« Ghazal » de Bat Ye’or

« Bien – aimés les souffrants… »

Ghazal est le troisième et dernier tome de la saga « Bien-aimés les souffrants. »

Il clôt cette grande fresque dédiée aux Juifs d’Égypte vivant en terre d’islam, et qui se termine par la fuite de Ghazal et son exil en Angleterre.

Cette fuite illustre de façon poignante la vie des Juifs, puisqu’après la création de l’État d’Israël, en 1948, et l’arrivée au pouvoir de Nasser en 1952, (il renverse la monarchie par un coup d’État), ils seront rendus responsables de la création de l’État d’Israël honni jusqu’à aujourd’hui. Ils connaîtront de violents pogroms alors que la majorité d’entre eux vivaient là, bien avant les musulmans.

Ce que décrit Bat Ye’or, c’est donc la peur et l’impossibilité de continuer à vivre sur la terre ancestrale, balayée par le ressentiment et la violence d’un peuple égyptien manipulé par les Frères musulmans et par des dirigeants qui, à la fin de la seconde guerre mondiale ont accueilli des nazis à bras ouverts. Ils les ont intégrés dans l’armée et les hautes sphères du pouvoir. Nasser, très populaire et soutenu par l’URSS et les pays communistes, sera un leader incontesté dans le monde arabe.

Face à la création de l’État d’Israël et son retour à l’antique patrie, les arabo-musulmans ne peuvent admettre que les Juifs, autrefois dhimmis en terre d’Islam, deviennent un peuple souverain sur sa terre recouvrée. C’est pourquoi il faut les punir.

Ghazal, si jeune et si frêle, fille d’Ibrahim Salem et de Hanna, incarne la lucidité et la révolte. Quand elle sort dans Al Kaïra1, elle se trouve confrontée aux violences de l’administration et à celles de la populace.

Cependant, si elle sent bien qu’elle et sa famille doivent quitter l’Égypte, qu’il en va de leur survie, son père préfère se réfugier dans la maladie et mettre la tête sous l’oreiller. Renoncer aux « Figuiers » où ses ancêtres ont bâti leur maison, est impensable. Il n’est pas le seul à réagir ainsi face à la réalité. D’autres Juifs, comme Issa Benyamin, homme de loi qui eut un poste important, n’ouvre plus les fenêtres pour ne pas voir la foule haineuse qui veut tuer du Juif. Il fait encore semblant de croire, que tout va bien :

« — Vois… on m’a permis de garder même mes chers objets… pourtant on aurait pu s’en emparer. Vois comme ce régime est bon, généreux !… on tolère que je garde ces quelques souvenirs de famille… » Cet auto-aveuglement révulse Ghazal.

Cependant c’est aussi à un conflit de générations que l’on assiste. En effet, Ibrahim se tourne vers le passé et, sachant qu’il lui reste peu de temps à vivre, se replonge dans l’histoire familiale et retrouve des lettres d’Elie, son père. Celui-ci écrivait :

« … Une nation refusant de se défendre, ne peut survivre. Telle est l’implacable loi de l’évolution historique. Quel qu’il soit, ce monde est le nôtre, il n’y en a pas d’autre. Y assumer notre existence libre, c’est combattre pour notre survie. »

Élie nous rappelle, à bon escient, que nous avons des ennemis et que nous ne pouvons l’ignorer. Combattre, c’est recouvrer sa dignité et aussi prendre le risque de vivre libre. On ne peut s’empêcher de penser que cette réflexion nous concerne, aujourd’hui, au plus haut point !

Ibrahim comprend que son père avait raison, mais pour lui il est trop tard !

Cette cécité tragique n’est pas sans rappeler celle des Juifs, pendant la seconde guerre mondiale, face à l’invasion nazie. Ils pensaient que, dès lors qu’ils étaient bien intégrés en Allemagne ou en France depuis plusieurs générations, rien de fâcheux ne pourrait leur arriver.

Ce livre est aussi une ode poétique qui décrit cette déchirure : celle des hommes et de leurs choix : ce fut celui de Béhor, père d’Élie qui raisonnait en humaniste et voulait croire que le bien peut toujours triompher du mal. Ainsi n’a-t-il pu comprendre son fils qui lui, pensait qu’il fallait quitter ce pays et rejoindre la terre d’Israël.

C’est aussi une ode à la nature, si présente dans sa permanence, avec les mouvements qui lui sont propres, malgré les évènements, et cela depuis le temps de Moïse qui est le premier d’une longue lignée de Juifs qui ont bâti ici, vécu, procréé et prospéré. La nature est aussi ce qui nous attache à un lieu. Tel un miroir, elle nous renvoie les images familières, les fragrances, la beauté changeante, jamais épuisée, des éléments qui la composent.

L’écriture de ce texte est particulièrement belle, ciselée, comme si l’auteur voulait transmettre charnellement et visuellement au lecteur, la violence physique et psychologique que ressentent les personnages à travers les sentiments de haine, d’amour et de peur ; les déchirures et le désespoir qui les accompagnent, la palette infinie des sentiments et des sensations qui s’imposent dans leur crudité.

Ainsi Ibrahim entrevoit-il pour la première fois peut-être, l’abîme qu’il a lui-même construit : « Que de beauté dans l’agencement ordonné de l’Éternel, que d’espérance dans la naissance du jour ! Ses doigts osseux glissèrent lentement sur son front, ses paupières. Au sortir de cette nuit, son erreur béait devant lui. »

Le personnage de Ghazal est attachant, à la fois par sa force et sa vulnérabilité. Celle-ci se trouve aussi dans son attirance pour Hassan dont le père, Kemal, a épousé une Allemande totalement acquise au nazisme. Cette attirance pour Hassan aura au moins le mérite de la sauver puisque Ghazal est soupçonnée d’être un agent du sionisme. Or Hassan avait juré à son père mourant de protéger sa famille.

Ghazal, c’est un peu Bat Ye’or et l’on sent combien l’auteur s’identifie à elle puisqu’elle a vécu cet arrachement à son pays2.

On ne saurait trop conseiller la lecture de cette trilogie magnifique, riche d’évènements historiques très documentés, où la psychologie des personnages est décrite avec une grande finesse, où l’Histoire se déroule depuis le début du XIXᵉ siècle jusqu’aux années soixante – dix du XXᵉ siècle. Ghazal en est le point d’orgue.

Cette saga qui nous plonge au cœur de l’histoire des Juifs de l’empire ottoman, et de ceux venant du Maghreb, du Yémen et de la Perse, est plus qu’un roman, c’est un témoignage irremplaçable qui fait lien avec notre présent et qui devrait nous éclairer. Bat Ye’or qui a été pionnière dans l’étude de la dhimmitude, met le roman au service de l’Histoire. Elle se révèle ici comme un grand écrivain qui honore le domaine de la littérature. ET

Évelyne Tschirhart, MABATIM.INFO
05/01/2023


1 Al kaïra : le Caire

2 Voir à ce sujet Bat Ye’or : Le dernier Khamsin des juifs d’Égypte. Les Provinciales 2019

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Un commentaire

  1. Quelle bonne nouvelle que la parution de ce troisième tome tant attendu de notre chère Bat Ye’Or !
    Votre recension Madame Tschirhart ne peut que nous « mettre l’eau à la bouche » !
    Cette trilogie nous plonge dans un monde & une atmosphère imprégnés de souffrances indicibles tellement occultées par les sources historiques « officielles » !
    Souffrances & persécutions toujours d’actualité là où la dhimmitude s’impose aux minorités, chrétiennes notamment.
    Voir l’émission de Portes Ouvertes à ce sujet ce vendredi 20 janvier à l’occasion de la sortie de l’
    Index Mondial de Persécution 2023.
    Vous entendrez le témoignage poignant de Dabrina Bet Tamraz, iranienne ayant connu le harcèlement de la police ainsi que sa famille. Aujourd’hui elle a fui son pays ainsi que ses parents qui devaient être emprisonnés.
    « Ce qui est a déjà été, et ce qui sera a déjà été, et Dieu ramène ce qui est passé. » Ecc. 3/15.
    Oui, les temps troublés que nous traversons sont chargés de nuages sombres. L’atmosphère en France & en Europe est viciée, mensongère & délétère !
    Notre refuge est en l’Eternel, notre D.ieu Créateur, notre Abba !
    Sa Parole est éternelle & elle s’accomplit selon les prophéties écrites tout au long des siècles dans la Torah jusqu’au livre des Révélations.
    Amen, Hallelu-Yah !
    Shalom
    Marie-Annick Couderc

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