Deux termes antagonistes. Deux états qui hantent l’histoire humaine, et la mémoire enfouie de ses dieux.
La culture qui rassemble nos penchants fondamentalement agressifs au bénéfice de la vie est pour Freud l’exercice permanent de la dictature de la raison. La guerre marque l’échec de cette raison face aux pulsions destructrices. « Il est vain de vouloir supprimer les penchants agressifs des hommes » comme il l’écrivait à Einstein en 1932 devant la montée du nazisme9.
Mais la guerre peut aussi s’imposer comme nécessité pour défendre une culture contre un ennemi acharné à sa destruction. Et par culture nous pouvons entendre ce qui procède à l’ancrage d’un ensemble humain, son histoire, ses croyances, son territoire. Les guerres menées par Israël depuis son indépendance peuvent en être un exemple : son bras armé n’est pas seulement l’héritier du désir d’une terre excentrique aux pogroms. Son bras armé tient à la spatialité intemporelle de la Torah. Et cela malgré toutes les contradictions sociales et économiques de la modernité et de ses start-ups oublieuses de la pérennité de la Lettre.
Nous voici dans une configuration aussi singulière qu’opposée à celle de Poutine lorsque ce dernier déclare la guerre pour rétablir « une souveraineté russe là où se trouvent des Russes »10. Et comment ne pas remarquer la ressemblance de cette position avec celle de l’islamisme décrétant que toute terre foulée par les musulmans appartient de droit à l’Islam et qu’il n’y a pas de limite à ce devoir de conquête. Tel est le sens explicite du djihad par l’épée (Averroès) » jamais renié depuis la Mecque où il visait les « infidèles » et les autres tribus arabes : « Quand vous rencontrerez les infidèles, tuez-les jusqu’à en faire un grand carnage, et serrez les entraves des captifs que vous aurez faits.11 » A Médine, sourate VIII, « O prophète ! excite les croyants au combat. Vingt braves d’entre eux terrasseront deux cents infidèles. […].12»
Un peu partout dans le monde on a subi l’incidence pratique de ces encouragements pris comme vérité hors du temps et de l’histoire. Ainsi à l’ouverture de son procès pour les attentats du 13 novembre 2015 Salah Abdeslam déclarait-il « Je tiens d’abord à témoigner qu’il n’y a pas de divinité autre qu’Allah, et Mohammed est son messager. »
Détachées de leur contexte historique, les injonctions du Prophète, suivies de bien d’autres hadiths postérieurs à son existence, éblouissent l’actualité musulmane et son désir de vengeance en réaction à la perte d’un pouvoir qui se voulait universel.
Une exaltation qui ne peut que séduire les ignorants en leur promettant dignité et éternité face à un monde ravagé par l’échec de la « mondialisation » et la perte de ses repères culturels.
Comme l’écrit Pascal Bruckner, « Rien n’excite plus la rage qu’un homme tombé à terre. Déjà détesté pour son ancienne domination, l’Occident est désormais méprisé pour son déclin.13 »
Ce drame se produit dans un contexte plus général : Cet éclair qui frappe l’Occident et sa culture dans l’abandon qu’il a de lui-même en reniant son passé jusqu’à promouvoir une forme inusitée d’analphabétisme (écriture dite inclusive, franglais, généralisation des acronymes). Le prétexte d’une langue plus adaptée à la modernité et débarrassée des mots devenus caduques, comme des objets qui n’ont plus leur usage, rend illisible pour les nouvelles générations toute l’histoire, politique, sociale, matérielle de leur monde. Comme mettait en garde Carl Von Linné, le grand naturaliste et botaniste du siècle des Lumières :
« La connaissance des choses périt par l’ignorance des noms. »
Cette connaissance, qui ne se limite pas aux objets, se transmet – se transmettait (je l’écris au passé) – de générations en générations. Lacan forge le néologisme « lalangue », celle que le sujet balbutie et qui, même à son insu, est habitée par les mots de sonorités maternelle des générations dont il est l’héritier.
Le bris de cette langue, mot après mot, concept après concept s’accompagnant d’un déni actif de l’Histoire et du nom des personnages qui l’habitèrent, est une destruction, un meurtre. Un meurtre de soi-même, exacte et première définition du suicide.
C’est une fabrique d’orphelins.
Il est pour le moins étrange que l’Occident, riche de l’architecture millénaire de sa culture, milite pour son suicide.
Il est pour le moins étrange que l’Occident, riche de l’architecture millénaire de sa culture, milite pour son suicide. Ce suicide commence par la destruction systématique de la langue identifiée à un passé criminalisé, celui de l’expansion coloniale de son passé historique, et s’étend aux différences biologiques sexuelles nécessaires à la pérennité de l’espèce. Un processus, qui par le croisement des chromosomes XX, femelles, et XY , mâles, devient porteur des singularités de chaque être vivant.
Cette ipséité naturelle se voit sacralisée dans un total contresens par le respect imposé du « genre » en milieu scolaire. Le Bulletin officiel de l’éducation nationale de la jeunesse et des sports (BO – Septembre 2021), détaille de nombreuses prescriptions. Ce sont les « Lignes directrices à l’attention de l’ensemble des personnels de l’éducation nationale » « Pour une meilleure prise en compte des questions relatives à l’identité de genre en milieu scolaire ». Respect du nom d’usage si un gamin opte pour un prénom féminin, et vice et versa ; ne pas remettre en question divers accoutrements de l’inversion sexuelle, etc.
Suicide, ou tentative de suicide, en lien avec un discours idéologique traumatisant dont chaque individu serait porteur. Une construction génératrice d’angoisse, au sens théorisé par Freud de signal d’alerte précédent l’effroi14, et que Lacan élaborait comme émergence pour le sujet de l’objet petit (a) le désir de l’Autre, – aujourd’hui fléché par le wokisme ambiant – devenu cause inconsciente et aliénante du sujet. Et Alain Finkielkraut d’enfoncer le clou :
« Nietzsche disait : ‘’Le désert croît’’. Malheur à nous, donc, car, conformément à l’inquiétude de Chateaubriand et à la prophétie nietzschéenne, la planétarisation gagne, le désert croît et malgré l’enseignement d’Améry, c’est la mémoire du désastre qui protège le désert, comme si ce siècle n’avait eu lieu que pour interdire la nostalgie de la terre et pour veiller à la bonne marche des opérations.15 »
Ne pas confondre avec le discours incendiaire d’une Greta Thunberg et avec la verdeur climatologique des éoliennes en guise de nouveaux clochers !
Pour conclure, voici surgir le souffle prophétique de Walter Benjamin :
« Pauvres, voilà ce que nous sommes devenus. Pièce par pièce, nous avons dispersé l’héritage de l’humanité, nous avons dû laisser ce trésor au mont-de-piété, souvent pour un centième de sa valeur, en échange de la petite monnaie de l’actuel. À la porte se tient la crise économique, derrière elle une ombre, la guerre qui s’apprête16».
MN♦

Marc Nacht, MABATIM.INFO
Psychanalyste, écrivain
1— « Quand on voit les Juifs dispersés sur la terre, selon la parole de Dieu, on est surpris sans doute mais pour être frappé d’un étonnement surnaturel, il faut les retrouver à Jérusalem ; il faut voir ces légitimes maîtres de la Judée esclaves et étrangers dans leur propre pays ; il faut les voir attendant, sous toutes les oppressions, un roi qui doit les délivrer ». Itinéraire de Paris à Jérusalem. Tours 1811.
2— « Une contrée désolée dont le sol est assez riche… Il y a une désolation ici que même l’imagination ne peut rendre l’éclat de la vie et de l’action… Nous n’avons pas vu un être humain sur tout le trajet… On rencontrait à peine un arbre ou un arbuste. Même l’olivier et le cactus, les amis rapides du sol sans valeur, avaient presque déserté le pays. » Mark Twain, The Innocents Abroad. London 1881.
3— Guerre dite d’usure, juillet 67 – Août 70 : RAU, OLP, JORDANIE, avec le soutien de l’URSS et de. Cuba.
4— Georges Bensoussan, à Alexandre Devecchio, le Figaro. 16 juillet 2022.
5— Cité par Henri Guaino, Nous marchons vers la guerre comme des somnambules, in Figaro du 12/05/2022.
6— Guerre et civilisation, Éditions Gallimard 1953. Idées NRF.
7— Op.cit. Chapitre III, p. 54.
8— Op.cit. p.22.
9— Pourquoi la guerre ? (1933), Résultats idées problèmes II, PUF 1985, p.212. Freud répond à Einstein qui déplore la « pulsion de haine » qui pour Sigmund rejoint la pulsion de mort, et lui oppose la relation du droit à la violence. Einstein lui écrivait :
« L’appétit de pouvoir que manifeste la classe régnante d’un État contrecarre une limitation de ses droits de souveraineté. Cet « appétit politique de puissance » trouve souvent un aliment dans les prétentions dont l’effort économique se manifeste de façon matérielle. Je songe particulièrement ici à ce groupe que l’on trouve au sein de chaque peuple et qui, peu nombreux mais décidé, peu soucieux des expériences et des facteurs sociaux, se compose d’individus pour qui la guerre, la fabrication et le trafic des armes ne représentent rien d’autre qu’une occasion de retirer des avantages particuliers, d’élargir le champ de leur pouvoir personnel » (cité par Wikipédia).
Le 10 mai 1933, Les écrits de Freud et d’Einstein, parmi beaucoup d’autres inscrits sur la liste noire par les nazis sont brûlés publiquement.
10— Cité par Frédéric Encel.
11— Le Coran. Trad. Kasimirski. G.F. Flammarion, p. 393.
12— ibidem, p. 66.
13— Un coupable presque parfait, Grasset, Paris, 2020.
14— Au-delà du principe de plaisir (1920), trad. J. Laplanche et J-B. Pontalis, Sigmund Freud, Essais de psychanalyse, nouvelle traduction, Payot 1981, p. 50.
15— L’humanité perdue, p.157, Essai sur le XXe siècle. Ed. du Seuil, Paris, octobre 1996.
16— in Manifeste incertain. Frédéric Pajak. Les Éditions noir sur blanc. Lausanne.
Magnifique texte si plein de vérité
Mille bravos
J’aimeJ’aime
Superbe texte, avec lequel je suis (en tous points) en phase. Merci.
J’aimeJ’aime