[4 mai 2023]

Professeur Gabi Siboni, Institut d’études stratégiques et sécuritaires de Jérusalem

Au cours des dernières années, le modèle de l’armée populaire s’est progressivement érodé. Dans le public israélien ainsi que dans l’armée, on entend de plus en plus de voix, qui soutiennent la transition vers une armée professionnelle. Les partisans de cette solution avancent le fait que les armes sont de plus en plus sophistiquées, nécessitant des formations de plus en plus pointues et qui exigent de longues périodes de formations et de service. Par ailleurs, apparaît en Israël un phénomène croissant et inquiétant, soit par prétextes médicaux, soit pour études longues, soit pour des raisons religieuses, de se soustraire au service militaire. En même temps, la qualité des nouvelles recrues baisse ce qui constitue une menace d’effritement d’efficacité de l’armée israélienne.

Le modèle de « l’armée populaire » est essentiel pour préserver la force de Tsahal, la résilience de l’État et de la société israélienne. Le service obligatoire permet à Tsahal de recruter les meilleurs talents du pays. En absence du service obligatoire, le maintien du système de réservistes, vital face à l’ampleur des menaces qui pèsent sur l’État, sera impossible. En outre, le service obligatoire est le meilleur outil d’intégration dans la société et crée un creuset de la citoyenneté de la société israélienne. Le service dans l’armée israélienne est également un accélérateur du développement économique et technologique du pays. Une formation militaire minimale est également un moyen éprouvé, dans l’espace public de gestion des attentats terroristes (neutralisation des terroristes par des civils armés et formés).

Le passage à une armée professionnelle risque d’induire un processus de déconnexion de l’armée d’avec le peuple, comme cela s’est produit dans les pays occidentaux. Le recrutement des soldats de base de ces armées est fait essentiellement dans les couches les moins favorisées de la population, ce qui a entraîné l’érosion qualitative des armées et une situation qui nuit inévitablement au professionnalisme de l’armée et de ses commandants. Une armée salariée dont les effectifs seraient en adéquation avec des besoins sécuritaires du pays, ferait exploser les coûts de défense, sans augmenter l’efficacité opérationnelle de Tsahal. Compte tenu de l’environnement géostratégique d’Israël, les menaces existentielles n’ont aucune chance de disparaître avant des décennies, si tant est qu’elles disparaissent un jour. L’argument avancé par certains, selon lequel Tsahal n’a pas besoin d’autant de soldats, car la nature des guerres et les avancées technologiques de l’armement nécessite des armées « compactes et intelligentes », est un argument méconnaissant les réalités tactiques et stratégiques (la guerre russo-ukrainienne, par exemple).

C’est bien Ben Gourion, à la création de l’état, qui a décidé que les élèves des écoles talmudiques seraient exemptés du service militaire. À l’époque ils n’étaient que quelques centaines, mais aujourd’hui, le secteur des religieux orthodoxes constitue environ 15 % de la population juive en Israël, donc des milliers de jeunes religieux du pays ne s’enrôlent pas. De plus, le taux de croissance des populations orthodoxes est plus important que dans d’autres secteurs de la population, ce qui laisse de plus en plus de jeunes religieux échapper à la conscription. Accorder une exemption générale d’un service national, quel qu’il soit, envers l’État, à toute une population orthodoxe (ainsi qu’aux d’Arabes) constituerait une faute morale. La conscience de citoyenneté dans l’État d’Israël est une valeur précieuse, que beaucoup d’États dans le monde aimeraient acquérir ou sauvegarder. Par conséquent, un « service par tous » sera pour Israël, une assurance de sauvegarde de la cohésion nationale.

Pour répondre à l’exigence de cette cohésion nationale, tous les citoyens de l’État, à leur majorité à l’âge de 18 ans auront l’obligation d’effectuer un service, militaire ou civil, au bénéfice de l’État. L’armée aura la priorité dans le choix des meilleurs profils, afin de préserver sa qualité en matière de sécurité et de défense du pays. Les autres seront orientés vers le service civil soit dans la communauté, soit dans les services de sauvetage, hospitaliers et de sécurité. Ces services seront adaptés aux différentes populations, garçons et filles, telles que les ultra-orthodoxes, et les Arabes. Il est entendu que la rémunération de ceux qui servent, sera conforme à la nature et à la durée du service. L’étude de la Torah est une valeur importante pour le peuple d’Israël. Par conséquent, ceux qui suivent les filières d’excellence et d’exception d’étude de la Torah, donc l’élite, pourraient être exemptés des services gênant dans leur parcours académique

À ceux qui se soustraient au service, on devrait appliquer des mesures coercitives et dans des cas les plus graves, les priver des droits civiques et sociaux. Il est impensable que ceux qui ont bénéficié d’éducation gratuite, de sécurité sociale et de prestations sociales diverses et qui refusent à effectuer le service militaire ou civil, reçoivent indûment des bienfaits de l’État. Malheureusement, la Cour suprême a passé outre des aspects moraux au nom du principe d’égalitarisme et a accordé des prestations sociales à des personnes ayant refusé tout service pour l’État.

Cette décision moralement choquante, car la citoyenneté bien comprise comprend des droits mais aussi les devoirs, doit être corrigée. EG♦

Édouard Gris, MABATIM.INFO
Traduction et adaptation